la résurrection et l’amour : dimanche 10 novembre.

Le texte de l’évangile sur le site de l’AELF.

Pour situer le texte :

     Et nous sautons encore plus loin, au défi de toute cohérence du texte ! Car cette fois, nous sommes déjà à Jérusalem depuis quelque temps…

     Essayons de retracer le chemin : nous étions à Jéricho, où Zachée se voyait transformé par l’urgence à son égard que Jésus lui manifestait. Suite à cet épisode, Luc fait ajouter à Jésus une parabole, celle des « Dix mines », dans laquelle l’idée de délai est essentielle : une manière de faire comprendre que son entrée à Jérusalem ne va pas correspondre avec l’avènement manifeste du Royaume, comme nombre le croient, mais que cet avènement manifeste est retardé pour appeler la collaboration. Il faut se présenter ce qu’avaient en tête les contemporains. Ils attendaient pour beaucoup un « messie », c’est-à-dire un personnage politique qui revendiquerait puis prendrait le pouvoir pour restaurer la monarchie davidique et lui donner une dimension universelle. Jésus ne laisse pas dire qu’il est « messie« , craignant trop cette ambiguïté. Mais il a eu beau dire clairement sa destinée souffrante et sa mort, il n’entame pas l’optimisme que croient avoir ses disciples (statut pas bien distinct, dans leur tête, de ses « partisans ». Ambiguïté toujours d’actualité, à toutes les époques.). Et pour eux, l’arrivée à Jérusalem doit être une marche triomphale vers le pouvoir.

     De fait, et c’est l’épisode suivant, Jésus fait une sorte d’entrée triomphale à Jérusalem. Il la fait en référence à une prophétie de Zacharie, qu’il tient à mettre en scène de façon très précise : l’entrée est bien royale, mais avec le paradoxe avoué de l’humilité. Personne ne s’y trompe, et la réaction populaire pourrait entraîner les responsables, et provoquer ainsi l’unité d’un peuple entier pour son renouvellement profond. Mais tel n’est pas le cas, l’objectif poursuivi n’est pas atteint, et Jésus pleure sur Jérusalem, joignant pourtant au premier signe un second, la « purification » du temple des marchands qui le peuplent.

     Dans le cadre d’un enseignement de Jésus désormais à Jérusalem, au vu et au su de ceux qui s’opposent à lui, vont maintenant se succéder des affrontements avec plusieurs groupes de ses opposants (qui parfois s’opposent aussi entre eux) : ce sont d’abord grands-prêtres, scribes et anciens qui viennent lui demander des comptes sur son autorité à enseigner. Ensuite, scribes et grands-prêtres cherchent clairement à le piéger avec une question chausse-trappe sur le paiement ou non de l’impôt; puis ce sont les Sadducéens qui vienne l’interroger à propos de sa position concernant la résurrection.  Finalement, c’est lui-même qui prend l’initiative d’une question d’interprétation des Ecritures, à laquelle ils ne parviennent pas à répondre : ce qui permet à Jésus de mettre en garde le peuple quant à l’autorité des scribes. La boucle est bouclée : ceux qui voulaient remettre en cause l’autorité de Jésus en sont pour leurs frais, c’est leur propre autorité qui est finalement sapée. Ce qu’ils ne pourront évidemment admettre.

     Notre épisode d’aujourd’hui est précisément l’intervention des Sadducéens.

Mon modeste commentaire :

     « S’approchant à leur tour, certains des Sadducéens, ceux qui disent qu’il n’y a pas de résurrection, le consultaient en disant :… » Les Sadducéens sont des conservateurs, ce sont souvent des prêtres. Ils ne reçoivent pas comme « Ecriture », comme font les Pharisiens, l’ensemble des écrits que nous appelons prophétiques, ou encore de sagesse. Pour eux, seuls comptent les cinq premiers livres de notre Bible : c’est là que le dieu d’Israël s’est exprimé, c’est là qu’il y a l’autorité canonique, c’est-à-dire qui doit régler la vie du peuple d’Israël et de chacun de ses membres. La doctrine de la résurrection n’étant pas expressément enseignée dans ces livres (mais dans des écrits beaucoup plus tardifs et récents, comme les Livres de Maccabées), ils tiennent cela pour une simple opinion mais ont garde qu’on ne l’enseigne.

