Précédé par la parole (Mc.4,24-25)

Il leur disait encore : « Faites attention à ce que vous entendez ! La mesure que vous utilisez sera utilisée aussi pour vous, et il vous sera donné encore plus. Car celui qui a, on lui donnera ; celui qui n’a pas, on lui enlèvera même ce qu’il a. »

Voici de nouveau un texte très cours, placé là par Marc comme nous en avertit l’introduction : « Et il leur disait…« . Marc a sans doute recueilli un autre « dit » de Jésus, et il a fait le choix de le placer à cet endroit de son texte.

La raison pourrait bien être apparente dès les premiers mots : « … voyez ce que vous entendez. » Le dit précédent s’est fini par une injonction à entendre : « Si quelqu’un a des oreilles pour entendre, qu’il entende ! » et nous avons cru comprendre là que chacun était invité à être attentif à ce qu’il recevait de la parole à travers ce qu’elle transformait chez ceux qui l’avaient reçue. Il semble maintenant que cette invitation soit prolongée, que l’attention se porte justement sur la qualité d’écoute. En tous cas, c’est ce qu’induit le choix fait par Marc de placer là ce nouveau dit de Jésus.

Notons la manière bien particulière et concrète avec laquelle cette invitation est faite, associant deux sens, l’ouïe et la vue : « … voyez ce que vous entendez. » Bien sûr, ce « voyez ! » est l’équivalent d’un « soyez attentif ! » Mais il y avait d’autres mots pour la même chose, ceux-là donnent en quelque sorte une forme à cette attention. Il y a une invitation à se représenter ce qui est entendu. Cela veut dire que notre imagination est sollicitée, peut-être pour en recevoir une plus grande fécondité. Notre écoute ne demande pas qu’une compréhension intellectuelle, notionnelle, abstraite, mais au contraire veut entrer dans le concret. C’est là un point fort intéressant : la parole, quand elle sort de la bouche de Jésus, se donne sous forme d’image dans les paraboles. Mais quand elle nous atteint à travers la vie de ceux que cette parole a fécondé, il faudrait aussi qu’elle fasse image, et peut-être bien pour pouvoir, par l’imagination, habiter la mémoire et être là encore objet d’une réflexion ultérieure. Ce serait fort cohérent, et nous montrerait alors que cette parole médiatisée par la vie d’autres personnes est faire pour avoir la même force, le même impact. Elle est authentique.

« Dans la mesure dont vous mesurez il vous sera mesuré et vous sera appliqué » ou « ajouté » On parlait précédemment d’un boisseau (sous lequel il apparaissait ridicule de placer une lampe, une fois renversé) : cet instrument est un [métron’], ce dont il est parlé ici d’une façon plus générale. Le [métron’] (je mets une apostrophe, parce que le « n » final doit sonner) peut-être un bâton d’arpenteur, ou un contenant. Il peut désigner aussi ce qui a été mesuré, mais on voit clairement ici qu’il s’agit de l’instrument de mesure. Eh bien ce dont nous nous servons pour mesurer, c’est cela même qui va être utilisé pour mesurer ce qui nous est donné ou dû.

Le sens premier est limpide mais… de quoi parle-t-on, au fait ? On dirait qu’il y a comme un hiatus entre cette sentence très générale et le discours qui la précède. Quel rapport en effet entre cette mesure que l’on a pour les autres et qui servira pour soi, et le fait d’écouter en se représentant, d’écouter ce qui nous vient de la parole à travers ce que vivent ceux qui l’ont accueillie ? C’est peut-être bien cela, justement : c’est à l’aune de notre écoute que nous serons à notre tour écouté. Autrement dit, avoir le propos d’être témoins de la parole, de la transmettre à d’autres, de la faire résonner pour d’autres, c’est bien, mais cela commence par le fait d’écouter aussi ces autres. Peut-être ont-ils déjà reçus la parole ? Peut-être est-elle déjà à l’oeuvre dans leur vie ? Peut-être avons-nous d’abord quelque chose à recevoir d’eux, avant que de vouloir leur apporter ? Et surtout : c’est dans la mesure où ils se sentiront écoutés, reconnus, valorisés par notre attention, c’est dans la mesure où ils se reconnaîtront dans ce que nous dirons recevoir d’eux, qu’ils seront disposés à recevoir aussi de nous-mêmes.

Cette « loi » est peut-être avant tout une loi de l’apôtre, du témoin de la parole. Ecoute d’abord, écoute sincère qui cherche dans la vie de l’autre les traces de la parole que l’on prétend y apporter. Ecoute et restitution à eux, dans l’action de grâce, de ce que l’apôtre ou le témoin ont encore reçu de la parole. Partout elle précède l’apôtre ou le témoin. Et dans la mesure où cela est vrai, sincère, réel, s’ouvrent aussi le cœur et les oreilles de ceux auxquels l’apôtre ou le témoin s’adresse. Il ne s’agit pas de stratégie de prosélytisme, mais d’une sorte de loi profonde, une sorte de règle de vérification de l’authenticité de la démarche apostolique. Et j’oserais dire : tant que tu n’as pas trouvé dans la vie de l’autre (ou des autres) des traces de la parole, tu n’est pas en droit de parler ni d’annoncer. D’abord contemple et admire. Et dis ce que tu as vu et admiré. Et c’est en cela même que tu pourras peut-être, s’il y a lieu, ajouter encore.

Et c’est là d’ailleurs le dernier mot de ce passage, qui corrobore peut-être la façon que nous avons eue de le comprendre : « car celui qui a, il lui sera donné ; et celui qui n’a pas, même ce qu’il a sera enlevé de lui. » Ainsi c’est bien cela : « celui qui a » déjà dans sa vie des traces du travail de la parole, celui-là en recevra encore ; il sera surajouté, à ce qui lui sera découvert comme déjà authentique et en accord avec la parole, d’autres pistes de vie pour être encore plus en phase avec cette parole du dieu. Mais -et c’est terrible- celui chez qui l’apôtre ou le témoin ne découvrirait pas de traces de la parole qui l’aient précédé, non qu’il n’y en ait pas, mais elles ne lui sont pas manifestées, rendues, restituées, celui-là n’est pas mis par là dans les dispositions où il pourrait recevoir encore, et partant, il ne peut recevoir quoi que ce soit, et ce qui s’y trouvait déjà va se perdre faute d’être relevé et entretenu. Terrible responsabilité de l’apôtre ou du témoin de la parole, quand il ne prend pas le temps de commencer par le chemin authentique, c’est-à-dire par découvrir et écouter la parole qui l’a précédé.

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