Dimanche 24 juin : s’ouvrir au don de Dieu.

Lire le texte de l’évangile sur le site de l’AELF

     Calendrier oblige, nous voilà transportés au début de l’évangile de s. Luc pour la naissance de Jean-Baptiste. Nous n’aurons donc pas, dans l’évangile de Marc,  l’embarquement de Jésus et la tempête sur la mer, son arrivée dans la Décapole, en terre étrangère, sa rencontre avec le possédé qu’il rend à  lui même et son départ forcé par les habitants du lieu. Il y avait pourtant une belle actualité pour tout cela : nous connaissons nous aussi le récit des ces étrangers qui arrivent par la mer et sont eux aussi rejetés : je livre tout de même à la méditation de chacun le thème de Jésus, passager de l’Aquarius…

     Mais nous voici donc, et pour aujourd’hui seulement, au début de l’évangile de s.Luc, dans ce que l’on appelle les « évangiles de l’enfance » : ce sont des récits rédigés après coup, chez Matthieu et Luc seulement, et qui mêlent dès l’enfance les principaux thèmes de chacun de ces auteurs, tout en suggérant des réponses (d’ailleurs opposées !) aux questions posées par les origines nazaréenne et béthléemite de Jésus. Chez Luc, il y a deux récits d’enfance entremêlés, celui de Jean-Baptiste et celui de Jésus : on commence par l’annonciation à Zacharie, suivie de l’annonciation à Marie; puis viennent la visitation de Marie à Elizabeth, femme de Zacharie, et son cantique (Luc s’inspire beaucoup des récits anciens de la Bible), ainsi que le récit de la naissance de Jean-Baptiste et son cantique. Enfin (et Jean-Baptiste disparaît), la naissance de Jésus, la visite des bergers, sa circoncision, sa présentation au temple et son cantique, et pour finir son recouvrement au temple. Les débuts solennels du ministère de Jésus commenceront par la longue description du ministère du Baptiste. Pourquoi un tel entremêlement ? Jean-Baptiste est pour Luc une sorte de faire-valoir. Il est une ombre chinoise, un personnage en contrejour qui révèle la source de lumière placée derrière lui. Autrement dit, il faudrait systématiquement lire ce qui concerne le Baptiste sans jamais le dissocier des parallèles faits avec Jésus, et avant tout pour mieux saisir ce qui nous est dit de ce dernier.

      Le texte qui nous est donné aujourd’hui est néanmoins mis pour lui-même, donc sans parallèle, et son cantique (pourtant en plein milieu) lui est ôté. Que nous reste-t-il ? D’abord l’énoncé de la naissance de Jean, puis le récit de sa circoncision / nomination, enfin une conclusion / ouverture sur le ministère de Jean. Prenons ces choses dans l’ordre.

     « Or pour Elizabeth s’accomplit le temps de son enfantement et elle met au monde un fils. » Le verbe [plèroô] dit à la fois être complet et s’achever. C’est tout le temps qu’il faut pour [tiktô], mettre au monde, devenir mère. Le temps s’achève, il y a une étape. Ce n’est plus le temps de porter en secret, d’œuvrer dans le mystère de son propre corps, mais le temps de livrer au monde, le temps aussi de lancer dans une vie autonome. Pour Jésus, les mots sont presque les mêmes, mais bien plus développés, avec la précision aussi que le fils est cette fois « le premier né« , sans qu’il soit précisé de qui -de sorte évidemment que toute interprétation reste ouverte ! Nous avons traduit [génnaô] par « mettre au monde« , quand le mot signifie plus directement engendrer, enfanter, produire, faire naître, mais aussi développer et faire croître : il y a vraiment un changement dans le temps avec la naissance, le temps devient celui de la croissance désormais visible. Cela dit, vraiment rien d’exceptionnel dans cette naissance : ce pourrait être celle de n’importe laquelle ou n’importe lequel d’entre nous !

