Implication politique (Mc.6,14-16)

Le roi Hérode apprit cela ; en effet, le nom de Jésus devenait célèbre. On disait : « C’est Jean, celui qui baptisait : il est ressuscité d’entre les morts, et voilà pourquoi des miracles se réalisent par lui. » Certains disaient : « C’est le prophète Élie. » D’autres disaient encore : « C’est un prophète comme ceux de jadis. » Hérode entendait ces propos et disait : « Celui que j’ai fait décapiter, Jean, le voilà ressuscité ! »

Voici maintenant un épisode qui déplace les évènements sur un tout autre terrain : « Et le roi Hérode entendit, notoire en effet devenait son nom… » Avec cette mention du roi, c’est en effet sur le terrain de la politique que nous nous retrouvons. Il n’a pour l’instant été question d’Hérode qu’une seule fois, et encore de manière incidente : ce sont de ses partisans que les Pharisiens s’étaient rapprochés, on s’en souvient, quand ces derniers ont commencé à juger que Jésus ne respectait pas la Loi -et on se rappelle aussi que ce rapprochement était plutôt contre nature, dans la mesure où les Pharisiens estimaient habituellement que Hérode n’était pas un roi tel qu’attendu par les Ecritures, pas non plus une autorité compétente pour faire respecter la Loi.

Cette fois, c’est Hérode lui-même qui intervient. Mais s’agit-il vraiment d’une intervention ? Marc nous dit seulement que le roi « entend« … Mais réfléchissons à ce que cette mention veut dire : « notoire devenait son nom« , le nom de Jésus bien sûr. Il commence d’être connu, son nom circule, les gens parlent, ils se parlent de lui. On se dit les uns aux autres ce qu’il fait, ce qu’il a fait, on commence à avoir des espoirs, on fait des hypothèses, on construit une réputation. Il devient populaire, aujourd’hui il commencerait à être introduit dans les sondages d’opinion et de popularité. Et cela, c’est aussi politique : tout ce qui touche le peuple dans son entier a une dimension politique. Et quand Marc dit que Hérode « entend« , cela signifie que la rumeur au sujet de Jésus et sa popularité commencent à affecter son gouvernement, qu’il commence à être obligé d’en tenir compte. Et il y a un stade où un dirigeant en tient compte simplement comme d’une nouvelle donnée, mais il y a aussi un stade où un dirigeant commence soit d’y trouver avantage, soit d’en être gêné…

Voyons à quel stade en est Hérode. « et il disait : Jean le baptiseur s’est relevé d’entre les morts et à cause de cela les pouvoirs se produisent en lui. » Voilà que nous découvrons la mort de Jean Baptiste : Marc nous en avertit de manière tout-à-fait incidente. Mais la thèse d’Hérode, à propos de Jésus, c’est qu’il s’agit de Jean ressuscité. Cela explique pour lui la différence avec Jean, qui était un homme de parole, un prédicateur, un prophète, mais dont on n’a jamais rapporté le moindre acte merveilleux. Si l’on s’en tient à la lecture de Marc, Jésus non plus n’accomplit pas vraiment d’actes merveilleux : il appelle les personnes à se faire confiance autant que lui leur fait confiance, et à aller ainsi au bout de leurs désirs ou de leur foi. Mais « les gens » lui font une réputation différente, et c’est cette réputation qui parvient aux oreilles d’Hérode. Il voit là la différence avec Jean, mais il l’explique par le fait d’une résurrection d’entre les morts, accordant sans doute d’autres « pouvoirs » à celui qui en bénéficie. Tel est en tous cas l’imaginaire du roi Hérode.

Mais si le roi Hérode explique une différence avec Jean, il ne faut pas oublier qu’il fait aussi le rapprochement, autrement dit qu’il voit avec Jean une forte ressemblance : et quelle est celle-ci, sinon ce fait de rassembler par sa parole d’immenses foules ? Autrement dit, d’être un personnage public qui agit sur les foules, en déplace d’immenses, réveille chez elle des espérances et des aspirations, … avec lesquelles son pouvoir politique doit composer ? Et c’est cela surtout que sous-entend la réflexion d’Hérode telle que Marc nous la rapporte.

