Le texte de l’évangile, sur le site de l’AELF.
J’ai déjà commenté ce texte fort connu en son entier ici : La promptitude et la joie. Mais ce qui me frappe cette fois-ci, c’est la réaction de Zachée.
Car ce petit malin s’entend dire du haut de son arbre : « Zachée, descend vite, aujourd’hui en effet dans ta maison il me faut demeurer ! », et il décide en conséquence de donner aux pauvres la moitié de ses biens, et de rendre par ailleurs à ceux à qui il a fait du tort quatre fois plus. C’est énorme ! Mais quel rapport et quelle proportion peut-il bien y avoir entre le mot initial et les décisions que prend Zachée ? Comment est-il conduit à un choix apparemment aussi extravagant ?

Partons de là, partons de ce que décide notre [Dzakkaïos], « le juste ». Zachée est un homme d’argent, un homme d’affaires, un homme qui a les pieds sur terre quand il s’agit de biens. C’est un publicain, et même un « archipublicain », quelqu’un qui a su se faire de vraies rentes sur le système des impôts. Pour lui, un sou est un sou. Le métier qu’il exerce suppose qu’il était déjà riche pour commencer (car il faut pouvoir acheter cette charge), et il a accru ses biens dans des proportions considérables, Rome exigeant toujours des peuples vaincus et soumis des contributions -en fait, des tributs- considérables. Si, comme le laisse deviner son titre (inconnu par ailleurs) d’archipublicain, il a su décliner son propre office en autant de petits offices moyennant un intéressement, il sait investir, et ses biens propres, ses « moyens de subsistance » [huparkhontoï] ne sont pas qu:en espèces sonnantes et trébuchantes.
Alors quand il affirme qu’il donne la moitié de ses biens aux pauvres, c’est à n’en pas douter un ensemble considérable ! Je remarque qu’en toute rigueur, il dit : « ma moitié des biens », et non la moitié de mes biens. Si cela veut dire en fait qu’il est personnellement propriétaire de la moitié des biens qu’il gère (l’autre moitié appartenant au trésor de l’empire, comme le manteau de Saint-Martin), cela veut même dire qu’il donne tout ce qu’il a ! Quoiqu’il en soit, ce n’est pas là la pointe, me semble-t-il : mais le fait qu’il donne. Il a pris, maintenant il donne. Il a appauvri, maintenant il enrichit. Le flux s’inverse.
Et quand il dit que, s’il a fait du tort à quelqu’un, s’il a porté de fausses accusations dont il a tiré bénéfice (soit qu’il ait ainsi contraint à payer, soit qu’il ait pu faire chanter), il va lui rendre quatre fois ce qu’il a pris, c’est la même inversion, c’est le même renversement. C’est même plus qu’un renversement, puisque le flux a pris en s’inversant une intensité bien supérieure !
Peut-être ceci est-il un indice de ce qui s’est joué pour lui dans le « descend, il faut » : un inversion, un renversement. Il était mal considéré (et pas sans raison) et soudain il a été considéré. Il était rejeté (et pas sans raison) et soudain il se découvrait désiré. Il n’était pas fréquentable (et pas sans raison) et soudain le maître voulait demeurer chez lui, y rester pour toujours, que la maison de Zachée devienne aussi sa maison.
Nous ne mesurons pas comment un mouvement qui vient du cœur peut changer les choses. Nous n’imaginons pas à quel point un élan sincère vers quelqu’un de déconsidéré (et peut-être pas sans raison) peut tout changer.