Les mauvais scribes (Mc.12,38-40)

Dans son enseignement, il disait : « Méfiez-vous des scribes, qui tiennent à se promener en vêtements d’apparat et qui aiment les salutations sur les places publiques, les sièges d’honneur dans les synagogues, et les places d’honneur dans les dîners. Ils dévorent les biens des veuves et, pour l’apparence, ils font de longues prières : ils seront d’autant plus sévèrement jugés. »

« Et dans son enseignement, il disait : … » L’enseignement de Jésus continue : il vient de parler à tous, en interrogeant sur un point fondamental l’interprétation communément reçue de la figure du messie, déplaçant ainsi les cadres de l’espérance construite par les Ecritures, ou par notre lecture de celles-ci. Voilà qu’il continue à s’adresser à tous. Mais cette fois, Marc nous rapporte non pas un parler en paraboles, mais un avertissement plutôt direct.

« …gardez-vous des scribes qui veulent se promener en ornements et [aiment] les embrassades sur les places publiques et les sièges de présidence dans les synagogues et et les places d’honneur dans les dîners ; … » On a vu que les scribes pouvaient être en accord avec Jésus, on en a vu un tout au moins. Mais tous ne sont pas taillés sur ce modèle, semble-t-il, et Jésus met en garde la foule qui l’écoute, non contre tous les scribes, mais bien contre certains que leur comportement dénonce.

Ceux-là sont manifestement très préoccupés du paraître : ils s’habillent de manière ostentatoire (je ne peux m’empêcher de penser à certains excès contemporains dans les vêtements liturgiques…), ils attirent l’attention sur eux en montrant à tous qu’ils font partie du « happy few » ; et, que ce soit à la synagogue ou à la ville, ils faut toujours qu’ils soient les premiers, ceux à qui on rend hommage. Il est en effet permis de se demander ce qu’ils cherchent : en tous cas, cette description ne laisse pas l’impression qu’ils soient au service de la Parole ou des Ecritures, encore moins du peuple, mais plutôt qu’ils ont instrumentalisé l’un et l’autre pour se faire une place.

 » ils dévorent les maisons des veuves et brillent par de grandes prières : … » Ces apparences ont un revers, hélas désastreux : ils « dévorent les maisons des veuves« . Les veuves, on l’a déjà dit, sont peut-être les personnes les plus en difficulté dans la société masculiniste de cette époque. Quant à l’expression « dévorer la maison », elle apparaît bien souvent dans l’Odyssée, quand il s’agit de décrire en un trait le comportement des Prétendants dans le palais d’Ulysse, en son absence : à défaut de trouver le moyen de prendre sa place et son pouvoir, ils diminuent celui-ci jour après jour en consommant ses biens au vu et au su de Pénélope comme de Télémaque.

Nul doute que cette expression n’ait ici un sens très voisin : on suggère que l’ostentation de ceux des scribes qui se comportent ainsi, se fait nécessairement au détriment de quelqu’un. Et ces « quelqu’un » sont celles qui sont le moins en capacité de se défendre, les veuves. L’adage ironique et désabusé de Camus : « il faut prendre l’argent là où il est : chez les pauvres » est manifestement de tous les temps. Or ce comportement économique est mis en contraste avec une apparence, une « opération de com’ « , de nature religieuse : ils « brillent par de grandes prières« , c’est-à-dire qu’ils se comportent comme si la piété était la première de leurs préoccupations. Ils instrumentalisent jusqu’au dieu pour cacher leur piètre ambition.

« … ceux-ci seront pris par un jugement d’autant plus sévère. » Le mise en garde est adressée au peuple, mais l’énoncé du jugement est déjà fait. Que retenir de ce bref épisode ? Peut-être d’abord que Jésus n’a pas peur, au beau milieu du temple, de dénoncer certains comportements de responsables religieux. Ensuite, qu’il y a sans doute un lien entre le comportement et la justesse de jugement : ce n’est peut-être pas par hasard que la prise de parole à cet égard s’achève précisément avec l’idée de jugement. Ce n’est pas parce que le comportement d’un scribe est ajusté, modeste, réservé, que son jugement va être juste dans l’interprétation des Ecritures ; mais à coup sûr, si son comportement montre qu’il instrumentalise les Ecritures aussi bien que le peuple, on peut tabler que ses interprétations ne seront pas justes. Et les suivre, c’est peut-être se faire complice.

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