le texte de l’évangile, sur le site de l’AELF
Ce passage d’aujourd’hui, fortement distant dans le texte des précédents, a déjà été rencontré deux fois. La première fois, j’ai tenté une réflexion sur le « parler en paraboles » de Jésus, eux et nous ; la deuxième, j’ai essayé de porter mes regards sur « celui qui sème », sa manière, ses motivations, combien de semeurs..?. Cette fois-ci. Je voudrais m’intéresser un peu au grain.
Première surprise, ce mot si présent dans la traduction n’apparaît pas dans le texte ! Il n’y a que des pronoms, sans référent. Le texte porte : « Et dans son semer, certaines tombèrent près du chemin…, d’autres…., d’autres…, d’autres… » Nous avons affaire à une réalité mystérieuse, désignée sans être nommée. Ce n’est que le contexte qui nous fait inférer qu’il s’agit de grain, mais le locuteur a laissé un voile.
Alors « certaines » quoi ? L’explication de la parabole dira « la parole du royaume » ou, plus succinctement ensuite « la parole ». Il me semble que le silence de la parabole nous dit une première chose, c’est que cette « parole du royaume » n’a pas de forme exclusive. Elle est semée, mais sans qu’aucune forme a priori ne lui soit réservée. Elle est donc à la fois extraordinairement répandue, immensément variée… et dans le même temps pas si aisée à reconnaître ou identifier. Il n’est pas possible de la réduire à une « bonne parole » quelconque, ou à une citation, la « parole du royaume » sera tout ce qui l’exprime d’une manière ou d’une autre. Peut-être même ne peut-elle être « identifiée » : la remarque peut choquer (et rappelons-nous qu’un des sens du parler en parabole est de provoquer un choc), mais c’est nous qui sommes dans une époque qui cherche toujours l’identité, qui contrôle les identité, qui veut savoir préalablement qui on est. Mais ici, on juge plutôt l’arbre à ses fruits : pas d’identité préalable, pas de « patte blanche », il faut attendre de voir ce qui résulte.
C’est peut-être le moment de se rappeler qu’il n’y a pas si longtemps, Jésus a vu dans les foules, souffrant physiquement et moralement, une « moisson » : parce qu’il a vu en elles les fruits de tant de ces semences … que lui-même ne prétend pas y avoir mises ! C’est dire si la « parole du royaume » est mystérieuse…
On voit ensuite que cette « parole du royaume » est répandue partout : elle est semée, répandue à profusion et sans condition préalable, sans regard pour son efficace ou non. C’est le règne de la gratuité absolue. Il n’y a pas ceux qui seraient dignes de cette parole et ceux qui n’en seraient pas dignes : elle est répandue dans toutes les vies, dans tous les champs du monde, dans toutes les conditions d’existence.
Si elle est semée -car pour prendre on-ne-sait quelle forme, elle est toujours semée-, c’est qu’elle doit mourir et laisser grandir autre chose. La parole est donnée dans une certaine forme, mais ce qu’elle va devenir n’aura pas cette forme. Or il s’agira toujours d’un processus de vie : ce qui nous fait vivre et grandir est « parole du royaume ». Voilà, on juge l’arbre à ses fruits ! Mais n’ayons pas peur que cette parole reçue n’engendre pas quelque chose de semblable à soi ! Du moment que nous sommes plus vivants ! Et n’en voulons pas non plus à ceux à qui nous avons cru lancer une parole du royaume, si elle ne germe pas comme nous l’avions imaginé, si d’autres n’en vivent pas comme nous le pensions.

Enfin, la parabole rend plutôt optimiste quand à son effet, il suffit de regarder l’étendue des champs à cette époque-ci pour s’en convaincre. Les fruits de la parole du royaume sont nombreux : cent, soixante ou trente pour un : beau rendement, pour l’époque en tous cas ! Et ces fruits, le mot très générique [karpos] en grec (donc pas les fruits des « fruits et légumes ») ne sont pas plus décrits que ce qui est semé : même ouverture, même liberté, même imprévisibilité. Ce sera peut-être une surprise, y compris pour celle, celui où ceux qui auront reçu et accueilli cette parole.
Tout juste nous sont données trois indications sur les conditions d’après lesquelles ce fruit est porté : pas près du chemin, pas au milieu de la terre pierre peu profonde, pas au milieu des épines (ou des acanthes ? C’est le même mot !). Le chemin, c’est ce que l’on suit pour aller quelque part, c’est par où l’on passe habituellement : peut-être les semences du royaume ne peuvent-elles nous faire grandir quand nous sommes déjà déterminés à quelque chose, ou là où nous vivons sur nos habitudes ? Pas assez de terre, pas assez de profondeur : là, c’est plus explicite pour nous : là où nous vivons de superficialité, d’apparences, d’image, cette nouveauté-là sera brûlée par les feux de la rampe. Les épines enfin, ou les chardons, ou même les vastes acanthes, on ceci de particulier qu’elles poussent vite : c’est pour cela qu’elles étouffent autre chose, et ce qui nous adviendrait du royaume sous des formes aussi variées qu’inattendues n’aurait aucune chance devant le spectaculaire ou le souci du rapide. Cela me fait penser qu’il faut patience, absence d’ostentation et inattendu pour que « ce qui est semé » ait sa chance. Et alors quelle profusion !!
Un commentaire sur « La parole du royaume (dimanche 16 juillet) »