L’élan et la parole (dimanche 15 août).

Le texte de l’évangile, sur le site de l’AELF.

Aujourd’hui tombe le quinze août, et cette date est dans le calendrier catholique romain la solennité de l’Assomption de Marie, ce pourquoi nous interrompons la lecture du chapitre en cours de l’évangile de Jean (lui-même interrompant la lecture de l’évangile de Marc) pour écouter un texte de l’évangile de Luc. Ce n’est pas cela, cher lecteur, qui va te donner une solide connaissance des évangiles, mais enfin c’est ainsi et je n’y peux rien…

L’Assomption est une fête d’anticipation : on y célèbre comme déjà réalisée en Marie la « destinée » annoncée pour tous les humains, à savoir la vie éternelle de tout l’être humain, corps, âme et esprit, auprès du dieu. Une tradition antique, non attestée dans les Ecritures, tient que Marie connaît cette destinée par anticipation, par privilège, et cette tradition a été solennellement proclamée par le pape Pie XII en 1950 (ce qui n’est pas très ancien).

Sachant que l’objet de cette célébration n’est pas dans les Ecritures, comment s’est donc fait le choix du texte de l’évangile du jour ? Difficile à dire, bien sûr. Toutefois, je remarque que le premier mot de ce passage en grec est [anastasa], que l’on peut traduire par « se levant« , mais aussi par « ressuscitant« , puisque c’est ce même mot qui est employé par la plupart des évangélistes pour nommer ce qui arrive à Jésus après sa mort. Il se pourrait donc bien, sur cette base, que cela ait induit le choix de ce texte, sur la base dès lors d’une interprétation allégorique : ressuscitant avec son corps (déjà), Marie entre non plus dans la maison de sa cousine mais dans celle du dieu-père, où elle est accueillie par une bénédiction, où sa foi est exaltée en son accomplissement ultime, « heureuse celle qui a cru que seraient accomplies les dits de par le seigneur« , où enfin elle répond à jamais par l’expression de sa joie et de sa reconnaissance.

Ce n’est cependant pas cette piste que je voudrais suivre, parce qu’elle conduit à mettre trop l’accent sur la trajectoire exceptionnelle de Marie. Or, nous l’avons dit, ce qui est célébré aujourd’hui est avant tout une anticipation : ce qui est réalisé en Marie est l’image de ce qui sera réalisé en tous. Je voudrais donc plutôt inviter à une lecture de ce passage qui découvre en Marie ce à quoi nous sommes tous invités, ce qui dévoile notre appel à tous.

Domenico Ghirlandaio, Visitazione (1491), Huile sur bois (172 x 167), Musée du Louvre, Paris. La jeunesse de la Nouvelle Eve se penche sur la vieillesse de l’Ancienne et la relève, leur rencontre construit une cité (en arrière-plan). Et cette rencontre est déjà une résurrection, comme en témoignent de part et d’autre Marie de Jacques et Marie-Salomé, les femmes qui viennent au tombeau au matin de Pâques.

« Se levant donc en ces jours-là Marie se rendit en hâte dans la région montagneuse dans une ville de Juda. » En ces jours-là fait référence à ce que Luc vient de raconter, à savoir la visite à Marie de l’ange Gabriel et l’annonce qu’elle va « concevoir et enfanter un fils« . Comme signe, il lui a fait connaître que « Elizabeth, ta parente, elle aussi, a conçu un fils en vieil âge, et ce mois est le sixième pour celle qu’on appelait stérile. Oui, rien d’impossible à dieu, aucun mot ! » La femme, Marie, qui nous est présentée est donc déjà porteuse d’un enfant, porteuse d’une promesse, porteuse de vie : mais elle n’en est pas moins attentive et elle n’a pas entendu la parole de l’ange seulement comme un signe pour elle-même, elle a entendu le fait pour ce qu’il est. Elizabeth, déjà bien âgée, en est déjà à six mois de grossesse, elle a donc sûrement besoin d’aide et d’assistance. Et aussitôt la voilà partie, « en hâte« , pour une traversée du pays du nord (Nazareth) vers le sud (la montagne de Juda) et de la plaine vers la montagne. Marie est l’image de chacun d’entre nous : nous sommes tous porteurs d’une promesse, habités par la vie, habités d’une manière ou d’une autre par Jésus, mais aussi capables d’une attention envers ceux qui font partie de notre « monde » et capables de nous laisser non seulement émouvoir mais mouvoir à leur service. L’un ne va pas sans l’autre, l’un authentifie l’autre.

