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Nous continuons la lecture cursive du chapitre 13 de l’évangile selon s.Matthieu. Cette fois, ce ne sont pas moins de quatre paraboles qui nous sont données : trois portent sur le royaume des cieux, la quatrième sur le disciple du royaume. Ce qui montre une chose, c’est qu’on peut être disciple du royaume !
La chose est inattendue. Dans la quatrième parabole, un [grammateus] peut devenir[mathèteutheis tè basileia tôn ouranôn]. Un [grammateus], c’est un scribe, un greffier. Chez les Juifs de l’époque de Jésus, il s’agit généralement d’un savant lettré, ayant souvent un rôle d’interprète de la Loi : après la mise en sommeil de la royauté et du sacerdoce, après l’exil, c’est un nouveau rôle qui s’est développé dans le peuple Juif (pour en savoir plus). Dans les évangiles, les scribes sont plutôt opposés à Jésus, mais comme le sont les pharisiens : c’est-à-dire qu’ils sont de la tendance qui lui est la plus proche et à qui il s’adresse volontiers, mais qui résiste à nombre de ses interprétations et orientations. [mathèteuô] est un verbe signifiant enseigner : il est ici au participe aoriste passif, c’est-à-dire qu’il prend le sens de recevoir des leçons, avec un aspect intemporel. Bref, le scribe s’est ouvert aux leçons, mais aux leçons du royaume des cieux : voilà la surprise ! Le royaume des cieux n’est pas qu’objet d’enseignement, il est lui-même activement enseignant.
Mais revenons aux trois premières paraboles. Le royaume des cieux est semblable à trois différents objets : à un [thèsaurô], à un [anthrôpô] et à une [sagènè]. Le moins que l’on puisse dire, c’est que cette réalité du royaume ne se laisse pas aisément enfermer, qu’elle puise pour être décrite dans tous les aspects de la réalité, les personnes, les choses, les activités. Si nous voulons bien nous souvenir encore une fois que la fiction -et les paraboles, rappelez-vous, sont des fictions- a pour fonction de nous faire voir ce qui est trop proche pour être vu, on a une idée de cette proximité multiforme du royaume !
Une petite précision intermédiaire : je parle sans cesse de royaume, mais il faut avoir en tête que la traduction est peut-être trompeuse. L’hébreu comme le français connaissent trois termes, royauté, règne et royaume, là où le grec -comme le latin d’ailleurs- n’en connaissent qu’un seul, [basileia] ou regnum. Du coup, il faudrait toujours se demander comment traduire ce mot du grec : royauté pour désigner la qualité qui affecte une personne, règne pour désigner l’exercice d’une fonction, ou royaume pour désigner le domaine en lequel s’exerce la qualité. Il est d’ailleurs probable que cette traduction doive se déterminer au coup par coup, en fonction du contexte et du sens, et non pas une bonne fois pour toutes. Mais j’invite chacun à relire lentement chaque parabole, chaque mini-fiction, en choisissant tour à tour l’une puis l’autre de ces traductions possibles : cela ouvre à de nouvelles réflexions !
Je reviens à la première des comparaisons. Un [thèsauros], c’est un dépôt, d’argent ou de choses précieuses -éventuellement même immatérielles; mais cela peut-être aussi le lieu où l’on dépose. Le « trésor« , avec le double sens qu’il a du bien précieux ou du lieu où il est gardé, est une bonne traduction. Bien sûr, il y a ici un côté merveilleux, mystérieux aussi. Un trésor, c’est ce qu’on ôte à la vue de tous, mais qu’on révèle à qui l’on choisit. C’est aussi une réalité très subjective : le trésor de l’un ne sera peut-être que de peu de valeur pour l’autre. Les « trésors » des tout-petits sont souvent émouvants dans leur valeur dérisoire pour les grands. Le royaume est donc comparé à une réalité qui compte aux yeux de certains, et qui ne se fait pas voir à tous. Le trésor revient dans la dernière parabole : le scribe enseigné par le royaume est comparé à un maître de maison qui tire de son trésor du neuf avec de l’ancien.
Mais, dans notre parabole, ce trésor est un trésor qui-a-été-caché. Par qui ? On ne sait pas, mais c’est antérieur et le fruit de l’action d’un autre. Où cela ? Dans le champ. Pas seulement un champ, mais bien le champ : une espèce d’évidence. Vous savez bien : le champ ! Peut-être s’agit-il du champ dont il a déjà été question : celui où le bon grain s’est trouvé mêlé à la zizanie, celui où s’est trouvée semée la graine de moutarde.
