Dimanche 23 avril : ouverture.

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     Eh bien, nous sommes toujours le même jour. Comment cela le même jour ? Mais bien sûr ! Souvenez-vous : dimanche dernier, nous étions le premier jour, mieux le « jour un » après le sabbat, et Marie la magdaléenne allait au tombeau se souvenir… Et bien nous voilà au soir du « jour un« . Au commencement du monde, « il y eut un soir, il y eut un matin : jour un » (Gn.1,5). Mais dans la tradition hébraïque, le jour commence le soir et va jusqu’au soir suivant : c’est d’ailleurs pourquoi la Genèse dit : « Il y eut un soir, d’abord, il y eut un matin, ensuite ». C’est pourquoi aussi les célébrations ou les grandes fêtes commencent la veille au soir. Mais ici, tout est renversé : le nouveau « jour n°1 » commence dans le petit matin qui naît. Et nous voilà au soir.

     Marie a eu sa rencontre. Pierre et l’autre disciple sont repartis, eux, sans rien. Maintenant, c’est le tour des disciples. Le lieu du souvenir était ouvert, mais là où eux se tiennent, les portes sont fermées. Voire même, le lieu où ils étaient était « le lieu aux portes fermées » [tôn thurôn kekleisménôn]. Saint Jean nous en donne la raison : [dia ton fobon tôn Ioudaiôn], « à cause de la peur des Juifs« . La résurrection a fait du lieu-du-souvenir un lieu ouvert, mais la peur fait de nous un lieu-aux portes-fermées. Quelle bonne nouvelle que ce lien montré entre peur et fermeture : nos fermetures cachent bien souvent une (une seule ?) peur. Il faudrait pouvoir dire une peur de quoi… Et puis surtout, il faudrait être délivré de cette peur. Mais qu’est-ce qui peut délivrer de la peur ?

     On ne se ferme pas à Jésus ressuscité si facilement : « vient Jésus, et il se tient au milieu et il leur dit : paix à vous« . Voilà : la première étape pour être délivré de sa peur et se ré-ouvrir, c’est de découvrir Jésus au milieu de soi, de nous (comment il fait pour y venir, c’est son affaire), et d’accueillir sa paix. « Et les disciples se réjouissent en voyant le seigneur« . La joie. La renaissance de la joie. Il est là le secret : que portons-nous au milieu, qu’est-ce qui nous habite, qui soit un vrai motif de joie, une vraie source de joie ? Il faut partir de là pour être délivré de la peur et de la fermeture.

     Il faut dire que, dans l’évangile, Jésus leur fait voir ses mains et son côté : il y a ses blessures, il y a ses ouvertures à lui, faites par la violence des hommes, mais dont il a choisi qu’elles ne se referment plus jamais : il se montre définitivement déchiré mais ouvert. Le corps ressuscité de Jésus ne peut pas, ne peut plus, être un lieu-aux-portes-fermées. Cela me fait beaucoup réfléchir : si facilement, nos blessures entraînent notre fermeture, notre repli. On souffre, mais aussi on se connaît comme victime -et parfois on se complaît dans ce rôle, ma foi commode (« c’est aux autres à faire le pas, à venir me chercher ! »). Une blessure qui se referme s’encroûte. Une blessure ouverte saigne. Quel horizon… ! Quelle espérance aussi : que nos blessures deviennent source d’ouverture et de vie. Il y a des gens qui vivent cela, il y a des gens que les blessures ont rendu étonnamment ouverts, généreux. Ceux-là ont peut-être commencé à ressusciter.

     A ses disciples, Jésus renouvelle sa paix, mais il enchaîne : « De même que le Père m’a envoyé, de même je vous envoie« . Pour nous ouvrir, Jésus nous ré-engendre, comme il est engendré/envoyé par le Père. Il établit avec nous le lien qui l’unit à son propre Père, il se fait source comme il a lui-même une source. Mais aussi il nous « émet », il nous envoie, il nous propulse. Dans une naissance (puisqu’il s’agit d’être engendrés), il y a une expulsion, et c’est aussi celle-là qu’il nous fait revivre. Nous voilà expulsés de nous-mêmes, lieu-aux portes-fermées. Il n’y faut pas rester : l’air et la vie sont dehors. Notre lien de foi, notre rapport à Jésus ne doit pas être, ne peut pas être, celui d’une proximité ombilicale; vivre la foi, ce n’est pas un câlin incessant : c’est la rudesse de la vie du grand monde dans lequel il nous projette. Ce sera la fin de nos peurs, quand nous auront admis que le monde tel qu’il est, et la vie telle qu’elle est, et notre histoire telle qu’elle est, sont les conditions de nos existences renouvelées.

