Laissez-vous instruire par la comparaison du figuier : dès que ses branches deviennent tendres et que sortent les feuilles, vous savez que l’été est proche. De même, vous aussi, lorsque vous verrez arriver cela, sachez que le Fils de l’homme est proche, à votre porte. Amen, je vous le dis : cette génération ne passera pas avant que tout cela n’arrive. Le ciel et la terre passeront, mes paroles ne passeront pas.
« A partir du figuier apprenez la comparaison : lorsque déjà son rameau devient tendre et que sortent les feuilles, vous connaissez que proche est l’été. » Nous voici revenus à un mode d’expression auquel nous sommes plus habitués, celui de la comparaison, ou « parabole« . Non que les parties précédents du discours aient été nettement « en clair », mais elle se situaient sur un autre mode. Voyons donc le comparant.
Le figuier reste en dormance pendant l’hiver, comme la plupart de arbres. Les figues du printemps ont déjà bourgeonné à l’automne et mûriront les premières six les conditions sont favorables. Mais vient un moment où les branches, restées à l’identique pendant l’hiver, commencent à s’allonger, et poussent des extrémités plus tendres, et les feuilles de leur côté commencent à éclore en bouquets comme on le voit sur l’image : c’est le « débourrement ». Dans les régions méditerranéennes, cela peut être courant mars, déjà ! Mais qu’importe les lieux, l’enchaînement est toujours le même : les chaleurs ne tarderont pas, et c’est parce que le figuier le « sent » qu’il commence le débourrement.
En fait, le pied dans le sol et la tête dans l’azur, il sent plus que l’être humain ne le peut le changement de saison qui s’amorce, et c’est pourquoi il est pour l’être humain un symptôme de ce changement, un signe annonciateur. A ce signe, « vous connaissez que proche est l’été.«

« C’est comme vous aussi, lorsque vous voyez arriver cela, vous connaissez que c’est proche, à votre porte. » Le comparant était attendu, à limite du lieu commun. Le comparé, en revanche, est plus inattendu : « c’est comme vous aussi, lorsque vous voyez arriver cela« . La comparaison, ce qui fait parabole, porte sur la similitude du mode de connaissance : de même que vous savez la proximité de l’été quand vous voyez les transformations commençantes du figuier, de même aussi vous connaissez que « c’est proche, à votre porte » quand vous voyez « arriver cela« . Qu’est-ce à dire ?
En fait, tout ce passe comme si, après tout ce long discours, on en revenait à la question initiale posée par les autre premiers disciples à Jésus : « Dis-nous quand cela sera ? Et quel sera le signe, quand tout cela va s’achever ? » (Mc.13,4) Si on lit notre texte immédiatement après cette double question, l’enchaînement semble parfait. Il aura pourtant fallu tout un long discours, dont le but est clairement de préciser de quoi on parle quand on parle de fin, de dissocier la destruction du temple de l’idée de fin, pour parvenir à la réponse.
Mais dans cette réponse, il y a quelque chose d’obscur, de par l’usage de pronoms : que sont « cela« , « ces choses » que l’on voit arriver ? qu’est-ce qui est « proche » ou « tout proche » ? Sont-ce les mêmes choses, des choses différentes ? Pour ma part, j’ai tendance à distinguer ces deux termes, et à les identifier chacun aux deux réalités que le discours a voulu distinguer. Cela expliquerait, me semble-t-il, que le discours s’insère entre la question et la réponse. « Ces choses« , « cela« , qu’on voit arriver, se rapporterait aux événements douloureux et terribles qui sont longuement décrits : guerres, famines, bouleversements de la planète, poursuites de certains devant diverse assemblées, et même destruction des institutions religieuses. En revanche, « ce » qui est proche se rapporterait à l’apparition manifeste du Fils de l’homme dans sa gloire avec ses anges.
La réponse à la question initiale serait donc : lorsque vous voyez arriver tous ces évènements terribles, toute cette détresse, vous connaissez que la venue du Fils de l’homme est proche, à votre porte. Autrement dit, alors même que surviennent des évènements terribles qui nous font peur, qui nous font penser que la fin est proche, au sens où le monde arrive à son terme, à sa borne ultime, cela nous est un indice que celui qui sauve est là, que sa survenue est en train de se faire, et qu’il mène le monde à ce pour quoi il est destiné, au dieu cherché par les croyants. C’est d’un optimisme étonnant, déroutant. Nous sommes invités à lire les pire catastrophes comme le signe de la plus grande espérance. Qui peut faire cela ? Peut-être est-il utile de se rappeler que notre chapitre précède immédiatement le récit de la passion, de la mort de Jésus, et de sa non-demeure dans la mort : il y a sans doute une superposition des deux, l’histoire de Jésus et l’histoire du monde, livrés aux croyants comme clé de déchiffrement.
« Amen je vous dis que cette génération ne sera pas passée que tout cela n’advienne. Le ciel et la terre passeront, mes paroles, elles, pas de danger qu’elles passent. » La mise en route de cette clé d’interprétation de l’histoire est immédiate, imminente en tous cas : « cette génération ne sera pas passée » avant que ce processus ne commence, que la progression du mal vers son paroxysme ne soit le double visible (et finalement impuissant) de la progression du salut vers son achèvement. Et si tout passe (j’interprète « le ciel et la terre » comme un sémitisme, une manière de dire « tout », ainsi que commence la Genèse : « Au commencement, Dieu créa le ciel et la terre« , c’est-à-dire toutes choses), si tout passe, donc, les paroles de Jésus demeurent, restent elles une lumière interprétative permanente, un éclairage constant sur les évènements.