Le texte de l’évangile, sur le site de l’AELF
Ces textes (plutôt que ce texte) font suite à ceux de dimanche dernier : c’est la fin de la section des paraboles de l’évangile de Matthieu. Je les ai déjà commenté deux fois, Ton coeur est un trésor, et Des acteurs, des objets et des moyens. Je suis frappé, cette année, par le jeu de l’unité et des multiplicités dans ces paraboles.
Dans la première parabole, l’homme possède une multiplicité de choses, mais il les vend toutes pour un seul champ, et surtout un seul trésor. Et le royaume est ce trésor qui vaut tout. Il vaut tout, et aussi il coûte tout : pas possible de l’acquérir en plus du reste, on a soit le royaume, soit autre chose. Et en même temps on ne l’achète pas : on achète le champ -lui aussi unique-, mais pas le trésor. Ce trésor relève d’une gratuité qui dépasse, ou qui est à côté de, tout ce qu’on pourrait en offrir.
Il y a comme cela des richesses uniques, qui valent tout et mieux que tout. On les appelle « richesse », mais dans le fond c’est bien improprement : je pense qu’on veut surtout dire que c’est précieux, mais pas chiffrable ou dénombrable. Ce à quoi, ou ceux à qui, on s’attache. Ces amours, ou ces causes, infiniment précieux et pour lesquels on lâche tout. Je voudrais d’ailleurs remarquer que si le début de la parabole raconte une histoire avec le temps du récit, la conclusion « il achète ce champ » est au présent ! Comme si ce n’était jamais fini, comme si c’était une condition ou une réalité permanente, indépassable. Le champ, pas plus que le trésor, ne sont jamais acquis, ils sont en permanence « en cours d’acquisition ».
Dans la deuxième parabole, le négociant possède de multiples choses, y compris des perles, mais il vend tout pour une. Les conclusions pourraient être les mêmes que pour la parabole précédente, celle du trésor dans le champ, mais la différence est tout de même intéressante : il a déjà des perles, mais pas celle-là en particulier, qui les vaut toutes. Il ne s’agit pas non plus d’un certain hasard, ou du fruit d’une quête d’autre chose (si l’homme glanait dans le champ) : en trouvant cette perle, unique, c’est bien cela qu’il cherchait, mais jamais il n’en avait trouvé à ce point correspondant à son désir. Autrement dit la quête de l’unique peut se faire sous le voile de la multiplicité, à condition qu’une fois rencontré, cet unique emporte tout et devienne là encore l’objet d’une acquisition permanente, jamais achevée (« et il achète la perle« , au présent).

Dans la troisième parabole, un seul filet, et de multiples poissons. Multiples, au point qu’il faut les trier, en garder certains, en rejeter d’autres. Il y a des poissons impropres à la consommation sans doute, il y en a d’invendables, peut-être. Il peut aussi y en avoir de trop petits ou trop jeunes, et il faut préserver l’avenir. Mais c’est un même filet qui a été jeté dans la mer et qui a recueilli tout cela. Et là encore, ce filet est ce à quoi est comparé le royaume, c’est lui l’unique. C’est ce grâce à quoi le multiple apparaît, grâce à quoi il est recueilli. Ce n’est plus ici l’objet de la quête, mais l’instrument de la quête.
Dernière parabole : un seul maître et un seul trésor, mais on en tire « du neuf avec de l’ancien« , donc de multiples choses. Comme dans la parabole du filet, l’unique est ce à partir de quoi le multiple est établi, ou hors de quoi il apparaît.
En fait, à envisager les choses sous cet angle, ces paraboles me paraissent parler des conditions d’après lesquelles on se construit un coeur indivis. Unifier son cœur, c’est l’attacher à un seul trésor, mais c’est aussi à partir de lui s’ouvrir à la diversité et au multiple. Unifier son cœur, c’est le fruit d’une recherche, et dans cette quête, on peut trouver ce que l’on n’attendait pas, comme on peut trouver ce que l’on cherchait : dans les deux cas, c’est ce que l’on trouve qui unifie le cœur au sens et à la condition où cet « objet » aimé ou désiré devient l’objet d’un renoncement permanent (la vente de tout) et d’une acquisition sans cesse recherchée. La cause qui nous paraît mériter tous nos efforts, la personne que nous cherchons à aimer, tout cela demande de notre part une réévaluation de tout, une réorientation de tout, un renoncement certain, et aussi une recherche permanente car ce n’est jamais acquis. Il me semble qu’agir ainsi, c’est le royaume.
Mais aussi, unifier son cœur, c’est, à partir de cette recherche, recueillir et accueillir toute la diversité du monde, sans nécessairement garder tout (car on a désormais un critère souverain de tri), et c’est aussi tirer du fond de soi une diversité étonnante, déjà connue ou novatrice, mais venant toujours du même fonds. Aimer d’un cœur indivis, d’un seul cœur, c’est acquérir le royaume.
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