     Il faut du courage pour cela. Alors Jésus les « insuffle » : [enefusèsen] il effuse dans eux. Et il dit : « Recevez l’Esprit saint. A ceux à qui vous remettrez les péchés, ils leur seront remis, à ceux à qui vous retiendrez, ils seront retenus. » Voilà une double condition dans laquelle il nous met, pour que nous puissions vivre dans l’ouverture au monde, vivre là où nous avons été expulsés.

     La première n’est pas simple à comprendre : recevoir l’Esprit saint ! En pratique cependant, il a soufflé, bon, c’est fait. Une vie ne suffira sans doute pas à prendre conscience de Celui qui tous nous habite. Et quand je dis : tous, j’insiste. L’Esprit saint n’est pas soufflé par le ressuscité avec parcimonie sur celui-ci, pas celui-là, celui-là on va voir, etc…. Une de nos conversions nécessaires à la foi en l’Esprit saint donné, c’est justement que sur tous, dans tous, il a été effusé. Une des pires choses que l’on puisse faire est de prétendre s’approprier l’Esprit saint. Et on peut y prétendre en son nom personnel, ou au nom d’une fonction que l’on remplit : ce n’est pas plus justifiable. Bref : il y a désormais en nous la source du courage nécessaire à vivre et re-vivre.

     Mais l’autre condition, j’avoue qu’elle me demeure mystérieuse. Elle est tellement inattendue. Cette histoire de péchés remis ou retenus… Qu’est-ce que cela vient faire là ? Chez saint Jean, le péché c’est de ne pas croire en Jésus (cf. Jn.16,9) : alors en quoi cela nous concerne-t-il ? Je veux dire : comment d’autres pourraient-ils « remettre » ou « retenir » cela, et chez des tiers qui plus est ! « Remettre » essaye de traduire le verbe [afièmi], qui signifie laisser aller, lâcher, renvoyer, congédier, permettre, mais aussi se mettre en route ou en mouvement. On voit bien qu’il y a une idée de main ouverte, de la fin d’une emprise. « Retenir » c’est pour [krateô] (que nous avons dans notre démo-cratie, par exemple) : être fort, être le maître, le possesseur, contraindre, forcer, se rendre maître, dominer…

     Je ne sais pas bien ce que veulent dire ces paroles. Mais il me semble que ces approximations dessinent une sorte de chemin. C’est comme si Jésus indiquait, avec la force intérieure de l’Esprit, d’aborder le monde sans vouloir refermer la main ou imposer ni dominer, mais plutôt avec les mains ouvertes (peut-être par des blessures, comme lui ?), en permettant, en laissant vivre, en laissant le mouvement se faire. Il y a en nous son Esprit, assez de force pour vivre et faire vivre et donner la vie. Mais alors pourquoi cette histoire de « péchés » ? Peut-être parce que, même pour ce qui est de la foi en Jésus, nous n’avons pas à vouloir imposer, être les maîtres. Peut-être que Jésus nous donne au fond un avertissement en même temps qu’une orientation : allez avec ouverture et dans un esprit d’ouverture, laissez aller, laissez vivre, et vous donnerez la vie. Mais attention : « ceux à qui vous retiendrez, ce sera retenu » : le pire peut aussi arriver si vous n’avez pas la bonne attitude, car vous pourrez aussi établir votre pouvoir. Le pire, c’est que « vous y parviendriez ». Et toute cette force d’ouverture dans laquelle vous avez été expulsés, redeviendrait fermeture. Puissions-nous en être à jamais gardés !

7 commentaires sur « Dimanche 23 avril : ouverture. »

  1. « Vivre la foi, ce n’est pas un câlin incessant: c’est la rudesse de la vie du grand monde dans lequel il nous projette. Ce sera la fin de nos peurs, quand nous aurons admis que le monde tel qu’il est, et la vie telle qu’elle est, et notre histoire telle qu’elle est, sont les conditions de notre vie renouvelée »… Dieu qu’il m’est difficile de garder foi quand la vie de ceux que j’aime, telle qu’elle est, les malmène et les blesse. Et pourtant, combien leur foi à eux me semble plus forte que la mienne face à la rudesse de leurs épreuves… Comment chasser les peurs qui me bloquent ?…. Merci de ces enseignements qui donnent, qui redonnent, espérance…

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