31 Alors arrivent sa mère et ses frères. Restant au-dehors, ils le font appeler. 32 Une foule était assise autour de lui ; et on lui dit : « Voici que ta mère et tes frères sont là dehors : ils te cherchent. » 33 Mais il leur répond : « Qui est ma mère ? qui sont mes frères ? » 34 Et parcourant du regard ceux qui étaient assis en cercle autour de lui, il dit : « Voici ma mère et mes frères. 35 Celui qui fait la volonté de Dieu, celui-là est pour moi un frère, une sœur, une mère. »
Et voici maintenant un épisode qui fait écho à l’avant-dernier, et qui forme avec lui comme une sorte d’écrin autour du dernier que nous avons lu. Dans les deux, il est question de la famille de Jésus : on se souvient que dans le premier, c’était une des deux hypothèses d’interprétation, que des membres de sa famille viennent le chercher, peut-être depuis Nazareth, pour le « protéger » bien malgré lui.
« Et vient sa mère, et aussi ses frères, et debout à l’extérieur ils envoient l’appeler. » Voici qu’arrive sa mère : Marc la mentionne ici pour la première fois, et c’est d’abord d’elle qu’il s’agit, car le verbe est au singulier. Les frères sont ajoutés, comme un surcroît. C’est un mot plus générique dans cette culture que dans la nôtre, mais il s’agit bien d’autres membres de la famille. Ils viennent sans doute en renfort de la mère qui, nommée en premier, est à la tête de la « délégation ». Le fait qu’elle ait pris avec elle d’autres membres de la famille, frères, oncles ou cousins, montre une intention de faire nombre et peut-être de créer une contrainte, de se montrer fort. Le reste de la scène renforce d’ailleurs cette impression : tous se tiennent debout, comme des gens qui n’ont pas l’intention de rester, qui sont là pour s’en aller. Ils n’entrent d’ailleurs pas dans la maison, manifestant clairement qu’ils ne comptent pas profiter de l’hospitalité qu’on leur offrirait sûrement, ils ne sont pas venus pour une visite de courtoisie, pour savoir de Jésus comment il va et « comment ça se passe ». Non, ils l’envoient appeler, il doit sortir et répondre à une convocation.
Tout se passe comme si, en fait, la narration avait été précédemment interrompue et qu’elle reprenait ici. On aurait alors (premier temps) : les choses prennent une telle tournure que la famille de Jésus se déplace jusqu’à Capharnaüm, devant la maison de Simon et André, avec l’intention de se saisir de lui, et fait savoir ses intentions en s’approchant avec comme raison donnée : « il n’est plus lui-même », puis (deuxième temps) : ils arrivent devant la maison et le font appeler (et la suite qu’on va explorer). Insérer, au milieu d’un tel ensemble, le passage concernant la campagne de communication des scribes de retour de Jérusalem, fait ressortir la question du « slogan » : eux disent : « il a Béelzéboul », quand sa famille dit : « il n’est plus lui-même ». Les deux cas ne sont pas si éloignés. Et peut-être Marc suggère-t-il que la démonstration d’absurdité par Jésus, ainsi que l’avertissement donné, ne s’adresse pas qu’aux scribes, mais peut être mutatis mutandis appliqué aussi à sa famille de sang…
« Et une foule était assise autour de lui… » Le verbe [kathèmaï] signifie être assis, mais aussi demeurer, être établi : il fait contraste avec ceux qui restent debout, et montre vraiment deux groupes bien distincts dans leurs intentions. J’avoue ne pas voir très bien comment Marc fait pour faire tenir une foule dans la maison, mais il y a certainement chez lui le propos de former un autre trait de contraste entre les deux groupes, non seulement dans l’attitude (debout /assis) et par là dans le propos (partir / rester), mais aussi dans la proximité avec Jésus : à l’intérieur ou à l’extérieur, c’est-à-dire faisant partie de sa maison ou pas. Disons que la maison est « pleine comme un œuf » de gens décidés à rester avec lui et qui se sont centrés sur lui (ils sont autour) pour mieux l’écouter, c’est-à-dire exactement ce qu’il cherche depuis le début.
