Jésus se mit de nouveau à enseigner au bord de la mer de Galilée. Une foule très nombreuse se rassembla auprès de lui, si bien qu’il monta dans une barque où il s’assit. Il était sur la mer, et toute la foule était près de la mer, sur le rivage. Il leur enseignait beaucoup de choses en paraboles, et dans son enseignement il leur disait : « Écoutez ! … »
« Et de nouveau il commença à enseigner au bord de la mer ; … » Il semble que Marc franchisse ici une nouvelle étape dans son ouvrage. Il nous a montré en introduction les grandes lignes de son projet, le sens qu’il mettait à la mission de Jésus. Puis il nous a présenté son personnage en un premier chapitre, suivi d’un deuxième où il nous a fait voir la situation concrète dans laquelle Jésus exerce sa mission, entre oppositions, pressions et incompréhensions, et aussi les moyens pris par Jésus pour maintenir sa mission dans les bons cadres. Or Marc nous ramène maintenant au bord de la mer, là où Jésus avait commencé, puis recommencé. Il le fait consciemment, avec un « de nouveau » significatif.
Et ce à quoi Marc s’intéresse maintenant, c’est précisément à l’enseignement de Jésus. Le verbe grec [didaskéïn] que nous trouvons ici, a déjà été utilisé par Marc pour ce que Jésus fait dans la synagogue de Capharnaüm, ou avec les foules au bord de la mer après la guérison du paralysé passé par le toit -et il nous a d’ailleurs donné deux exemples de cet « enseignement » à travers trois micro-paraboles. A noter que « enseigner » ne fait pas partie de ce à quoi sont associés les Douze ! Et que veut dire ce mot ? Il signifie enseigner, instruire, aussi bien un savoir qu’une pratique ; il peut aussi signifier expliquer. Dans tous les cas, ce verbe engage un processus dans la durée, avec une idée de progression. Et l’on comprend bien que Marc s’attache maintenant à cet aspect du ministère de Jésus, quand il vient de nous décrire, en concluant le chapitre précédent, une « foule » assise autour de Jésus à l’écouter. Il était tout naturel de nous faire approcher et écouter nous aussi ce qu’il leur dit…
« Et se rassembla devant lui une foule nombreuse, au point qu’il monta dans une barque et s’assit en mer, et toute la foule était devant la mer, sur la terre [ferme]. » Le phénomène déjà noté se reproduit : foule nombreuse, et par conséquent dangereuse, et aussi le moyen de lui échapper. Mais cette fois, une autre nuance se dessine, du fait de la répétition de « devant » : la « foule nombreuse » se rassemble « devant lui » , mais une fois faite la manœuvre, elle se rassemble « devant la mer« . Jésus n’a pas échappé à la foule, il s’est juste mis en sécurité, mais aussi en situation de lui parler. L’eau sera un (excellent) porte-voix. Autre évolution, alors que dans l’épisode précédent il était au milieu (sans que sa posture soit précisée) et la foule assise autour de lui, c’est maintenant lui qui est assis et la foule devant (sans que sa posture à elle soit précisée). Marc lui donne la posture classique du maître.
« Et il les enseignait en paraboles de nombreuses choses,… » Les fameuses « paraboles« , ou comparaisons sont la forme, le style de son enseignement. Et ce que Marc dit, c’est que ce choix permet un enseignement riche, il permet d’enseigner beaucoup de choses en peu de mots. C’est donc que ces comparaisons sont destinées à être approfondies, nous en sommes déjà prévenus : et pour ce faire, il va falloir qu’elles soient aisées à mémoriser, au moins pour des personnes qui ont l’habitude d’écouter et dont la culture est avant tout orale -et la mémoire par conséquent entraînée. C’est là un choix qui montre de la part de Jésus, là encore, une attention à ne pas surjouer sa présence. Il donne l’enseignement certes, et il est le seul à le donner (les Douze ont mission, en « étant avec lui« , de « clamer » et « chasser les démons« , mais pas d’enseigner), mais il le donne de telle sorte que chacun le possède, que chacun peut repartir avec et se « repasser le podcast » dans sa mémoire, de manière totalement autonome et à volonté. Il a trouvé un moyen pour que sa parole habite en chacun sans qu’il ait besoin d’être lui-même physiquement présent. C’est d’une chasteté admirable ! Comme on est loin des charmeurs et manipulateurs !