« …et elle entra dans la maison de Zacharie et salua Elisabeth. » [aspadzomaï], c’est d’abord attirer à soi ; par suite, c’est accueillir avec empressement, saluer, embrasser, et même plus largement aimer, s’attacher à. On voit que ce verbe évoque d’abord un mouvement physique, une implication physique dans un mouvement du cœur à l’occasion d’une rencontre. Voilà qui est étonnant : Marie entre dans une maison qui n’est pas la sienne, mais celle de Zacharie et Elisabeth, or c’est elle qui a le premier mouvement. Mais sans doute est-ce tout simplement l’aboutissement du mouvement dont elle a l’initiative et qui la porte depuis la lointaine Nazareth : elle va, elle se hâte, elle court, elle est tout élan vers sa parente et lorsqu’elle entre enfin dans la maison, c’est pour embrasser tout simplement celle qui est à l’origine de tout son mouvement. Et comme l’ange l’a saluée en premier en entrant, elle salue la première en entrant : le parallèle n’est pas anodin. Elle fait bénéficier celle dont l’ange lui a parlé de l’élan même dont elle a bénéficié. Cela aussi, c’est une image pour chacun d’entre nous : puiser dans l’élan qui nous a porté la vie notre élan vers d’autres.

« Et il advint, comme Elisabeth entendait le salut affectueux de Marie, que bondit le fœtus dans son ventre, et fut remplie d’esprit saint Elisabeth, et elle fit résonner un grand cri et dit :… » Etonnant pouvoir que celui de ce salut affectueux, terme d’un élan de tout son être : il touche l’autre au plus profond. Triple effet : ce qu’Elisabeth porte, ce fœtus de six mois, bondit ; elle-même est remplie de l’esprit saint ; et voilà qu’elle s’écrie à haute voix, alors que (disait Luc peut auparavant) elle s’était « entourée de secret cinq mois » (et que Zacharie était devenu muet) comme si elle n’osait pas croire à ce qui se passait en elle alors même que sa stérilité faisait peser sur elle une honte qui la détruisait. Le pouvoir d’un élan envers l’autre, horizontal, c’est celui de le relever, de le ressusciter en quelque sorte : et la fête de ce quinze août suggère que cet élan horizontal est invisiblement un élan vertical qui porte jusqu’aux cieux, jusqu’en la maison du dieu. Cet être entier qui se porte vers l’autre, est ce même être entier qui est « sauvé », gardé, porté jusqu’en haut, au plus haut. Entrer dans un élan de charité dans la maison de l’autre, c’est entrer dans le même élan dans la maison du dieu.

Que s’écrie Elisabeth ? « …Bénie es-tu parmi les femmes et béni le fruit de ton ventre. Et d’où, à moi, cela que vienne la mère de mon seigneur vers moi ? … » L’ange avait saluée Marie du mot de [kékharitooménè], toute-modelée-de-grâce ; à présent elle est saluée du mot de [éoulogèménè], toute-modelée-de-parole-heureuse. Mais ce n’est pas elle seulement qui est ainsi « bénie », c’est aussi le « fruit de son ventre » : du plus profond d’elle-même, Elisabeth a entendu le bondissement de ce qu’elle porte et a reconnu par là que Marie aussi portait quelque chose au plus profond d’elle-même. Comme l’une s’apprête à livrer au monde, et en premier à son époux, le meilleur d’elle-même, elle reconnaît par là-même que l’autre aussi est dans la même préparation, dans la même travail, dans le même recueillement. La rencontre des deux femmes culmine en quelque sorte dans la rencontre de leurs fruits.

Pour Luc, anticipation là aussi, Jean-Baptiste est déjà le précurseur de Jésus, celui qui lui prépare la route et l’annonce et le désigne : son bondissement secret a déjà révélé à sa mère qui était celui qu’elle portait, et elle peut déjà dire « la mère de mon seigneur« . Et sans doute est-ce vrai aussi pour nous : l’élan de charité, d’ouverture, avec lequel on vient à nous, nous fait déjà pressentir la présence du dieu porté par l’autre. Elisabeth ne dit pas autre chose : « … voici en effet que comme advenait le chant de ta salutation affectueuse à mes oreilles, a bondi en exultation le fœtus dans mon ventre. » Révélation de la joie. Elle a senti que le bond était bond de joie, et d’une joie immense, débordante.

« … Et heureuse celle qui a cru que s’accompliraient les choses à elle dites de la part du seigneur. » Eloge de la foi : la grandeur de Marie, c’est sa foi. Elle est celle qui a cru. Des « choses » (la traduction est moche, pardon : les langues anciennes ont juste besoin d’un pluriel neutre.) lui ont été dites, auxquelles elle a cru, et du coup elle est « toute-modelée-de-parole-heureuse ». La parole est un don extraordinaire. Adresser une parole à quelqu’un, une vraie parole c’est-à-dire qui vient du fond et du meilleur de soi, c’est ajouter à l’autre, c’est l’augmenter, c’est le féconder, c’est lui donner de porter et donner le meilleur de soi. A Marie, le dieu a adressé une parole, sa parole : et elle a conçu sa parole. Par suite, Elisabeth s’est vue adresser par Marie une parole : et ce que celle-là avait déjà conçu a commencé aussi de parler, d’exulter, et a rendu la parole à sa mère. Et Marie, suite à cette parole rendue, va exprimer toute sa joie qui est pour toujours.

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