Des acteurs, des objets et des moyens: dimanche 26 juillet.

Le texte de l’évangile, sur le site de l’AELF.

      Nous continuons la lecture des paraboles que Matthieu a regroupées dans un même chapitre. Celles d’aujourd’hui font suite à celle de la semaine dernière, … qui font elles-mêmes suite à celles de la semaine précédente : heureux  et trop rare respect du texte tel qu’il est écrit : Noël ! Noël ! Quant à notre passage d’aujourd’hui, il comprend quatre paraboles, que j’ai déjà eu l’occasion de commenter dans leur ensemble sous le titre ton cœur est un trésor.

     Ce qui me frappe aujourd’hui me fait hésiter : le « royaume des cieux » est-il insaisissable, ou au contraire par tous les moyens saisissable ? Je m’explique cher lecteur, car tu ne sais pas de quoi je parle. Voici. Dans la première de ces paraboles, « Semblable est le royaume des cieux à un trésor caché dans le champ… ». Le royaume est ici l’objet d’une recherche. L’homme qui le trouve n’est pas le propriétaire du champ, puisqu’il décide de tout vendre pour l’acheter : alors que faisait-il là ? J’y vois plusieurs possibilités, sans doute pas exhaustives : il peut être le métayer, l’exploitant du champ, celui qui cherche à faire produire ce champ. Il aura découvert, en travaillant sa terre, qu’un trésor y est caché, soit sous la forme de quelque chère cassette, soit peut-être dans la prise de conscience que ce champ comporte un potentiel absolument unique. Mais cet homme est peut-être plutôt un glaneur, qui cherchait sa subsistance et dont le regard inquiet était dès lors fort différent des habituels exploitants, moins blasé, plus scrutateur.

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Jean-François MILLET, Les Glaneuses (1857) , Huile sur toile 83,5 x 111, Musée d’Orsay, Paris. Elles cherchent dans un champ. Que trouveront-elles ?

     On voit qu’il y a ici toujours une recherche, et que la nature ou la qualité de celle-ci entraîne une nature ou une qualité de trésor un peu différente. Le trésor n’est pas ici, quoiqu’il en soit, ce que cherchait l’homme, il y a une opportunité à saisir, il y a une occasion peut-être inespérée. Il cherchait une chose, il en a trouvé une autre, mais celle-ci dépassant de loin celle-là. Ceci tendrait à me faire penser que le « Royaume des cieux » est un bien dont on n’a pas idée, et que l’on trouve à condition de chercher quelque chose, sans être pour autant enfermé dans sa recherche. Il faut ajouter aussi que le Royaume est un bien gratuit : qu’on le trouve ou non, il est là. Comme ces fleurs magnifiques que nous offre la montagne en ce moment : superbes, splendides, qui se voient au prix d’un effort méritoire car il faut monter, mais qui sont là, offertes. La gratuité est une dimension essentielle du Royaume. Et encore une chose : le Royaume, s’il est « des cieux », n’en est pas moins dans la terre. C’est avec des préoccupations bien « terriennes » qu’on le trouve : n’est spirituel que ce qui est bien charnel.

     Mais voici la deuxième des paraboles : « De nouveau, semblable est le Royaume des cieux à un homme voyageur recherchant de belles perles… ». Non pas « à une belle perle », ce qui serait une nouvelle déclinaison du trésor : notre « Royaume » est cette fois assimilé non à l’objet mais bien au sujet d’une recherche. C’est celui qui cherche -et qui cette fois sait très bien ce qu’il cherche-. Sa recherche le mène loin, il voyage, il se déplace sans cesse, la terre entière n’est pas pour lui trop vaste. Mais il ne va pas en touriste, il cherche quelque chose de très précis, de « belles perles ». Soit collectionneur, soit orfèvre ou bijoutier, et même spécialisé. Le métier n’est pas le plus courant, une telle spécialisation raréfie encore plus un tel homme. Le risque qu’il prend est énorme : le produit est rare, le marché restreint, les valeurs suscitent la convoitise… Il a tout risqué, sans doute par passion pour les perles.