     En précisant cela, Luc nous laisse entendre qu’il va y avoir conflit ouvert sur cette question, du fait que Jésus enseigne la résurrection, c’est-à-dire qu’il en fait un élément essentiel, ou très important du moins, de son enseignement. Il nous fait aussi comprendre que c’est la question de l’autorité qui continue à être au coeur du conflit avec les « autorités » religieuses. C’est sans doute pour cela que les scribes et les grands-prêtres, plutôt du parti des Pharisiens, laissent monter contre Jésus les Sadducéens : ils ne sont pas non plus d’accord avec ces derniers  sur la question de la résurrection qu’ils admettent au contraire. Mais ce qui les intéresse, c’est que l’autorité à laquelle Jésus prétend en matière religieuse, en matière d’interprétation des Ecritures surtout, soit combattue et vaincue, qu’importe par qui. Le mot employé à propos de la question des Sadducéens est [épérotaoo] : c’est le mot que l’on emploie quand on va consulter un oracle, quand on pose une question spécifique pour obtenir une réponse espérée. On essaye de faire dire : voilà l’ambiance !

     Et quelle est leur demande ? « Maître, Moïse a écrit pour nous : si un frère meurt ayant femme, et que celui-ci soit sans enfant, que son frère prenne la femme et suscite une semence à son frère. » Pour le moment, il ne s’agit pas d’une question mais d’une mise en contexte. Les Sadducéens citent le Deutéronome -rien d’étonnant à cela-, en se saisissant d’un texte qui montre le souci pour le frère (peut-être aussi au sens assez général), notamment dans le fait que chacun survive par sa descendance : car l’enfant qui naîtrait de l’union susdite serait l’héritier de plein droit, par sa mère, des biens  du mari défunt de celle-ci. En soi, je trouve que le texte est plutôt bien choisi pour réfléchir à la question de la résurrection, car il entre dans cette observation que seuls les êtres qui meurent sont sexués, il apporte sur un plateau le fait qu’engendrer est déjà une stratégie de lutte contre la mort, ou de contournement. On pourrait à partir de là se demander si ressusciter est un désir (ou une promesse) raisonnable, ou s’il est par trop individuel, s’il ne faut pas plutôt chercher tout naturellement à survivre dans ses enfants. On pourrait demander si la promesse de résurrection ne vient pas en contradiction, ou du moins en concurrence, avec le plan premier du dieu créateur.

     Les Sadducéens ne font pourtant rien de tel, ils bâtissent tout un petit conte sur la base précédente : je ne redis pas tout ce conte, on l’a vu en lisant le texte. Mais ils en tirent une objection sensée être une difficulté majeure : s’il y a une résurrection, la femme qui a été successivement la femme de chacun des sept frères va se trouver simultanément celle de qui ? La simultanéité de la résurrection ne produirait-elle pas une polygamie de fait ? On voit tout de suite qu’on n’est plus vraiment dans l’esprit du texte avancé au départ : ceux qui l’utilisent, voire le manipulent, en font un texte concernant le mariage. On pourrait dire que ce n’en est précisément pas le sens, puisque l’enfant qui naîtrait d’une telle union serait l’héritier du défunt mari : on voit que l’idée n’est pas que le frère survivant épouse la veuve, simplement qu’il « suscite une semence » à son frère. C’est beaucoup plus « basique », en tout cas hors du cadre du mariage, très clairement. Cela montre avant tout une chose, c’est qu’à l’époque ou cette loi est édictée, le mariage n’est pas le seul cadre des relations sexuelles.

     Ce n’est pourtant pas la  réponse qui est faite aux Sadducéens, mais la chose suivante : « Les fils de cette ère-ci épousent et sont épousés, ceux qui sont jugés dignes d’atteindre à cette ère-là et à la résurrection de morts ni n’épousent ni ne sont épousés. Ils ne peuvent en effet plus mourir, car ils sont semblables aux anges et sont fils de dieu étant fils de la résurrection. » Ils ont parlé de mariage, il leur est répondu sur ce thème. Le verbe [gaméoo] signifie formellement « prendre femme« , il est normalement employé à la voix active pour un homme, et à la voix passive pour une femme. Lorsqu’il est utilisé à la voix active pour une femme, ou passive pour un homme, c’est toujours par ironie : Médée dit ainsi à Jason qu’elle l’a [gamousa], ce qui dit tout le mépris qu’elle a pour lui et son comportement à son égard ! Ainsi donc, le balancement repris par deux fois dans la réponse inclut les hommes et les femmes : tous sont concernés.

