La tendance du cœur, enjeu capital (Mc.13,21-23)

Alors si quelqu’un vous dit : “Voilà le Messie ! Il est ici ! Voilà ! Il est là-bas !”, ne le croyez pas. Il surgira des faux messies et des faux prophètes qui feront des signes et des prodiges afin d’égarer, si c’était possible, les élus. Quant à vous, prenez garde : je vous ai tout dit à l’avance.

« Et alors si quelqu’un vous dit : « Vois, ici, le messie ! Vois, là ! », ne croyez pas. «  Voilà un « et alors » qui sonne comme un récapitulatif de ce qui précède, et dans doute pas seulement du seul passage précédent mais, me semble-t-il, de l’ensemble du discours énoncé jusqu’à présent. Il y a en effet un écho immédiat à ce qui a été dit dès le début : « Beaucoup viendront sous mon nom, ils diront « c’est moi », et ils en égareront beaucoup » (v.6), c’était au tout début de la réponse de Jésus.

Le contexte qui a été entretemps décrit est celui de nombreuses pertes de repères : des secousses cosmiques (ce que nous appelons volontiers de « catastrophes naturelles »), des guerres et des famines, mais aussi des mises à l’épreuve des croyants, traduits devant diverses assemblées, et pour finir (c’est ce qui précède immédiatement) la destruction du Temple lui-même (pour finir, parce que c’est abordé en dernier, mais nous avons vu que justement ce n’était pas la « fin » tant redoutée par ceux qui interrogent). C’est au milieu de tout cet ensemble que « beaucoup viendront... ». Autrement dit, plus la situation porte à un stress marqué, plus il est nécessaire d’être sur ses gardes quant aux désignations ou auto-proclamations d’être le sauveur.

Cela porte d’ailleurs à réfléchir sur certaines méthodes modernes dites « d’évangélisation » : de manière délibérée, certains ont produit des « échelles de stress » en appelant les croyants à repérer dans leur entourage celles ou ceux qui seraient haut dans cette échelle en raison par exemple d’un déménagement, d’un divorce, d’un licenciement, d’un deuil, et d’identifier celles-là comme des personnes en situation particulièrement favorables pour les « évangéliser », … c’est-à-dire pour les amener au groupe religieux auquel on appartient. Il me semble que, à la lecture de ces passages, ont voit que cette tactique est loin d’être évangélique, au contraire : elle est même précisément ce dont l’évangile appelle à se méfier !

En tous cas, la consigne donnée par le Jésus de Marc face à de telles entreprises est radicale : « Ne croyez pas !« . C’est l’exact contraire de tout ce qu’il recommande sans cesse au long de l’évangile que nous lisons depuis maintenant un bon moment. Lui qui appelle sans cesse à croire, eh bien dans cette situation de stress fort, où l’on dit « voilà le messie » en désignant un autre, ou bien où l’on s’autoproclame « c’est moi », il appelle justement à ne pas croire. Ne pas engager sa foi dans des contextes pareils.

« Surgiront en effet de faux messies et de faux prophètes, et donneront signes et prodiges destinés à égarer si possible les choisis. » Les faux messies, ce sont sans doute ceux qui s’autoproclament tels. Les faux prophètes, sans doute ceux qui en désignent un autre. Ce sont peut-être les plus à craindre : on a une méfiance spontanée pour quelqu’un qui vous dit qu’il est la personne providentielle (quoique…), mais on a peut-être moins de méfiance vis-à-vis de ceux qui, amicalement et pleins d’enthousiasme, vous disent qu’ils connaissent quelqu’un de formidable qui… Ces derniers sont d’ailleurs peut-être eux-mêmes victimes : cela ne les empêche pas d’être aussi, même involontairement, faux-prophètes. Voilà qui nous invite à un regard toujours critique, à l’aune de l’évangile.

Marc écrit même que ces « faux » sont capables de produire signes et prodiges. Voilà qui est redoutable, mais qui nous ramène à la distinction mise en avant dès le début du discours : ce qui compte, c’est de garder les yeux fixés sur le but, revenir vers le dieu qui vient lui-même à la rencontre. Tout ce qui fixe l’attention sur les envoyés, au lieu de les fixer sur qui les envoie (peut-être), jette par là-même le doute sur l’authenticité de ces envoyés, et les dénonce plutôt comme faux, a fortiori quand le contexte porte au stress.

« Mais vous, regardez ; à vous j’ai tout dit d’avance. » La consigne « Regardez » est encore répétée, comme dès le début. Appel à l’attention jamais démenti. Et puis cette conclusion, « à vous j’ai tout dit d’avance. » Ce n’est pas qu’il ait fait à l’avance le récit du déroulement des choses avec force repères chronologiques, ce que demandaient d’ailleurs les quatre disciples, non ! Mais il a d’avance désamorcé les fausses stratégies et ce qui pourrait détourner les authentiques et simples chercheurs du dieu. Charge à eux maintenant de rester vigilants quant aux temps qu’ils vivent, charge à eux de passer le contexte de leur existence au crible de ces paroles pour rester tendus vers le seul but authentique et véritable selon l’évangile.

Alors une dernière réflexion me semble s’imposer : qu’en est-il des temps que nous vivons, comment se situer dans leur contexte ? Il y a de quoi engendrer de nombreuses stress, j’avoue : le réarmement est mondial, les guerres déclarées ou non s’étendent, montrent des consistances criminelles et même génocidaires terribles, les droites extrêmes semblent devenir toujours plus fortes de par le monde, l’emprise des plus riches et plus forts emblème inexorable et réduire les peuples à la servitude, les extrémismes religieux accaparent le discours dans leur domaine, le vivant est sévèrement attaqué … J’en passe sûrement, et pas des moindres. Qui ne souhaiterait dans un tel contexte, une délivrance, et pourquoi pas sous la forme d’une intervention divine ? Des Psaumes le disaient déjà : « Réveille-toi ! Pourquoi dors-tu Seigneur ? »

Ce désir légitime nous rend vulnérables aux faux messies et aux faux prophètes, ceux qui « ont la solution », pardon : « LA solution ». Mais si nous pouvons légitimement souhaiter une intervention d’en-haut, le discours qui a précédé nous prévient clairement : il n’y en aura pas. Il nous dit deux choses, le discours que nous lisons : qu’aucune de ces catastrophes, si terribles soient-elles, n’est la fin de tout, et d’ailleurs que l’intervention divine a déjà eu lieu en établissant d’emblée que « ces jours » de catastrophes ont été « abrégés », et notamment par égard de ceux qui cherchent le dieu. Jamais donc aucune catastrophe ne sera le dernier mot de notre monde. Et d’autre part, que la « fin », c’est l’aboutissement au dieu qu’ils cherchent de ceux qui le cherchent : le croyant est encouragé à croire à sa force d’entraînement, à croire que dans sa lutte où il a la sensation de se perdre, il entraîne en fait le monde créé dans la direction où tend son cœur. Garder le cœur « focus », c’est un enjeu mondial.

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