     Si pour Jésus la naissance est suivie de la visite des bergers du voisinage, avertis par des messagers célestes, celle de Jean est aussi suivie de la visite des voisins : « Et ils entendirent, ses voisins et ses parents-proches, que le seigneur rendait grande sa compassion sur elle et ils se réjouissent avec elle. » Là encore, rien de bien spécial. La mise en valeur en début de phrase du verbe « entendre » fait peut-être allusion au fait que Jean sera justement celui qui se fait entendre, depuis le désert où il vit. Mais en soi, ni le « bruit » que fait un bébé, ni la nouvelle que constitue son arrivée, ne sont exceptionnels. On constate seulement que manqueront pour Jésus, et les voisins (puisqu’ils seront, d’après Luc, en dehors de leur résidence habituelle), et les proches parents. Mais ce que ces derniers « entendent« , c’est aussi que « le seigneur rendait grande sa compassion sur elle« , il « maximisait » sa compassion ou sa pitié. Cela renvoie aux tout premiers versets de l’évangile de Luc, où il est précisé à la fois la grande droiture de vie du couple et la stérilité d’Elisabeth, choses qui dans les catégories bibliques sont quasiment antinomiques. Il y a dans la naissance de Jean un aspect de réparation, qui met l’accent sur un nouvel aspect de la naissance, à savoir sur ce que l’enfant apporte  à ses parents, et tous ceux qui sont parents sont appelés ici à se remémorer cela, à rappeler en leur cœur ce que telle ou telle naissance leur a apporté, a construit en eux.

     Deuxième temps, celui de la circoncision / nomination de l’enfant. Pour Jésus, c’est l’occasion de dire son nom pour la première fois, en précisant que ce nom est celui qui avait été donné par l’ange au moment de l’Annonciation : cette dénomination se fait tout naturellement et sans heurt. Mais pour le Baptiste, ce n’est pas tout-à-fait la même chose. Le nom de « Jean » a aussi été spécifié par l’ange à Zacharie, un nom qui signifie en hébreu « Dieu fait grâce », « Dieu donne ». Pourtant, l’incrédulité de Zacharie a été punie d’aphasie : il est sorti muet du temple et, s’il a pu faire comprendre par gestes certaines choses, on ne voit pas qu’il ait pu faire comprendre un nom. « Et il arrive au huitième jour qu’ils viennent circoncire l’enfant et ils l’appellent d’après le nom de son père : Zacharie« . Ce « ils« , désigne à n’en pas douter les fameux « voisins et parents proches » qui ont participé à la joie du vieux couple. On peut même préciser sans trop de risque d’erreur qu’il s’agit de la parenté du côté de Zacharie : c’est le privilège du père de nommer l’enfant (sans doute une forme d’acceptation et de reconnaissance de l’enfant) dans cette culture, et son mutisme est sans doute pallié par les siens. Ils viennent pour la cérémonie de la circoncision, qui est une entrée dans le peuple de l’alliance : la circoncision est en effet le signe donné par Dieu à Abraham pour marquer dans le peuple l’acceptation de l’alliance donnée par Dieu. Le paradoxe, connu du seul lecteur et du muet Zacharie, est qu’avec ce signe de l’acceptation de l’alliance et de la promesse divines va être donné le nom de celui qui, précisément, n’a pas accepté la promesse faite avec l’annonce de la naissance !