« …et il leur disait dans son enseignement : écoutez ! » Marc, avant de nous donner plusieurs paraboles, nous en fait comme un résumé. Le cœur du message tient en un mot, [akouété], écoutez. [akouoo], c’est d’abord entendre, c’est-à-dire s’ouvrir à une relation qui s’offre, et ce par le sens de l’ouïe, qui est avec la vue celui des sens qui engage déjà dans la distance. Mais précisément, l’ouïe ne suppose pas la vue, il peut nouer une relation dans l’invisible. Il met moins en œuvre l’imaginaire (un peu tout de même, quand c’est une voix humaine, avec le ton ou le timbre de la voix), mais met très vite en œuvre la pensée, la réflexion. Le verbe signifie aussi être auditeur de…, suivre les leçons de… ou être disciple. Et par là il signifie aussi apprendre, comprendre, toutes nuances qui font entrer en correspondance avec un enseignement, et sont donc ici particulièrement adaptées. Lui va enseigner, mais les auditeurs ne sont pas laissés dans la passivité, leur attitude est active. Le verbe signifie encore prêter l’oreille et obéir : nous voyons là surgir l’attention, capitale, et aussi le prolongement au-delà de l’instant présent. Ce qui va être entendu n’est pas fait pour disparaître et s’évanouir, mais pour engendrer des conséquences dans la vie de chacun, individuelle ou collective. L’injonction dessine donc toute une attitude de disciple, avec de nombreuses nuances sur lesquelles chacun peut réfléchir pour s’examiner.
Notons que cette injonction, « écoutez !« , est donnée dans l’absolu, sans complément. Il ne dit pas qui, il ne dit pas quoi. Il me semble que c’est tout-à-fait intentionnel, et sans doute pas une simple élipse. Bien sûr, on comprend dans la circonstance qu’il s’agit d’écouter Jésus et ce qu’il va dire. Bien sûr, on comprend qu’il s’agit d’entrer en relation avec lui et son enseignement, de fixer son attention, de mettre en œuvre son intelligence à partir de ce qu’il dit, de se préparer à en faire quelque chose dans sa vie. Mais il me semble aussi, en donnant cette injonction dans l’absolu, que Marc invite à cette attitude d’écoute du disciple de manière beaucoup plus large : il écrit quand Jésus n’est plus physiquement ni visible ni audible. Et peut-être que l’attitude du disciple est cette écoute constante, à travers toute rencontre, tout évènement. Il cherche ce que Jésus dit et enseigne dans toutes les circonstances. Et tout peut être vecteur de sa parole et de son enseignement.
Un dernier mot pour finir, sur l’attention. Je ne résiste pas à citer ce que dit la philosophe Simone Weil à ce sujet, comment elle la définit. Il me semble que cela peut nous aider dans cette attitude sans doute attendue du disciple en toutes circonstances, dans la recherche de la parole : « L’attention consiste à suspendre sa pensée, à la laisser disponible, vide et pénétrable à l’objet, à maintenir en soi-même à proximité de la pensée, mais à un niveau inférieur et sans contact avec elle, les diverses connaissances acquises qu’on est forcé d’utiliser. La pensée doit être, à toutes les pensées particulières et déjà formées, comme un homme sur une montagne qui, regardant devant lui, aperçoit en même temps sous lui, mais sans les regarder, beaucoup de forêts et de plaines. Et surtout, la pensée doit être vide, en attente, ne rien chercher, mais être prête à recevoir dans sa vérité nue l’objet qui va y pénétrer. » (Simone Weil, Réflexions sur le bon usage des études scolaires…, 92-93)
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