Le texte de l’évangile, sur le site de l’AELF
Nous avons déjà rencontré ce texte, encore un peu plus loin dans l’évangile de Matthieu et donc sans lien immédiat avec celui de la semaine passée : la première fois, ce fut l’occasion d »essayer d’en dégager l’équilibre recherché dans l’annonce, ni trop appuyée sur des moyens, ni trop abstraite Entre engagement et vision, ; la deuxième fois, ce fut pour réfléchir sur l’intervention de cette formule inattendue : Les portes d’Hadès. Je voudrais cette fois-ci dégager brièvement les rôles que Jésus fait jouer à ses disciples.
Le premier rôle que l’on rencontre ici, c’est celui de témoin, mais pas de la manière attendue. En les interrogeant, « Quelles choses les humains disent-ils le fils de l’homme être ? » Il attend d’eux, autrement dit, qu’ils soient de bons témoins de ce qui se dit, donc qu’ils soient véritablement à l’écoute des « humains« . Voilà une dimension que l’on occulte trop facilement : être suffisamment en lien avec le monde, avec « les gens », pour que, collectivement, tout ce qu’ils disent soit entendu. Et non seulement entendu, mais rapporté : il veut savoir, et il convient de le lui dire.
La question est précise : qu’est-ce qu’il est ? Les disciples doivent non seulement avoir entendu, mais avoir intégré ce qu’ils ont écouté, et l’avoir réfléchi. Car peu certainement sont ceux qui échangent directement sur cette question un peu « philosophique ». Il est vrai qu’ils vont répondre surtout en rapportant des noms : Jean-Baptiste, Elie, l’un des prophètes. Cela, oui, peut s’échanger facilement, mais il faut l’avoir retenu, l’avoir noté. Quand on est soi-même passionné par quelque chose, on ne retient pas forcément ce qui ne concorde pas exactement avec ce qui nous passionne : eh bien, de la même façon, les disciples auraient très facilement pu ne pas retenir ces appellations un peu « concurrentes » avec leur propre annonce.
Car déjà ils participent à l’annonce (on va y revenir dans un instant), et l’énoncé de ces « dires », c’est aussi un peu l’énoncé de leurs échecs ! Ils n’ont pas réussi à faire passer ce qu’ils pensent, eux. Ils ne sont pas parvenus à installer dans l’esprit des gens l’approche qu’ils ont eux-mêmes de Jésus. Ce n’est pas facile à dire, d’autant qu’à ce stade, ils ne savent absolument pas quelle est l’intention du maître qui leur pose cette question. Est-ce que évaluation de leur efficacité ? Un bilan de leur activité ? Quelles seront les conséquences de leur retour ? Nous voyons ici qu’une autre attente vis-à-vis des disciples est qu’ils soient vrais, réalistes, ancrés dans la réalité. Vrais et honnêtes, ils ne se racontent pas des choses, ils acceptent les choses telles qu’elles sont et s’y confrontent humblement. On ne leur demande pas un optimisme béat, on ne leur demande pas, sous prétexte d’espérance, de relever « les fois où ça marche », on leur demande de regarder les choses en face.
Mais vient une nouvelle question, très impliquante, plus encore peut-être que la première : « Et vous, quelles choses dites-vous moi être ? » On attend donc du disciple qu’il s’implique, qu’il dise ce qu’il a vraiment dans le cœur. Pas de discours tout fait, pas de slogan à la mode, pas de message calibré ni de langue de buis. Non, mais bien : quelle parole naît de vous ? Et sans doute ne s’agit-il pas seulement de la parole proférée, mais sans doute aussi de la parole manifestée par tout un agir, toute une attitude. Que dites-vous ? Il me semble qu’on demande aussi au disciple d’avoir une conscience éveillée de la parole qu’il profère effectivement, avec le même réalisme que précédemment. D’avoir du recul. D’avoir une parole personnelle. Tant de fois ai-je entendu : « je dis ce que dit l’Eglise ». Mais l’Eglise, comme telle, ne dit rien !!! L’Eglise, ce sont les personnes qui la composent ! Alors qui, dans l’Eglise ? On ne peut se retrancher derrière quelqu’un d’autre, il faut se commettre quand on est disciple. Répéter, c’est ce que font les scribes, pas les disciples.
Pierre prend la parole. C’est bien le signe manifeste que seule une réponse personnelle est possible. Pierre ne prend pas la parole « au nom de tous », ce n’est pas ce que Matthieu a écrit. Sinon, ce que Jésus déclare s’adresse aussi à tous, puisqu’il n’aurait fait que prononcer les mots qu’ils se disent tous entre eux. Mais non, le résultat de sa prise de parole est une « béatitude » très personnelle.

Oser cette parole personnelle, c’est aussi livrer le travail en soi du père. C’est exactement ce que Jésus dit : « Ce ne sont pas la chair et le sang qui t’ont révélé cela mais mon père, celui qui est aux cieux. » Livrer une parole personnelle, c’est laisser aboutir en soi l’œuvre du père, accomplie je le crois (ce n’est pas dans le texte) par l’esprit. Et savoir accueillir, parmi les disciples, la parole personnelle de l’un d’entre eux, c’est accueillir aussi l’œuvre du père et croire à l’esprit.
Et puis encore, être disciple, c’est se laisser confier des choses très personnelles par Jésus : suite à sa prise de parole, Pierre se voit confier des choses qui reposent sur son nom (ou son surnom), c’est-à-dire qu’il n’appartient qu’à lui d’accomplir. Pas forcément tout seul, mais ce sera son point de vue personnel sur la mission partagée de Jésus.
Une dernière chose enfin : être disciple, c’est aussi se voir interdire certaines pistes par le maître. Il leur interdit de dire qu’il est « le Christ »,… après avoir si fort loué Pierre de l’avoir dit !! C’est assez difficilement compréhensible, vu ainsi, mais voilà : il peut me demander d’abandonner aujourd’hui ce qu’il me louait si fort de dire ou d’accomplir hier. C’est lui le maître. Ce n’est pas que cela soit mauvais, c’est juste qu’il ne juge plus cela opportun sans doute. Le jugement en tous cas lui appartient : le disciple, lui, a cette disponibilité aussi, cette désappropriation. Il ne fait pas toujours ce qu’il a toujours fait. Il ne dit pas toujours ce qu’il a toujours dit. Il reste à l’écoute, et cherche de nouvelles voies.
Un commentaire sur « Le rôle de disciple (dimanche 27 août) »