« Et on lui dit : … », ou « et ils lui dirent« . Qui ? Sans doute ceux que sa famille a envoyé l’appeler. Leur identité importe peu à Marc, il fait juste observer au passage que sa mère (et ceux avec elle) ne s’adresse pas à lui directement mais fait porter un message et une convocation. Le message : « Voici que ta mère, ainsi que tes frères, dehors, te cherchent« . Ils sont bien dehors. Et le sens de « ils te cherchent dehors » est multiple : ils ne sont pas au bon endroit et le cherchent où il n’est pas, ou bien ils n’entrent pas auprès de lui, ou bien encore ils cherchent sans intériorité… Le verbe [dètéoo] signifie bien chercher, mais bien avec l’idée de l’aboutissement : chercher à rencontrer, chercher à connaître, chercher à obtenir, et même regretter l’absence de … Ils n’obtiennent pas ce qu’ils désirent, ils restent dans un processus inabouti, inachevé. Le messager ne fait qu’énoncer ce constat. Il s’agit bien sûr d’une prière muette : fais ce qu’il faut pour qu’ils ne restent pas en cet état, viens au devant d’eux. Mais la formulation retenue sonne comme un aveu. On ne peut pas chercher Jésus en restant dehors, ni avec l’intention de partir.
« Et il leur répondit, disant : « qui est ma mère -et mes frères- ? » L’interrogation est radicale. Mère, frère, sont des noms de relation, des noms qui ne font que nommer une relation. Le verbe est toujours au singulier, la question porte donc avant tout sur la mère, et sur les frères par voie de conséquence, ils viennent vraiment en surplus. Il est vrai qu’en interrogeant ainsi, Jésus fait voir le mot qui fait levier dans le message précédent : en identifiant une personne comme mère, on induit aussi un certain nombre d’obligations, une charge (affective, juridique) dans la relation qui crée des priorités. En répondant ainsi, il me semble que c’est cela que Jésus interroge, il ne se demande pas s’il est bien le fils de cette personne. Il demande plutôt quelles relations sont à son avis prioritaires. Nous remarquons au passage l’approche plutôt négative par Marc de la mère de Jésus, nous ne sommes pas habitués à un tel regard posé : mais c’est celui de Marc, et il fait partie comme tel des témoignages fondateurs.
« Et jetant un regard circulaire sur ceux assis en foule autour de lui, il dit : voici ma mère et mes frères. Celui-là, s’il fait la volonté du dieu, celui-là est mon frère et ma sœur et ma mère. » Le regard de Jésus parcourt la foule exactement comme elle a été décrite, et Marc se répète. C’est dire si cette situation illustre ce que Jésus cherche et ce que Marc veut dire. Ils sont ensemble, ils sont avec lui, ils y sont pour rester, ils demeurent avec lui (puisqu’il sont dans la maison), ils écoutent, et c’est sa parole qui est leur centre. Et c’est là que va sa priorité, là que vont ses affections et ses attentions par-delà toute autre relation au monde. Remarquons aussi, puisque les noms désignent des relations et engagent donc chacun des deux termes de celle-ci, que Jésus ne se situe lui-même pas autrement avec les foules attentives que comme un frère, voire un fils. Jamais il ne se fait père. Cela est très original, et devrait nous frapper encore. C’est lui qui énonce la parole du dieu, pour autant il n’est pas dans une relation de supériorité, mais d’égalité voire d’infériorité !
Et qui déclare-t-il être dans cette relation privilégiée avec lui ? « Celui-là« , c’est-à-dire un de ceux qui sont assis autour de lui à écouter la parole qui n’est pas de lui. Mais cela ne suffit pas, il y a aussi une condition, énoncée comme telle en grec : « …s’il fait la volonté du dieu« . Ce qui laisse entendre déjà qu’écouter la parole va bien au-delà d’une attention réceptrice, mais va jusqu’à une pratique opératoire. Une fois entendue la volonté du dieu à travers la parole que porte Jésus, il faut encore la faire, la vivre, la mettre en application, l’incarner dans sa vie. Et là, on est de la vraie famille de Jésus, c’est-à-dire de ses proches, de ceux auxquels il donne sa priorité, de ceux qui peut-être mettent ont un vrai « pouvoir » sur lui, en tous cas peuvent lui demander quelque chose avec une chance d’être entendus.

Finalement, alors qu’une nouvelle situation s’est développée et que nombreux sont ceux qui ne sont pas des « aides » pour lui, Jésus trouve enfin et désigne ceux qu’il cherche, ceux qui cherchent en vérité -ce peuple qui cherche à revenir vers son dieu : ceux qui ont assez soif de la parole de dieu pour se tenir avec Jésus où il est, avec la perspective de mettre en application ce qu’ils auront entendu.
Un commentaire sur « Le peuple de ceux qui le cherchent (Mc.3, 31-35) »