Enjeux d’un synode (dimanche 8 octobre)

Le texte de l’évangile, sur le site de l’AELF

Dans un premier temps, j’ai essayé de donner une lecture générale de cette parabole, en montrant comment elle s’adresse aux seuls responsables, et comment elle les invite à se désapproprier dans l’exercice de leur responsabilité se désapproprier ; dans un second temps, je me suis focalisé sur Jésus qui énonce une telle parabole, envisage donc clairement sa propre mort, mais ne cesse aussi d’appeler au changement les chefs qui envisagent de le tuer, jamais trop tard pour changer. Je vous propose de porter notre attention cette année sur la fameuse vigne.

« Un homme était maître d’un domaine, il planta une vigne… » Le verbe « planter » est bien traduit, et l’on comprend qu’il ne s’agit bien sûr pas d’un seul « plant de vigne », mais bien d’une vigne entière, d’un « climat », comme on dirait en Bourgogne : l’ensemble d’un champ clos, avec tous les pieds de vigne qu’il semble opportun de mettre là. Cette vigne est plantée par un [oïkodéspotès] : un [déspotès], mot transparent qui donne notre « despote », est un maître, mais entendu par rapport aux esclaves, un maître absolu. La précision [oïko-] indique là où s’exerce son pouvoir, à savoir la maison et toute sa dépendance. Et là vient notre étonnement : comment un tel homme plante-t-il lui-même sa vigne ? Tout devrait le porter à le faire faire ! On peut bien sûr comprendre qu’il en a seulement donné l’ordre et que d’autres l’ont exécuté, comme Jules César écrit « Caesar pontem fecit » : tout le monde comprend qu’il a donné l’ordre et que d’autres ont bâti le pont. Admettons.

Reste que notre parabole décrit une longue et grande sollicitude de ce « maître du domaine » pour cette vigne : non content de la planter, il la ceint d’une palissade (le mot évoque un ouvrage de défense), creuse dans sa vigne une cuve de pressoir et bâtit une tour. C’est très impressionnant. Il a sans doute fallu beaucoup de personnel et d’énergie pour faire tout cela, et investir par conséquent des sommes considérables. Mais si notre homme a surtout donné les ordres, mettons-nous à son point de vue : quel est son plan ? Qu’a-t-il cherché à faire ?

Planter la vigne, c’est évidemment lui donner vie : cela suppose tout une préparation du sol, mais aussi de choisir les cépages et trouver les pieds, les préparer aussi, et aussi de réunir toutes les conditions pour que les plants prennent. C’est une longue opération, qu’il est recommandé d’anticiper d’au moins trois ans ! Et le soin (ou non) apporté pour cette plantation engage pour plusieurs décennies : certaines maladresses ou négligences ne se révèleront que plusieurs années après, trop tard pour être corrigées autrement que par un arrachage. C’est dire si ce simple mot « planta un vigne » est chargé. C’est la moitié d’une vie humaine qui est tout de suite la mesure de cette opération.

Notre homme ne se contente pas de faire apparaître et croître la vie, il entoure sa vigne d’une palissade : il s’agit ici sans nul doute de défendre cette vie qui grandit contre les prédateurs extérieurs : sangliers, renards, et toutes sortes d’animaux plus ou moins grands qui pourraient venir arracher les pieds de vigne ou en manger les feuilles ou les fruits. Peut-être aussi la protéger un peu contre le vent ? Ce ne sera pas une protection absolue, mais mettra tout de même la vigne dans des conditions moins exposées. On voit l’intention de protéger la vigne contre les aléas climatiques.

Le fait de creuser une grande cuve montre aussi une vision claire de la finalité, et aussi un souci de la qualité : creusée dans le sol, la cuve permettra que le raisin y soit aisément déversé, ou bien qu’un pressoir y soit installé, solidement posé. C’est une infrastructure importante qui peut connaître plusieurs usages. Mais aussi, le fait que cette cuve soit creusée et installée dans l’enceinte même de la vigne est un gage de qualité : le transport sera moindre, et donc les occasions pour le raisin de s’abîmer ou s’écraser durant le transport seront diminuées d’autant. Tout est pensé dès le début pour que cette vigne produise, et que cette production soit de grande qualité : ce n’est pas la quantité qui est visée (puisque c’est une partie du terrain qui est prise pour la cuve), mais bien la qualité.

Et pour finir, voici une tour. C’est plus inhabituel. J’y vois deux raisons possibles, et d’ailleurs combinables : voir de plus loin les incendies, ou les grosses intempéries, et donc se donner le temps de la réaction, d’abord ; surveiller mieux l’activité humaine indésirable et se prémunir contre des pillards ou des voleurs, ensuite. On voit que notre homme a pensé à tout, qu’il est très réaliste sur les conditions concrètes dans lesquelles sa vigne va se développer, qu’il n’en est pas moins ambitieux, et aussi qu’il ne regarde pas à la dépense, ni pour le lancement ni pour l’entretien régulier, puisque ces dispositions engagent un grand nombre de bras.