Il s’en passe des choses dans ce champ ! L’homme va de surprise en surprise. D’abord, il sème des choses et, un bon moment après, y voit surgir d’autres choses, à coup sûr non souhaitables et non souhaitées; ensuite, il voit surgir ce qu’il a peut-être choisi d’y semer de différent dans le même mouvement, et doit choisir s’il le conserve ou non; et voilà maintenant que ce qu’il y découvre n’a plus rien à voir avec son activité, avec ce qu’il a semé : c’est le fruit de l’action d’un autre. Quelqu’un a caché quelque chose dans le champ. Mais le champ n’est pas à lui ! Evidemment, puisqu’il va sur ces entrefaites en faire l’acquisition. Que faisait-il dans ce champ alors ? Quelqu’activité répréhensible ? Ou alors, c’est un pauvre qui glanait : il était dans son droit, dans un champ qui n’était pas à lui, parce que fort démuni il glanait. J’aime assez cette idée.
Cela fait immanquablement penser à l’histoire de Ruth et Booz (des ancêtres de Jésus, d’après Matthieu) : Ruth est devenue très pauvre à cause de son veuvage, mais elle a choisi de rester fidèle à sa belle-mère dans la famine qui sévit. Revenues à Bethléem ( = la-maison-du-pain), Ruth va glaner pour elles deux. Booz, à qui le champ appartient, décide de bien la traiter, et il donne même discrètement des ordres pour qu’on laisse un peu plus au sol. Finalement, Booz épouse Ruth et ils ont un enfant, Obed, le grand père du roi David. Voilà une femme qui a trouvé un trésor dans le champ : ce qu’un autre y laissait pour cela, et elle y a trouvé cet autre lui-même, plus grand trésor encore, qu’elle épouse ! Cela fait penser que c’est le propriétaire du champ qui a caché le trésor. Justement pour qu’il soit trouvé. Et parce qu’il sait bien que, précieux pour lui, ce l’est aussi pour ce pauvre qui glane. Et c’est peut-être encore de ce trésor-là que ce maître tire du neuf avec de l’ancien…?
Dans notre parabole, que fait l’homme qui trouve le trésor qui-a-été-caché ? A partir de sa joie (autrement dit, la joie de cette découverte est la source de tout), il [hupagei] : c’est le mot que Jésus emploie chez s.Jean pour parler de sa mort comme d’une « mise à l’abri » chez son père (cf. Dimanche 14 mai : aller vers le Père.) J’ai longtemps pensé, à cause des traductions, que l’homme remettait le trésor dans le trou où il l’avait trouvé : c’était un peu étrange ! Mais non, ce n’est pas le verbe « cacher », [kruptein], qui est employé : il le met à l’abri, en lieu sûr. Donc l’homme le met à l’abri, et il vend tout autant qu’il a et il achète-au-marché ce champ-là. Le trésor vaut pour lui plus que tout, sa possession est plus importante que tout ce qui a précédé, il vaut même d’acheter le champ : on comprend que cet homme est droit, qu’il veut avoir une possession tout-à-fait légale, et qu’il en prend tous les moyens. Si mon hypothèse du glanage tient, il avait sans doute peu à vendre, mais il n’a littéralement rien gardé.
Remarquez, la deuxième parabole ne change que ce détail-là : cette fois c’est un homme-voyageant-pour-affaires, en d’autres termes un négociant. Lui aussi vend tout autant qu’il a : et il a sans doute beaucoup plus. Mais la valeur subjective de la découverte joue de la même manière. Fort intéressant, le royaume était comparé au trésor, il l’est maintenant à celui qui le découvre. Comme si le royaume était une réalité contagieuse, pas extérieure. La royaume, c’est ce que l’on découvre et qui vaut tout, mais c’est aussi celui qui est capable d’en faire son tout. Et au bout du compte, c’est une seine, cet immense filet qui ramasse tout au point qu’il faut faire le tri après. Au début, on achète le champ pour avoir le trésor, à la fin on ramasse tout et après on fait le tri en rejetant ce qu’on ne voulait pas. Mais c’est une pêche -comme il y en aura chez s.Luc à l’origine de l’appel des premiers disciples, comme il y en aura chez s.Jean pour réveiller l’appel initial chez les disciples dispersés.
Alors voilà : dans notre proximité, il y a des choses, des personnes, des activités. Dans tout cela, il y a le royaume. Dans tout cela, il y a ce qui mérite qu’on vende tout, TOUT. Parce que ce sont les seules choses qui comptent. Quelles sont pour moi ces seules choses qui comptent, celles qui valent tout ? Ou ces personnes ? Ou ces activités ? Valent-elles vraiment que je vende tout pour elles ? Si je suis en train de « vendre » un de ces éléments, en vue de quoi le fais-je ? Mais si cela vaut bien tout, j’ai peut-être touché, trouvé, le royaume… Je me dis que Jésus parle beaucoup du royaume, mais il ne dit pas ce que c’est de manière définie, délimitée : peut-être nous trace-t-il simplement un chemin de bonheur, de béatitude (Bienheureux…, bienheureux…), en nous apprenant à revenir à notre cœur, à l’écouter, et à le suivre comme ce cœur original et unique que le Père a créé. Si tu suis ton cœur, ton vieux cœur, avec la confiance que c’est ton Père qui l’a fait ainsi et qui t’y parle, tu seras neuf, tu tireras de ce trésor du neuf avec de l’ancien.
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