Or un de ceux qui étaient là tira son épée, frappa le serviteur du grand prêtre et lui trancha l’oreille. Alors Jésus leur déclara : « Suis-je donc un bandit, pour que vous soyez venus vous saisir de moi, avec des épées et des bâtons ? Chaque jour, j’étais auprès de vous dans le Temple en train d’enseigner, et vous ne m’avez pas arrêté. Mais c’est pour que les Écritures s’accomplissent. » Les disciples l’abandonnèrent et s’enfuirent tous.
« Or un de ceux qui se tenaient à ses côtés, une fois tirée son épée, atteint le serviteur du grand-prêtre et tranche sa petite oreille. » A ce moment ultra-rapide, il y a encore des gens qui se tiennent aux côtés de Jésus. Ce ne peuvent être que les trois qu’il a pris avec lui, Pierre, Jacques et Jean. On découvre que l’un d’eux porte une épée : voilà un détail bien curieux, car il n’en a jamais été question chez Marc, à aucun moment de son évangile. Ainsi, soit l’épisode manque de vraisemblance, soit il faut penser qu’au moins à partir d’un moment, certains des Douze se sont sentis suffisamment menacés pour porter une arme.
L’un des trois, donc, tire son épée, la dégaine, et en donne un coup : c’est le serviteur du grand-prêtre. Voilà un autre indice qui éclaire un peu la fameuse « foule » que commande Judas : si elle est composée de gens armés et prêts à la brutalité, de gens qui ne connaissent pas Jésus et ont pour cela besoin qu’on le leur désigne à coup sûr, elle comporte au moins une personne de l’entourage immédiat du grand-prêtre. Voilà qui montre que le grand-prêtre et ceux qui l’entourent ne se contentent pas d’avoir négocié avec Judas, mais surveillent son action. La confiance n’est manifestement pas le maître-mot en ces questions. Si jamais on assistait à un revirement de Judas, le serviteur du grand-prêtre serait à pour intervenir et mener l’affaire à son terme.
Cela explique aussi sans doute pourquoi le coup d’épée, jeté semble-t-il un peau hasard, tombe sur son oreille : c’est qu’il n’est pas loin. Lui avait sans doute besoin d’être tout près pour se rendre compte de la persévérance de Judas ou peut-être d’un avertissement dit au creux de l’oreille de Jésus en l’embrassant. On ne sait jamais. Le mot employé par Marc pour l’oreille est littéralement la « petite oreille » : soit qu’il s’agisse du lobe de l’oreille, soit qu’il ait eu de petites oreilles. Marc est toujours très pittoresque, et un détail de ce genre n’eût sans doute pas été pour lui déplaire.

« Et Jésus intervient et leur dit : « Comme pour un brigand, vous êtes sortis avec épées et gourdins pour me capturer ? Chaque jour j’étais auprès de vous dans le temple, à enseigner, et vous ne m’avez pas arrêté. » Souvent les armes déclenchent les armes : il était bien imprudent à celui des Douze qui avait dégainé de frapper le premier, face à une foule armée comme elle l’est. Ce pouvait être le prélude à un massacre. Mais Jésus intervient, le sens premier du verbe [apokrinoo] est de séparer. Ce qui a pour effet de couper court à une telle escalade.
S’interposer, c’est aussi s’exposer aux coups : en prenant physiquement cette place, Jésus montre clairement, sans qu’aucun mot soit nécessaire, qu’il prend sur lui les coups qui pourraient pleuvoir sur ses disciples. Ils voudraient le protéger, mais c’est lui qui les protège. C’est un point que beaucoup de disciples feraient bien de méditer, surtout à une époque ou un certain nombre d’exaltés ne cessent d’exciter les autres en prétendant défendre l’honneur de dieu, de Jésus, ou que sais-je… C’est tellement à rebours de l’évangile, et de façon si manifeste !
Mais il prend aussi la parole, pour une question toute rhétorique mais qui porte justement sur l’usage de la violence : « Comme pour un brigand, vous êtes sortis avec épées et gourdins pour me capturer ?… » Il montre le décalage complet entre le danger qu’il représente, et la force violente déployée à son endroit. Le déploiement de la force par l’autorité publique est toujours l’indice de son propre inconfort, le témoignage involontaire qu’elle sait ne pas être dans son bon droit. Les disproportions que nous observons presque chaque jour chez nous ou dans d’autres pays, avec armes à feu de tous calibres et matraques, nous le font assez voir.
Mais comme nous l’avons déjà fait remarquer, une telle force n’est sans doute pas destinée avant tout à Jésus, mais plutôt à parer à toute éventualité suite à son arrestation. Et Jésus n’est pas dupe non plus, et le mot qu’il ajoute encore le fait bien voir : « …Chaque jour j’étais auprès de vous dans le temple, à enseigner, et vous ne m’avez pas arrêté. » On pourrait compléter cette remarque par une question : de qui donc avez-vous peur ?
« Mais c’est pour que s’accomplissent les Ecrits. » La phrase paraît sibylline. Elle explique sans doute pourquoi Jésus laisse faire, se laisse arrêter. Il voit bien les motifs de ses adversaires, ainsi que les précautions ou les jeux de pouvoirs qui s’y révèlent. Mais il a lui une vue plus haute, plus vaste, sur le sens de ce qui se produit. Nous sommes dans l’accomplissement des prophéties, du dessein divin, du projet de salut. Autre chose se joue, par-delà les enjeux propres aux acteurs. Cette phrase est comme un fil rouge, inauguré dans l’épisode de l’onction à Béthanie.
« Et après l’avoir laissé ils s’enfuient tous. » Et puis c’est la débandade, tout le monde s’enfuit. L’interposition de Jésus a permis à tous de prendre conscience du danger général, et elle donne aussi aux trois, puis aux onze, le délai nécessaire pour s’enfuir. Le rapport de force est trop défavorable. Jésus est seul devant sa destinée, et cela aussi est « dans les Ecrits« , sans doute.