     Ainsi, le Royaume est aussi semblable à un passionné. Nous en connaissons tous : le passionné est véritablement habité par son objet, il sait déjà presque tout à ce sujet et sur les sujets annexes, néanmoins il est toujours disposé à en apprendre, inlassablement. Quelque soit la conversation qu’on a avec lui, sa passion revient toujours : pas nécessairement de manière déplaisante d’ailleurs, mais c’est plus fort que lui ! Et souvent il est aussi passionnant : une véritable passion est communicative, hautement contagieuse. Tel est aussi le Royaume : vivant et autonome comme une personne, sillonnant le monde, passionné et passionnant. Mais, me direz-vous, je ne comprends plus : ça n’a plus rien à voir avec ce que l’on a dit à la parabole précédente ! En effet, repondré-je, et attendez, il en reste encore une !

     « De nouveau semblable est le royaume des cieux à une senne [déjà] jetée dans la mer et qui rassemble de toutes espèces. » La comparaison ne porte cette fois plus ni sur l’objet de la pêche -qu’on ne nomme même pas-, ni sur le ou les sujets de la pêche -qu’on ne nomme pas plus- mais cette fois sur le moyen de la pêche. On a eu l’objet d’une recherche, on a eu le sujet d’une recherche, on a maintenant le moyen d’une recherche ! Lecteur je suis comme toi : je n’y comprends plus rien, d’où ma question initiale -mais je vais y revenir : il faut juste creuser un peu ce moyen avant  !-. La senne, technique de pêche très ancienne) est un filet rectangulaire très long (aujourd’hui, certaines peuvent faire un kilomètre !) dont on entoure un ban de poisson repéré en surface. L’une des deux longueurs du rectangle est lestée, et aussi munie d’un filin de resserrage en « bourse », empêchant ainsi bon nombre de poissons de fuir par le fond. Un tel filet peut même être lancé depuis la terre, et cela se fait encore aujourd’hui.

     On nous dit de cette senne qu’on la lance habituellement dans la mer et qu’elle rassemble « de toutes espèces » ou, peut-être mieux, « de toutes origines ». Ce moyen est aussi celui d’une recherche, normalement assez évidente : on veut du poisson, on veut manger et faire manger. C’est un moyen de subsistance. Ici pourtant, les poissons ne sont pas nommés ! Peut-être parce que c’est évident -et les anciens, quand ils écrivent, évitent les évidences, par respect pour le lecteur autant que par souci d’économie-. Mais peut-être aussi, et ce n’est pas incompatible, pour donner plus de largeur encore au propos. Le royaume est un moyen pour tout prendre, pour tout rassembler -le tri est une autre affaire, le tri viendra plus tard. Tout de même, c’est un moyen bien particulier : tous les moyens, tous les outils ne permettent pas de rassembler « de toutes origines » ! A cause du covid, je pense à la biodiversité : il y a bien des outils ou des moyens dans notre monde qui la diminuent ou la détruisent, hélas ! Je pense aussi à notre société : il y a bien des moyens qui trient et rejettent d’avance certaines ou certains qui ne sont pas de la « bonne » origine ! Le royaume, lui, les rassemble dans leur diversité même. C’est magnifique ! Je voudrais ajouter encore un note, qui va dans le même sens : un tel filet est si vaste, qu’il ne peut être manœuvré que par plusieurs, y compris des gens qui passent là par hasard et veulent prêter la main. Il rassemble dans ses mailles, mais aussi dans sa manœuvre.

      Alors je reviens à ma question du départ : le « royaume des cieux » est-il insaisissable, ou au contraire par tous les moyens saisissable ? Décontenancé par cette mobilité du projecteur, qui éclaire tour à tour l’objet, le sujet puis le moyen, je suis tenté de dire que décidément, le « royaume », c’est une chimère, une ombre impossible à saisir. Et puis je me dis qu’il y a aussi une autre conclusion possible : que le Royaume est à ce point proche et présent qu’on peut s’en saisir par n’importe quel bout : les acteurs, les contenus, les moyens, tout est mise en contact. Tout ou presque, seules certaines qualités permettent de le distinguer et de le rejoindre : la terrenité, la gratuité, l’humanité, la passion, l’universalité… Reste maintenant à ouvrir les yeux et regarder, autour de nous et en nous. Avec une condition que nous avons vue essentielle : chercher.

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