     Mais on voit surtout que tout ce balancement de la formule tient à une expression, traduite ci-dessus par « cette ère-ci » et « cette ère-là« . De quoi s’agit-il ? Le grec emploie le mot [aïoon], un mot un peu énigmatique. Il désigne d’abord la vie, la durée de la vie, la destinée; il désigne aussi le cours du temps, le cours des âges, voire l’éternité (au sens de la durée d’un toujours, si l’on peut dire !). On peut dire aussi un âge, comme on dit « dans l’âge futur… » Pas facile de cerner le concept !! Historiquement, le mot se rapproche de « force vitale » : au fond, il s’agit de la mesure de la vie. Voilà qui est, pour moi en tout cas, plus éclairant ! Selon la mesure de cette vie-ci, il est question de mariage. Mais selon la mesure de l’autre vie, de la résurrection, il n’en est pas question. Et la raison donnée : « ils ne peuvent en effet plus mourir… » Je comprends pour ma part que Jésus revient au rapport évoqué ci-dessus entre génération et mort, entre êtres sexués et êtres mortels. Selon la mesure de cette vie-ci, ces choses ont un rapport, et raisonner avec l’une pour conclure à l’autre a du sens. Mais selon la mesure de la vie dans la résurrection, ces choses n’ont plus de lien, et le raisonnement ne tient plus. Autrement dit, il détruit dans son noyau le raisonnement des Sadducéens.

     Comprendre les choses ainsi permet aussi d’écarter une réaction pleine d’émotion qu’ont parfois les personnes qui, mariées, tiennent à leur mariage et voudraient qu’il dure à jamais, y compris dans le monde de la résurrection. Jésus ne s’y oppose pas : il dit juste que le rapport entre mariage et mort est rompu dans ce contexte. Mais il ne dit pas que les époux ne peuvent plus s’aimer comme époux dans le monde de la résurrection. Simplement, la composante « lutte contre la mort » ne s’y trouve plus. On peut dire même que le lien entre époux s’en trouve purifié, en quelque sorte, débarrassé en tous cas. Peut-être demeurera-t-il entre ceux qui s’aiment ces seuls aspects de l’amour qui sont exempts de l’idée de mort, qui ne sont pas marqués par elle ou conditionnés par elle. On voit par contraste le n’importe quoi de ces discours qui, sur la même fausse compréhension, estiment qu’une vie de célibataire est une vie qui anticipe la résurrection : on ne l’anticipe pas plus comme célibataire que comme époux, se serait en rester à des choses bien formelles et bien extérieures ! Mais c’est la qualité de l’amour, de celui du ou de la célibataire, comme de celui de l’époux ou de l’épouse, qui fait la différence.

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Le Verbe a épousé ce monde-ci et la mesure de cette vie-ci dans la rencontre des deux « oui » à l’Annonciation. Il rayonne d’un « oui » vainqueur de la mort dans la résurrection, que notre « oui » peut épouser aussi.

     Jésus conclut tout-à-fait en tirant du Livre de l’Exode, donc un Livre reçu par les Sadducéens comme ayant autorité, un passage qui montre la résurrection comme seule explication possible : Abraham, Isaac, Jacob, sont cités comme forcément vivants, puisque par le dieu vivant qui se dit actuellement leur dieu. La démonstration d’autorité est totale. Et le texte conclut, au-delà du passage découpé par le lectionnaire : « Certains scribes répondent et disent : Maître, tu as bien parlé. Car ils n’osent plus l’interroger sur rien. » C’est dire si l’intention de Luc est bien de montrer à l’oeuvre l’autorité unique de Jésus quand il s’agit de donner le sens des Ecritures, et la limite de toute autre autorité en cette matière.

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