Une énorme ambiguïté (Mc.13,3-4)

Et comme il s’était assis au mont des Oliviers, en face du Temple, Pierre, Jacques, Jean et André l’interrogeaient à l’écart : « Dis-nous quand cela arrivera et quel sera le signe donné lorsque tout cela va se terminer. »

« Et après qu’il se soit assis dans la montagne des Oliviers, faisant face au-dessus du temple, Pierre et Jacques et Jean et André l’interrogeaient à part. » Nous voilà en un autre lieu que dans la séquence précédente, mais nous pourrions fort bien être dans une suite « logique » : vers le soir, Jésus sort du temple (où un de ses disciple l’interpèle sur la beauté de l’édifice), et se rend à Béthanie. Mais il fait étape au Mont des Oliviers (où il passe logiquement) et regarde le temple d’en face, mais de plus haut. D’en haut, on voit nettement le plan du temple, sa forme donc son organisation et l’idéologie qui a guidé tant sa construction que son usage. Et du Mont des Oliviers, d’en face, on voit les choses comme de l’extérieur, on n’est pas dans Jérusalem, on a de la distance.

C’est dans cette situation que quatre disciples s’approchent du maître, mais « à part« , on est sur le ton de la confidence, de ce qui n’est pas dit à tous. Pourtant, Marc l’écrit pour tous : mais il en va peut-être comme de l’épisode de la « transfiguration » où trois sont pris « à part » (exactement le même mot), reçoivent la consigne de ne rien dire avant que le fils de l’homme « ne soit relevé« , ce qui est précisément le cas quand Marc écrit. Du reste, ce sont les quatre premiers disciples qui posent la question, et qui re-créent la situation du tout-début, quand il n’y avait qu’eux avec le maître, et Marc ce faisant fait une sorte d’inclusion de son récit, comme s’il s’apprêtait ainsi à clore ce qui s’est ouvert alors, le ministère de Jésus.

Si tel est le cas, cela veut dire que le discours que nous allons avoir bientôt est à prendre chez Marc comme une sorte de conclusion du ministère de Jésus, de son ministère de la parole tout au moins. Mais voyons la question qu’ils posent.

« Dis-nous quel jour cela arrivera, et quel sera le signe lorsqu’il sera destiné à ce que tout parvienne à sa fin. » Il y a une question, en fait il y en a deux, et elles sont incluses dans une phrase qui, elle, n’est pas une question mais une injonction. Je commence par celle-ci.

Pourquoi une injonction, « dis-nous ! » ? Ils ne donnent pas d’ordre au maître, ce n’est pas le sens de cette injonction-là. Mais il s’agit plus sûrement de le presser : ce sont ces quatre disciples qui sont oppressés et qui ont besoin qu’on leur parle. Jésus leur a dit quelque chose qui les a troublé, profondément.

Leur première question est par conséquent : « quel jour cela va-t-il arriver ? » Mais de quoi parlent-ils ? « Cela« , ou littéralement « ces choses-là« , de quoi s’agit-il ? La seule chose dont il a été question précédemment, dans l’épisode d’avant, c’est du temple et de la construction socio-religieuse qu’elle symbolise. Jésus a dit que « ces choses-là » étaient éphémères, qu’elles n’étaient pas faites pour durer mais qu’elles appartiennent à ces moyens au service de ce qui est durable à savoir la rencontre des êtres humains avec leur dieu ; mais il semble qu’ils aient compris qu’il prédisait la destruction effective du temple, et dans la forme de leur question, avec l’interrogatif [poté], ils évoquent un « jour ». « Quel jour ?« 

Ce mot-là a une tout autre résonance : quand les prophètes mentionnent « le jour« , ou « le jour de Yahvé« , c’est avec l’idée du jugement, du jugement dernier : jour de destruction générale, craint de tous, et duquel doit émerger le salut pour ceux que le dieu aura choisi. Ils pensent que Jésus a annoncé la fin du monde, alors qu’il a juste dit que les institutions et leurs symboles étaient éphémères. Ils veulent s’y préparer sans doute, prendre leurs dispositions.

La deuxième question est encore plus explicite : « …quel sera le signe lorsqu’il sera destiné que tout parvienne à sa fin. » Ils demandent le signe déclencheur. Comme on scrute avec des sismographes ultra-sensibles les secousses telluriques de notre planète, afin d’avertir d’un tsunami, d’un éruption, d’un séisme, ils demandent le signe.

La réponse de Jésus est rédigée par Marc dans le discours qui va suivre, et qui va nous occuper section par section. Il est long. Mais nous devrons garder à l’esprit que Jésus va avoir fort à faire pour dissiper dans l’esprit de ses interlocuteurs l’ambiguïté qui s’y trouve, entre ce qu’il a effectivement dit, et ce qu’ils croient avoir compris. Ce sera d’autant plus difficile qu’ils sont pris par l’angoisse, ce qui n’est jamais la meilleure des situations pour réfléchir ou raisonner ! Il va lui falloir dissocier dans l’esprit de ses interlocuteurs la perception de l’éphémère des institutions de leur vision de la « fin ». Car la fin, c’est le but : et c’est précisément parce que ces institutions ne sont pas le but qu’elles sont vouées à disparaître. Leur disparition ne peut donc pas coïncider avec la fin !! C’est même plutôt le contraire, leur disparition fait mieux apparaître la fin.

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