La vigne, puisque c’est à elle que nous voulions nous intéresser, est donc l’objet de soins profonds et persévérants, endurants même, de la part de son auteur. Elle est d’emblée un collectif : les pieds de vigne sont nombreux, ils ne sont pas forcément tous du même cépage, ils ne vont pas tous pousser de la même manière, eu égard à leur implantation particulière (terrain, exposition, etc.) et à leur vigueur propre. Mais ils vont pousser ensemble, certains faisant un peu d’ombre aux autres, mais aussi les mettant à l’abri du vent. L’élan vers la lumière de chaque plant, sa résistance, son hydratation : tout est particulier mais tient à un jeu subtil d’interactions. Ce collectif gandit ensemble dans sa diversité.

Mais la vigne devient-elle ce qu’ a voulu son maître ? Car il la confie à des « paysans » -mot général pour tous ceux qui sont engagés dans une forme d’agriculture : en l’occurrence, nous les appellerons des « vignerons« -, il passe de l’équipe de ceux qui ont mis en place cet ensemble à l’équipe de ceux qui vont cultiver et soigner. C’est un travail qui est vraiment dans le prolongement du premier, gardons présent à l’esprit que la vigne s’établit sur plusieurs décennies : s’il y a donc un nouveau travail de culture, il y a aussi toujours en cours un travail identique au travail initial en ceci qu’il le prolonge et que la plantation n’est pas tout-à-fait finie, qu’il faudra du soin, un œil exercé et une attention à chaque plant pour vérifier qu’il prend un bon développement, au-delà du simple fait de donner du raisin. Ce n’est pas parce qu’un pied donne du raisin au début qu’il est bien parti et durera longtemps. Et vues les dispositions générales et l’architecture des lieux, on peut comprendre que l’équipe des vignerons aura soin de la vigne, mais assurera aussi la garde dans la tour, les vendanges, le transport à la cuve, et jusqu’à la première presse.

Le problème est qu’il n’y a pas de récolte : du fait de la vigne ? Nous n’en savons rien. On peut cependant imaginer le contraire, tant le récit de la parabole semble supposer que les pieds de vigne, eux, ont fait leur travail ! Non, tout le problème vient des responsables. L’équipe des vignerons entre dans l’affrontement avec l’équipe des « serviteurs », envoyés par notre maître du domaine et, cramponnés à la vigne, refuse d’en remettre « les fruits« . Ce dernier mot est à entendre au sens large : il ne s’agit pas forcément du raisin, le mot peut être employé pour désigner le produit, y compris liquide. La cuve étant déjà creusée sur place, il paraîtrait logique que l’on vienne chercher le jus déjà pressé pour aller le mettre en fût et le vinifier.

En fait, tout se passe comme si ces vignerons étaient ceux-là mêmes contre lesquels avait été bâtie la tour. Loin de défendre la vigne contre d’éventuels voleurs ou pillards, il se comportent eux-mêmes en voleurs et en pillards ! Et cette attitude ne fait que s’aggraver : quand vient le fils (car l’homme, lui, envoie un fils : c’est le lien d’affection qui prime), ils ne voient que l’héritier (c’est-à-dire un lien d’intérêt… ) et au lieu de l’accueillir dans la vigne et d’en faire sortir le produit, ils gardent au contraire le produit et jettent dehors cet « héritier » -jusqu’à le tuer. Au vu du plan initial, la vigne est détournée de sa finalité, et c’est ce qui est grave. On pourrait dire qu’elle n’est pas abîmée, les vignerons n’ont aucun intérêt à détruire la vigne. Mais c’est presque pire, son produit ne peut plus aller à celui pour qui il a été destiné. En fait, c’est comme si la vigne était asservie, capturée. C’est une forme de mort pire que la mort : sans fin, la vigne est coupée de son auteur, de celui qui a pris tant de soin pour la faire naître. Elle n’a plus aucun sens. Elle vit pour d’autres qui n’en font que du profit, et selon leur logique elle sera exploitée, bientôt sur exploitée, épuisée.

Dans l’évangile de Matthieu, cette parabole fait immédiatement suite à celle que nous avons lue dimanche dernier, dont le but était de dénoncer l’attitude des Pharisiens et des Docteurs. Le but est à l’évidence le même, mais cette fois-ci elle dénonce aussi leur responsabilité. Mais la symbolique de la vigne en ressort transparente : il s’agit du peuple que le dieu lui-même s’est suscité, pour lequel il a pris tous les soins, un peuple dans toute sa diversité et ses interactions, un peuple qu’il a tiré de l’esclavage pour le faire accéder à la liberté, mais un peuple qui est détourné par ses responsables à leur propre profit.

Il me semble que nous rejoignons ici, avec une remarquable coïncidence, l’enjeu profond du synode qui s’ouvre dans l’Eglise catholique, enjeu qui va bien au-delà de celle-ci. Il s’agit pour la vigne de retrouver sa finalité : cela concerne donc tous ceux, quelle soit leur confession, qui se retrouvent dans le collectif des disciples de Jésus. Mais toute la difficulté est que le synode réunit avant tout les vignerons. Il n’y aura pas que des « responsables » dans cette assemblée, mais qui votera à la fin, et donc qui gardera et exercera le pouvoir je l’ignore. La faillite des vignerons sera-t-elle reconnue ? Le détournement de sa finalité imposé à la vigne sera-t-il mis en lumière ? La diversité des pieds de vigne, certains ayant même marcotté hors palissade pour survivre, sera-t-elle aperçue ? Je l’ignore. Mais je l’espère. La conclusion attendue est pourtant déjà écrite : « Il louera la vigne à d’autres vignerons« . C’est un véritable changement d’équipe qui est l’issue.

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