Dimanche 5 novembre : nous avons tous de quoi changer le monde.

Lire le texte de l’évangile sur le site de l’AELF

Après ces trois entretiens-pièges, c’est Jésus lui-même qui prend l’initiative d’une question aux Pharisiens qui viennent l’entourer, question qui met fin à leur stratégie de le « prendre dans leurs filets en paroles » : il est trop fort pour eux, sans doute, et ils n’osent plus s’aventurer sur ce terrain.

Du coup, Jésus s’adresse « aux foules et à ses disciples » : il confirme publiquement l’autorité des Pharisiens et des Scribes, qui « sont assis dans la chaire de Moïse« , [epi dès Môuséôs cathédras écathisan], littéralement « sur le siège de Moïse siègent…« . La répétition est très volontaire, elle marque l’adéquation parfaite entre l’autorité fondatrice et la place qu’ils occupent. Encore une fois, Jésus ne veut en rien écarter les autorités religieuses, ils veut au contraire renouveler Israël tout entier, jusques et y compris ses autorités. Car le peuple, c’est tout cela : les prophètes ont beaucoup répété qu’en Egypte, Israël n’était pas un peuple (seulement un groupe) et que c’est le don de la liberté, de la Loi, d’institutions, etc. qui en a fait un peuple.

Il y aurait ici une réflexion très actuelle à mener (peut-être à chacun de la mener ?) sur notre rapport à nos autorités, qu’elles soient religieuses ou politiques, ou autres encore. Le découragement devant l’insuffisance des uns ou des autres peut conduire à vouloir s’en passer. Mais peut-être la solution est-elle plutôt de s’opposer assez vigoureusement à des manières de faire (ou de ne pas faire !), éventuellement à investir d’autres… Bref, je me contente d’ouvrir cette porte et je poursuis.

La confirmation par Jésus de l’autorité va loin : « Tout ce qu’ils vous disent, faites et pratiquez, mais en fonction de leurs actions ne faites pas : car ils disent et ne font pas.« . Ce qu’ils « disent« , c’est le verbe [épô] : c’est dire, parler à quelqu’un, éventuellement proposer ou prescrire. Il s’agit donc de ce que ces scrutateurs d’écrits peuvent tirer de leurs études, et non d’abord d’ordres qu’ils donneraient. Du reste, telle n’est pas l’autorité des Pharisiens ni des scribes : ce sont des groupes, rappelons-le encore une fois, qui ne tirent leur existence que de l’époque du retour d’exil. Leur autorité n’est pas organique dans le peuple, mais leur référence constante à l’Ecriture, la recherche où ils sont de ses moindres détails, est plutôt approuvée par Jésus. Et il me semble que c’est ce que nous aussi nous essayons de faire : chercher et examiner les détails du texte de l’évangile, celui de s.Matthieu cette année, afin d’ouvrir à la réflexion. Et ce que chacun remarquera serait intéressant pour tous, je le redis au passage (même si la rubrique « commentaire » du présent site est peu pratiquée par les quelques lecteurs… Qui sait ? Cela pourrait changer, au profit de tous…)

Mais c’est le verbe « faire » qui revient trois fois en très peu de temps : vousfaites, mais en fonction de leurs actions ne faites pas : car ils ne font pas. Le verbe [poieuô] est celui qui donne en français la poésie : il signifie d’abord fabriquer, confectionner, construire; mais aussi créer, produire (y compris au sens d’un arbre qui produit des fruits, ou d’une femme qui donne naissance à un enfant); ou encore agir, être efficace; et puis encore composer, inventer ou procurer. Dans l’ensemble, se dégage l’idée très générale de l’action qui vient du profond d’un être et apporte ou transforme. [ta erga], les actions ou les œuvres, ce sont les affaires dont on se charge, les réalisations concrètes, les travaux.

Autrement dit et si je comprends bien, Jésus recommande que les paroles, mises au jour ou explicitées par ces scrutateurs des écrits, aient un prolongement dans la vie des auditeurs : qu’elles soient accueillies en profondeur et produisent quelque chose qui apporte au monde ou transforme le monde. Mais il avertit ses auditeurs que tel n’est pas le cas chez ces mêmes scrutateurs : leurs travaux, les affaires dont ils se chargent, ne conduisent pas à ce renouvellement du monde.

