30 Partis de là, ils traversaient la Galilée, et Jésus ne voulait pas qu’on le sache, 31 car il enseignait ses disciples en leur disant : « Le Fils de l’homme est livré aux mains des hommes ; ils le tueront et, trois jours après sa mort, il ressuscitera. » 32 Mais les disciples ne comprenaient pas ces paroles et ils avaient peur de l’interroger.
Un seul mot de liaison est ici l’indice, sans doute, d’une couture un peu artificielle : « Et sortis de là, ils passaient le long à travers la Galilée,… » L’indication d’être « sortis » évoque l’enfermement préalable, ou le piège. Mais il peut aussi s’agir d’une simple indication locale : on se souvient que, depuis un bon moment maintenant, Jésus et les Douze sont « hors-frontières ». Or Marc indique immédiatement à la suite que les voilà traversant la Galilée. Le retour au « pays », ou du moins dans la zone initiale de ministère, est effectif. « Passer le long » était le verbe avec lequel Marc montrait un cheminement le long de la mer de Galilée : est-ce cela qu’il suggère de nouveau ? Et le deuxième membre de phrase, « à travers la Galilée« , reprendrait les autres moments du ministère de Jésus, où il parcourt tous les villages et les campagnes ? On aurait alors, en une phrase un peu allusive, une sorte de résumé de tout ce qui avait précédé le déport volontaire vers la région de Sidon : Jésus reprendrait ses activité précédentes.
« …et il ne voulait pas que quelqu’un le sache :… » La différence avec les débuts est de taille : cette fois-ci l’anonymat est recherché. Il y a là un choix très énigmatique, celui d’être là, de revenir là où les Pharisiens et les Hérodiens auraient force pour l’arrêter ou lui nuire, mais en même temps le choix de ne pas le faire savoir. Il juge sans doute que son ministère n’a pas besoin de la « publicité » pour s’exercer, il demeure tout aussi réel et conforme à sa mission s’il est dans la discrétion et la relation interpersonnelle, qui prend le temps du soin et de l’attention, et demande en retour la discrétion. L’ostentation n’est pas nécessaire au ministère de Jésus.
« il enseignait en effet ses disciples et leur disait : « le fils de l’homme est livré entre les mains des hommes, et ils le tueront, et tué, après trois jours il sera relevé ». » Il me semble que ces mots ne disent pas la raison pour laquelle Jésus ne veut pas « que quelqu’un le sache« , au sens où cet enseignement ne devrait pas s’ébruiter. Il en donne plutôt la raison, au sens où on le recherche, où on veut le tuer. La discrétion est de mise pour éviter l’arrestation et la mort. Mais le message, lui, doit continuer à passer, et il ne faudrait pas oublier de remarquer que Jésus, même dans ces conditions oppressantes, continue d’annoncer le royaume, continue d’aller au nom du dieu à la rencontre du peuple qui cherche à revenir vers lui. C’est là sans doute un message très important : l’annonce n’a toujours pas Jésus et sa destinée pour centre, mais il est toujours mené, même dans les conditions les plus contraires. En revanche, ces conditions sont explicitées aux disciples, et le rappel constant de ce qui arrive au maître reste comme une perspective éventuelle pour les disciples. Et quand Marc écrit, les disciples sont sans doute dans des conditions très voisines des conditions dans lesquelles se trouve à présent Jésus, de sorte qu’il est évident pour les premiers lecteurs ou auditeurs de l’évangile de Marc que disciples, ils sont dans les conditions où était leur maître.

« Or eux ignoraient ce mot, et avaient peur de l’interroger. » Ce que Marc souligne à présent, c’est la répulsion des disciples pour ce qui leur est présenté. A y regarder de près, en effet, on aurait tort de parler (comme on le fait souvent) d’incompréhension. S’ils ne comprenaient pas, comme il est déjà arrivé, ils l’interrogeraient. Mais ici c’est tout le contraire, ils sont plutôt dans de que nous appellerions aujourd’hui le déni. L’ignorance n’est pas une simple absence, mais plutôt ce choix d’ignorer, ce faire comme si on n’avait pas entendu. C’est bien plutôt la peur qui domine, et le mot que Marc emploie à cet effet évoque toujours la fuite. Les disciples fuient les questions : au fond, ils n’ont que trop bien compris, mais ils ne veulent pas de ce scénario, ils voudraient croire à un autre.
Au total, dans ce bref passage de transition, nous avons comme un bilan d’étape : dans l’enseignement que Jésus a entrepris vis-à-vis des Douze, et qui s’est d’abord déroulé en Galilée, il a d’abord construit leur rapport à la foule pour leur en apprendre le service et l’attention. Puis il a quitté la Galilée pour se porter dans des régions « hors-frontières » où il a pu mesurer, en même temps que leur donner à voir, que l’attente et les désirs n’étaient pas moins présents. Autrement dit, que ce peuple qui cherche à revenir vers le dieu n’est pas tout entier dans les frontières d’Israël. Et puis une demande de signe formulée par les Pharisiens, qu’il a méditée, lui a fait comprendre qu’ils en étaient à s’opposer maintenant directement à sa personne, comme messager inauthentique, et son enseignement s’est augmenté d’une révélation aux Douze de sa destinée, en même temps que du dessein divin dans la manière de concevoir le salut. Il s’est donc mis à dire aux Douze (mais le temps devient court désormais) quelle était cette issue, et quel son sens ; quelle aussi leur propre destinée s’ils choisissaient de le suivre. Il revient maintenant en Galilée, très conscient de ce qui l’attend, pour affronter sa destinée : non pas pour chercher la mort, car la discrétion est au contraire une stratégie pour y échapper, mais pour poursuivre sa mission, très conscient du risque qu’elle constitue.
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