Conditions d’un procès (Mc.14,1-2)

La fête de la Pâque et des pains sans levain allait avoir lieu deux jours après. Les grands prêtres et les scribes cherchaient comment arrêter Jésus par ruse, pour le faire mourir. Car ils se disaient : « Pas en pleine fête, pour éviter des troubles dans le peuple. »

« Or c’était la Pâque et les azymes dans deux jours. » Nous voilà au début de ce vers quoi, semble-t-il, tout l’écrit précédent conduit. Le récit qui commence comprend une foule de détails, ainsi qu’une extension comme aucun autre évènement de l’évangile de Marc. Voici que la grande fête juive de la Pâque approche, elle commence d’ici deux jours.

Marc précise : « la Pâque et les azymes« . De soi, c’est un peu redondant, parce qu’il s’agit de la même fête. Toutefois, sa précision n’est peut-être pas sans intention. La Pâque commémore la sortie d’Egypte : c’est une fête du départ, tant de la désinstallation que de la mise en route ; c’est une fête du passage et du changement ; c’est une fête de la libération. Cet aspect de la fête est particulièrement marqué par la célébration en famille du repas de la Pâque, avec notamment l’agneau. Les pains azymes (sans levain) sont intégrés à cette fête, mais ils ont probablement une origine plus ancienne, dans un culte agraire : c’est une fête du printemps, du renouveau, de la pousse du pain alors qu’on s’est débarrassé des levains anciens, du miracle de la vie.

Ainsi, ce que Marc nous indique au seuil de cette ultime partie de son œuvre, c’est d’abord qu’elle est à lire dans le contexte d’une fête : elle est un départ, un passage, une libération, un renouveau, un miracle de la vie. Et tout cela est imminent, puisque c’est dans deux jours : en anticipant sur ce qui va se passer, et que le lecteur connaît, à savoir la résurrection le troisième jour, nous sommes à l’exact symétrique de l’issue de cet ensemble.

« Et les grands prêtres et les scribes cherchaient comment, en mettant la main sur lui par ruse, le faire mourir. » En contraste violent avec ce qui vient d’être énoncé, l’attitude des responsables religieux. Cette fois, ils sont posés ouvertement dans le projet de le faire mourir, ce n’est pas une simple réaction à une altercation ou un échange qui s’est mal fini. Il s’agit de la préméditation d’un assassinat, ourdi par le pouvoir en place.

Il s’agit de le faire mourir, mais « en mettant la main sur lui par ruse » : étant donnée leur position, ils n’auront pas de mal à décréter la mort. Faire exécuter la sentence supposera une entente avec le pouvoir romain en place, car c’est l’occupant romain qui s’est réservé le pouvoir de vie et de mort : mais entre puissants, on peut comprendre que ce n’est pas le problème majeur. Avec des négociations, des contreparties, on peut tout obtenir. Le problème pour le moment c’est surtout de mettre la main sur Jésus.

Pourquoi est-ce un problème ? On a vu que Jésus, en journée, est dans Jérusalem, au vu et su su de tous. Mais il est très populaire. Et où disparaît-il le soir ? Les chefs n’en savent rien. Il va donc falloir ruser, pour trouver les conditions favorables à son arrestation.

« Ils disaient en effet : « Pas pendant la fête, pour qu’il n’y ait pas de tumulte du peuple. » Les fêtes pascales sont l’occasion d’un afflux populaire encore plus important que d’habitude à Jérusalem, l’historien juif Flavius Josèphe estime le nombre de pèlerins aux fêtes pascales de l’année 65 à près de trois millions ! C’est sans doute exagéré, mais on estime aujourd’hui que la population de la ville devait doubler. Le risque d’émeute est donc encore plus marqué.

Il faut se souvenir que Jésus, dans son enseignement, fait ouvertement des rappels à l’ordre adressés aux responsables (sans contester jamais leur légitimité), et que les foules « l’écoutent avec plaisir« . L’enjeu pour les grands-prêtres et les scribes est donc celui de la reconquête de leur autorité auprès du peuple : et ce n’est certes pas en affrontant ouvertement celui-ci qu’ils vont le faire, au contraire.

D’où la ruse : il faut au contraire, par le procès qui sera fait, montrer au peuple qu’il était trompé, abusé. Il faut arriver à retourner le peuple. Le principe même d’une arrestation et d’un procès sont d’ailleurs contraires à ce qui est normalement autorisé dans des jours tenus pour sacrés : là aussi, les chefs prendraient le risque d’être accusés dans le peuple d’être de mauvais observants.

Et l’on voit qu’au témoignage de Marc, le choix premier des chefs, c’est de laisser passer les fêtes et d’arrêter Jésus après, une fois que bien des gens seront repartis de Jérusalem. Ainsi, tous les obstacles seront résolus ou diminués d’autant.

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