Le texte de l’évangile, sur le site de l’AELF.
Ce texte tiré de l’évangile de Jean -et non plus de Marc, déjà-, nous l’avons rencontré deux fois. Comme il est recomposé à partir de deux textes distincts (ce qui est une grave manipulation, disons-le), j’ai commenté le premier de ces textes la première fois, Faire advenir la parole, et le deuxième la deuxième fois, Naître dans la nuit. Cette fois, je suis frappé et retenu par ce petit passage du deuxième texte : « Moi, je baptise dans l’eau. Mais au milieu de vous se tient celui que vous ne connaissez pas….«

Une petite remarque pour commencer : à regarder le texte grec, je ne vois aucune formulation ni aucun mot qui justifie ce « mais« . Or c’est là un mot qui crée une opposition, on aurait d’une part Jean qui baptise, d’autre part et en contraste Jésus (non encore nommé) qui est au milieu. Tel n’est pas le texte. Et la traduction qui nous est donnée augmente encore cette opposition par l’effet d’un point, séparant en deux phrases les deux affirmations. Mais le texte grec porte un « point-en-haut », qui correspond plutôt soit à un point-virgule, soit aux deux-points. Il n’y a pas d’interruption. Je vous propose donc plutôt : « Moi, je baptise dans l’eau : au milieu de vous se tient celui que vous ne connaissez pas….«
Il est maintenant temps de nous souvenir que ce passage est une réponse. Après lui avoir demandé qui il était, et avoir surtout obtenu d’entendre qui il n’était pas, les envoyés des pharisiens surpris ont demandé à Jean pourquoi alors il baptisait. Saisissons bien la pointe de leur question : ils ne sont pas saisis par la réalité du baptême, mais par la personne qui le fait pratiquer ! Ils ne sont pas saisis par la réalité du baptême, de l’immersion, parce que c’est une réalité qu’ils connaissent déjà. Rien n’est moins neuf, en effet, et les livres du Lévitique (11–15) et des Nombres (19) en décrivent l’institution : il s’agit d’un bain de purification, prévu dans les pratiques rituelles de la Loi. Il est vrai qu’à l’époque dont nous parlons, celle des évangiles, cette pratique s’était même multipliée pour devenir quotidienne chez les Esséniens, un groupe religieux dont Jean-Baptiste aurait bien pu être proche. Ils vivaient dans les lieux écartés, les déserts, et attendaient l’imminence de la fin des temps : d’où cette pratique quotidienne du baptême, en vue d’être purs pour le jugement final. Le baptême (tebila) avait même pris chez eux un accent pénitentiel, exactement l’accent qu’il prend chez Jean-Baptiste.
Ainsi donc, les envoyés des pharisiens ne sont pas surpris de cette pratique du baptême, elle est légale et s’est même répandue, notamment chez les Esséniens, et peut-être ailleurs sous leur influence. Mais Jean-Baptiste ayant déclaré qu’il n’était pas le Messie, qu’il n’était pas Elie (élevé au ciel sur un char de feu et, pour cela, dont le retour est attendu pour la fin des temps) et qu’il n’était pas l’un des prophètes, leur question sur son titre à baptiser est légitime, leur étonnement tout-à-fait explicable. Et c’est là que l’explication donnée par Jean à son baptême prend, à mon avis, toute sa résonnance.
Et je comprends sa réponse comme celle d’une portée symbolique ou révélatrice donnée à son baptême. « Moi, je baptise dans l’eau : au milieu de vous se tient celui que vous ne connaissez pas…. » Comme s’il disait : moi, je vous immerge au milieu des eaux, parce qu’un autre s’immerge au milieu de vous, un que vous ne connaissez, ou ne reconnaissez pas. C’est un baptême, au sens propre, apocalyptique : un baptême de révélation ([apokalupsis] signifie dévoilement, révélation). Jean n’est pas le Christ attendu. Mais il n’est pas non plus un des prophètes, chargés d’annoncer qu’un jour il y aura le Christ attendu. Il a une position très particulière, unique. Il est là pour dévoiler que le Christ est là. Ainsi, selon Jean (l’évangéliste, cette fois), son baptême s’explique d’une double manière : il est bien baptême rituel de purification, il est aussi baptême moral de pénitence, mais il est aussi acte symbolique de dévoilement et de prise de conscience. Prise de conscience que le Christ est là, quelque part, un de ceux qui sont là dans le peuple. Le peuple n’est déjà plus un peuple en attente, il est un peuple habité par celui qu’il attend.
C’est une affirmation qui pèse lourd. Elle change totalement la perception et le regard que nous portons sur ceux au milieu desquels nous vivons : Jésus est là, au milieu d’eux. Saurons-nous le reconnaître ? Nous ouvrirons-nous à sa présence ? Elle change notre attente : nous n’attendons pas quelqu’un à venir, nous n’attendons même Noël le vingt-cinq décembre, nous avons déjà celui que nous attendons. Saurons-nous nous ouvrir déjà à la joie de cette présence ? Saurons-nous nous convertir au présent et chercher dans ce présent la présence tant désirée ?
Tout ceci n’est pas une petite affaire. Nous pouvons toujours donner à l’avenir, même proche, la forme de nos désirs. Nous faisons ce que nous voulons de l’avenir : il n’existe pas. Mais le présent, lui, s’impose avec ses douceurs mais aussi sa dureté, avec ses apports mais aussi ses vides, avec ses présences mais aussi ses absences. On ne fait pas ce que l’on veut du présent, c’est nous qui devons nous faire à lui. Notre présent es fait de rencontres, de labeurs, de pertes, de deuils, de guerres, de luttes, etc. Or le message de l’évangéliste Jean, qu’il personnifie dans la personne du Baptiste, c’est que c’est dans ce présent-là que se tient « celui que vous ne connaissez pas« . Nous sommes en ce moment même en présence de l’inconnu, de ce que nous ne connaissons pas. Cela rejoint ce qui nous était dit la semaine dernière sur la nouveauté. Il nous est impossible de reconnaître ce que nous ne connaissons pas. Mais l’acte de foi, ce qui peut changer nos cœurs et nos vies (il s’agit bien de conversion), c’est de prendre à plein bras l’inconnu d’aujourd’hui en croyant que s’y tient « Celui » qui vient nous sauver.
Un commentaire sur « L’inconnu d’aujourd’hui (dimanche 17 décembre). »