Il me semble que cela interroge aussi la manière dont nous nous référons à ceux ou celles qui font pour nous autorité : trop souvent, au lieu de nous laisser en quelque sorte « féconder » par leur parole ou leurs découvertes, nous cherchons aussi à imiter, à épouser les conséquences qu’ils tirent eux-mêmes. Ce faisant, nous sommes complices de la place excessive qu’ils prennent, par paresse ou lâcheté. Ce qui est pourtant indiqué ici, c’est plutôt de faire confiance à notre intimité, à l’écho profond et personnel qu’ont pour nous ces paroles. Et à quoi servirait l’extraordinaire diversité de nos vies, de nos histoires, de nos sensibilités, de nos savoirs, s’il fallait au bout du compte les réduire à l’imitation de l’un d’entre nous ? Non, la diversité c’est la vie : non seulement dans une vision écologique solide, mais plus largement encore dans une humanité pleinement transparente à ce pour quoi elle a été faite. Si les fonctions sont différentes, si certains ont le don de faire apparaître des profondeurs ou d’ouvrir des portes dans l’écriture, par exemple, mais aussi peut-être dans l’analyse d’une situation, chacun a sa manière bien personnelle d’accueillir cette nouvelle lumière. Et ce qu’il ou elle en tire dans son action, ce qu’il ou elle fait est précieux, et irréductible, et nécessaire à tous. Le vin produit par le terroir que je suis n’a pas à ressembler à celui produit par le terroir qu’est l’autre. Et ainsi, nous nous gardons tous, les uns les autres.

Jésus dénonce deux dimensions dans les [erga] des Pharisiens et des scribes : d’une part, ils veulent de tout faire des lois, ce qui est au sens propre insupportable. L’image qu’il emploie est celle de lourdes charges attachées sur les épaules avec de grosses cordes : l’esclavage n’est pas loin. Alors que des paroles laissées à produire ce qu’elles éveillent dans la vie de chacun, celles-là libèrent. Ah méfions-nous des gens qui, parce qu’ils voient assez bien les questions ou les problèmes, se persuadent qu’ils ont par conséquent les bonnes solutions. Et quelle terrible erreur, y compris dans l’Eglise, que ce manque de confiance accordé à la conscience de chacun, pourtant habitée par l’Esprit saint.

D’autre part, Jésus dénonce la culture de l’image : « Toutes leurs œuvres, ils font [pros to théathènaï] par les hommes; » dans [théathènaï], vous avez reconnu théâtre, théorie. Aujourd’hui, on traduirait « pour l’impact médiatique ». Au fond, le non-respect du cœur des autres, en voulant imposer sa vision, conduit à l’oubli de son propre cœur : on vit de l’image que l’on donne.

Et Jésus donne un remède vigoureux contre cette terrible dérive : « Vous au contraire, ne soyez pas appelés ‘rabbi’; un seul en effet est pour vous l’enseignant, et tous vous êtes frères. Et ‘père’ n’appelez pas un de vous sur la terre; un seul en effet est pour vous le père : le céleste. Et ne soyez pas appelé guide, parce que votre guide est un seul : le Christ. » Toute revendication de titre relève de l’image, vise au prestige. Il ne convient ni d’en revendiquer (« ne soyez pas appelés« ) ni d’en décerner (« n’appelez pas« ). L’autorité selon l’évangile a toute sa verticalité dans le « ciel », dans ce qui vient « d’en-haut ». Le rapport des hommes entre eux est marqué avant tout par la fraternité, la valeur de chaque conscience individuelle, sa manière de faire écho à ce qui l’a touchée et fécondée.

Conclusion : « Le plus grand de vous est le serviteur de vous. » On voit bien l’idée, à ce point : le [diakonos], c’est celui qui fournit, qui sert à manger ou à boire, bref celui qui dispose ce qu’il faut pour que l’autre vive et grandisse. C’est l’inversion complète de la notion d’autorité. On sait que le mot latin [auctoritas] vient probablement du verbe [augere], grandir, augmenter. Celui qui m’augmente, c’est celui qui fournit à mon cœur et à ma vie de quoi agir, de quoi puiser en moi ce par quoi je participe à la transformation ou au renouvellement du monde. Et cela, c’est grand.

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