Cet avis lui est assez personnel : Marc nous montre aussi ce que d’autres pensaient : « D’autres disaient en revanche qu’il était Elie. D’autres disaient encore [qu’il était] un prophète comme un des prophètes. » Assimiler Jésus à Elie, c’est assurément faire de lui une autorité religieuse : Elie partageait avec Moïse, dans le judaïsme du temps, le statut de « shaliah« , c’est-à-dire de ministre plénipotentiaire du dieu d’Israël, un des deux capables de prendre des décisions qui engagent le dieu lui-même. C’est aussi une nuance eschatologique, car Elie était réputé, lui qui était monté au ciel sur un char de feu, revenir pour la fin des temps. Plus modérément, assimiler Jésus à un prophète dans la suite des prophètes, c’est tout de même reconnaître une particulière autorité à sa parole.

Ces réputations de Jésus, ces avis à son propos, sont-ils des rumeurs qui parviennent elles aussi aux oreilles d’Hérode ? Ou bien a-t-il discuté avec son entourage, et sont-ce là des avis de quelques uns de ses conseillers ? Qu’importe en fait : ce qui est intéressant, c’est plutôt la différence avec son avis de roi. Pour d’autres, on est dans le registre religieux, et ce qui est surtout noté, c’est sa parole et l’autorité dont elle peut se réclamer, à des degrés divers. Mais pour lui, le roi, ce n’est pas le problème. Et Marc va nous le faire aussitôt comprendre.

« Une fois ces choses entendues, Hérode dit : le Jean que moi j’ai décapité, c’est celui-ci qui s’est relevé. » Hérode entend bien le registre religieux dans lequel les autres situent Jésus, mais son approche est différente, et elle est le registre de l’agir -ce qui ressortit en effet au politique. On savait que Jean avait été arrêté, on apprend maintenant que Jean est mort, et que Hérode l’a fait décapiter : c’est une sentence de mort qu’il a prononcée contre Jean. On n’en sait pas la raison mais le fait est là, et Hérode l’assume, en disant « moi, j’ai décapité« . En politique, Hérode a agi. Jean était-il un délinquant ou un criminel ? Evidemment non. Il s’agit donc d’un acte politique, de la suppression d’un gêneur. Et l’on comprend désormais qu’Hérode soit très inquiet : s’il a éliminé Jean, c’est pour en être définitivement débarrassé. Mais s’il est revenu à la vie, comment s’en débarrassera-t-il ? Et Hérode voit même en Jésus un Jean plus puissant encore qu’auparavant : il agit lui aussi ! C’est désormais un concurrent direct, une vraie menace pour son pouvoir.

Comprenons bien le point de vue d’Hérode : la parole de Jean, son côté « prophète », ne l’inquiétait pas vraiment. En revanche, les mouvements de foule que sa parole provoquait, cela l’ennuyait beaucoup plus, car tout ce qui fait se mouvoir le peuple concerne le pouvoir politique. Et l’on devine que Jean a suffisamment inquiété Hérode et son pouvoir pour qu’il le fasse arrêter, pour qu’il fasse cesser son activité et le prive du contact avec les foules. Mais si Jean revient, libre et vainqueur de la mort, plus aucun pouvoir ne peut s’opposer à lui. Qui plus est, le Jean qui parlait (avec effets) est devenu (aux dires des rumeurs qui remontent jusqu’à Hérode) un Jean qui fait des œuvres puissantes, qui manifeste des « pouvoirs ». Hérode se sent donc clairement menacé.

Et ce que Marc nous dit encore, à travers ce court passage, c’est que tout ce ressentiment d’Hérode, juste ou non, s’exerce envers Jésus ! Il devient pour le pouvoir d’Hérode une menace d’autant plus grande qu’elle semble invincible. On imagine très bien que son action politique va se faire progressive, aussi insensible que possible, et néanmoins très construite et ciblée. Au moment où Jésus vient de décider de ne plus être le seul qui circule mais d’envoyer aussi les Douze, cela va représenter une menace encore plus grande pour Hérode.

Tout ceci, bien entendu, est le point de vue d’Hérode. Du côté de Jésus, on ne perçoit pas, du moins à travers la plume de Marc, le moindre choix d’ordre politique, sinon au sens très large de réveiller un peuple, d’aller à la rencontre du peuple qui désire -sans savoir comment- revenir vers son dieu. Le propos est d’ordre spirituel, « religieux » si l’on veut (mais pas au sens qui inclut une ritualité ou l’institution de nouveaux éléments). Et pourtant il va faire naître une réaction d’ordre politique, parce que le politique ne peut pas ignorer ce qui concerne l’ensemble d’un peuple : il y a là comme un signe du succès effectif de la mission de Jésus, autant qu’une menace pour la suite de son déroulement.

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