     « Et intervenant sa mère dit : non, mais il sera appelé Jean ! Et ils lui disent que « personne qui soit de ta parenté n’est appelé de ce nom ». Voilà une merveille : la femme , la mère en l’occurence, a droit à la parole. Du moins, elle la prend. Il faut dire qu’elle vient d’enfanter un prophète, du moins le lecteur et l’auteur le savent-ils, et l’auteur qui a déjà fait tressaillir la mère enceinte au mouvement de l’enfant-prophète la fait maintenant parler. Et elle réclame pour lui précisément le nom que l’ange avait donné. D’où le sait-elle ? Pas du muet Zacharie. Elle ne peut le savoir que de son expérience, et elle veut qu’il porte le nom de cette expérience. Zacharie signifie « Yah s’est souvenu » : les deux noms sont donc théophores, ce n’est pas cela la question. Mais d’une part, lui donner selon la tradition le nom de son père, c’est laisser croire qu’il est né comme tous les autres, sans rien de particulier, d’autre part, mettre l’accent sur le don plutôt que sur le souvenir, c’est confesser une action particulière de Dieu, une action qui ne fait pas nombre, qui reste à part. Elisabeth sait sa stérilité, et si elle ne voulait pas en parler auparavant (au point de maintenir le secret sur sa grossesse tant qu’elle l’a pu), elle est prête désormais à la clamer pour montrer par contraste la grandeur des actions de Dieu dans sa vie. Dans le même mouvement, pourtant, elle dit déjà sa future mission -peut-être est-ce là aussi  le fruit de son expérience de cet enfant qui a dansé le sirtaki dans son ventre à l’approche de Marie tout juste enceinte. Elle ne dit pas « je l’appelle« , ni même « appelons-le« , mais bien « il sera appelé Don-de-Dieu« . Passif divin ( = c’est Dieu qui l’appellera ainsi) ? Prémonition de ce qu’il sera pour la foule des gens qui viendront le trouver ? Elisabeth prophétise à son tour.

     L’entourage, surpris, cherche la caution du père. « Ils firent alors signe à son père, comment il voulait l’appeler. Et demandant une tablette il écrivit ces paroles : Jean est son nom. Et ils s’émerveillaient tous.« . Au muet, on parle par signes. Comment se faire comprendre ? Il demande une tablette pour écrire, et ce qu’il écrit concorde parfaitement avec le souhait de sa femme. Mais sans doute pour d’autres raisons : son message n’est pas qu’il « sera appelé« , comme le dit Elisabeth, mais bien que son nom « est« . Zacharie admet, reconnaît, que le nom lui a déjà été donné. Et il y consent. Du coup tous s’étonnent. [thaoumadzô], c’est s’étonner, admirer, vénérer, honorer. C’est l’attitude de suspension par laquelle on s’ouvre à une nouveauté, à une grandeur nouvelle. Cette ouverture de tous dans l’admiration s’étend à Zacharie lui-même : « Or sa bouche s’ouvrit à l’instant même, et de même sa langue, et il parlait en bénissant le dieu. » [anoïgô], c’est ouvrir une porte, retirer le verrou d’une porte, retirer un couvercle, décacheter un sceau, et par voie de conséquence découvrir, révéler. Voilà ce qui se passe pour la bouche et la langue de Zacharie, en repassant de l’incrédulité à la foi.

     « Et il advint sur tous une crainte, à tous leurs voisins, et dans la totalité du haut-pays de la Judée on se transmettait toutes ces choses, et tous ceux qui les entendaient les mettaient dans leur cœur en disant : « que croyez-vous que sera cet enfant ? » Ça la main du seigneur était avec lui. Dernière étape, la nouvelle, la bonne nouvelle, se répand partout, du moins dans toute la Judée, pays de montagne. On se raconte ces choses, elles vont de bouche à oreille, et traversent le pays (ce que laisse entendre le verbe [dialaléô]. Et ces évènements sont transformants, on les « met dans son cœur » en les entendant. Cette expression, Luc la réemploiera deux fois pour la seule mère de Jésus, mais ici, elle désigne ce qui arrive à tous. Comme quoi, là encore, le Baptiste est précurseur : il préparera les cœurs, afin qu’ils soient en état de recevoir comme au départ Marie seule est en état de recevoir.  Et cette réception est accompagnée d’une question sur la suite. C’est beau, cet étonnement maintenu par un questionnement ! Comme quoi, la foi est aussi nourrie de questions. Et une absence de question peut-être une fermeture du cœur.

     Finalement, tout cela est une histoire de porte et de passage. L’enfant passe du ventre de sa mère à ce jour, la mère passe du silence de la honte à la confession de foi, le père passe de l’interdiction de la parole à la bénédiction, les foules passent de l’habitude à l’étonnement, la Judée tout entière passe de la tranquillité à l’intranquilité et au questionnement. Que de portes franchies dans une seule naissance ! Et nous, quelles portes franchissons-nous ?

Version 2

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