Passer à l’étonnement (dimanche 27 novembre).

Le texte de l’évangile, sur le site de l’AELF.

Nous voici au premier dimanche de l’Avent, c’est une nouvelle année qui commence en rouvrant le cycle de Noël. Et c’est Matthieu qui va nous accompagner le plus souvent toute cette année. Le texte qui nous est proposé, loin d’être au début de son évangile, est au contraire plus proche de la fin de celui-ci : on trouvera à Ouvrir les yeux des explications pour situer ce texte dans la progression de l’évangile de Matthieu, ainsi qu’un premier commentaire d’ensemble du texte.

Ce qui me frappe en relisant cette année ce texte, ce sont les références de Matthieu, celles qu’il choisit pour illustrer son propos dans ce passage. Ce passage en effet contient deux temps nettement distincts : le premier temps cherche à bien faire comprendre de quelle nature est l’apparition du Fils de l’homme (dont il vient de dire que nul n’en connaît ni le jour ni l’heure), le deuxième temps exhorte par conséquent à veiller. Et dans les deux cas, Matthieu se réfère à autre chose pour se faire comprendre, et si on lit avec attention, c’est assez surprenant.

Dans le premier cas, Matthieu prend comme repère « les jours de Noé« . On dira que c’est assez classique et que Matthieu est un grand habitué des références à ce que nous appelons maintenant l’Ancien Testament. Et c’est là l’erreur. Matthieu en effet, s’il fait bien appel à un personnage cité dans le livre de la Genèse, ne fait pas appel à son texte. Il parle en effet de ce que faisaient « les gens » à l’époque de Noé, pendant qu’il bâtissait son arche, « comme en effet ils étaient en ces jours d’avant l’inondation, à manger et à boire, à se marier et à être mariées, […] ils ne surent pas tandis qu’advenait l’inondation et elle [les] emporta tous sans exception« . Or si l’on se reporte au texte du livre de la Genèse, que ce soit au chapitre 6 ou au chapitre 7, il n’est jamais question de l’entourage, des personnes qui vivaient à cette époque autour de Noé et des siens. On sait seulement que la terre « était remplie d’iniquité« , mais nulle part ne sont décrites des personnes allant et venant, s’affairant, festoyant, se mariant, etc.

Donc ici -et c’est très étonnant-, Matthieu ne cite pas la Genèse. Il transpose dans le passé biblique un fait de vie seulement probable. D’une certaine manière, il s’étonne lui-même du non-dit de la Bible : car en effet, l’action de Noé, le temps qu’il lui a fallu pour la mener à bien, les dimensions de son ouvrage, l’incongruité de sa construction navale à distance de toute mer, tout cela aurait pu, aurait dû, susciter l’étonnement et les questions de ses contemporains. Or de cela, pas un mot dans la Genèse. Matthieu fait ce que fait un auteur de roman historique, il remplit les vides et compose les non-dits.

Mais cela veut dire, si son texte emporte l’adhésion, qu’il écrit ce que tout un chacun pourrait écrire, une fois conscient du non-dit. Sa référence est moins biblique qu’existentielle, il se réfère plus à l’expérience de son lecteur, à la capacité que nous avons tous à nous étonner comme lui de ce silence de la Genèse. Et l’explication qu’il donne, l’explication qui vise à faire comprendre comment apparaît le Fils de l’homme, dès lors qu’il nous a dit que nul n’en connaissait le jour et l’heure, est une explication qui repose sur notre intuition et notre expérience à tous. La référence à Noé n’est là que pour faire sentir les enjeux : il s’agit d’un renouvellement total, presque d’une nouvelle création. La référence au déluge est moins textuelle que culturelle, même quelqu’un qui n’a pas lu lui-même la Genèse peut la comprendre.

Cette référence, alors, produit d’elle-même son actualisation ! Nous aussi nous sommes entourés de personnes dont les activités, les centres d’intérêts, les « marottes », peuvent nous sembler curieuses, amusantes, agaçantes. Et nous sommes portés à continuer notre chemin, à poursuivre nos échanges, à manger, boire, nous marier, etc. Et s’il fallait y voir autre chose ? S’il fallait y entendre un appel, y voir un signe ? Si notre curiosité d’un moment, notre ironie facile ou notre agacement motivé cachaient la faiblesse de notre étonnement : l’étonnement qui remet en question, celui qui ouvre des portes, celui qui nous transporte dans un autre univers ? Les germes du monde nouveau que construit le Fils de l’homme sont déjà au milieu de nous, l’édifice est déjà commencé, le rassemblement des passagers est déjà en bonne voie : mais le voyons-nous seulement ? Et si nous le voyons, interprétons-nous en ce sens ce que nous voyons ? Sommes-nous disposés à reconnaître dans ce qui sort de l’ordinaire une trace (possible) de l’ouvrage du Fils de l’homme ?

J’ai parlé de la première référence, mais la seconde est de même nature. Dans le deuxième temps de notre passage, c’est encore à une expérience commune qu’il est fait allusion : « si le chef de famille avait su à quelle veille le voleur viendrait, il aurait veillé et n’aurait pas laissé perforer sa maison. » Expérience de vigilance, questionnement de sécurité. Or savez-vous que les cambriolages de nuit sont bien plus rares que les cambriolages de jour ?! Le chef de famille, s’il s’en tient à une idée préconçue, n’a aucune chance de veiller comme il convient, ou quand il convient, il attendra le voleur il-ne-sait-quand, mais la nuit,… alors que celui-ci vient de préférence le jour. Il lui faut là encore ouvrir les yeux, non seulement ceux du corps, mais bien ceux de l’esprit pour se tenir au courant, pour s’étonner (encore une fois) d’une réalité peut-être déroutante ou déconcertante, et s’y conformer, s’y plier, s’y convertir.

Ainsi, la recommandation de veiller et l’affirmation que « nous ne savons pas » sont étroitement connexes : si nous n’avouons pas ne pas savoir, notre veille n’a aucun sens, elle ne mène à rien, elle nous fait passer à côté -et de bonne foi, encore ! Mais si nous acceptons que nous ne savons pas, nous nous disposons alors à un pas de côté, notre intelligence devient disponible, nous nous mettons à plisser les yeux pour chercher à voir et comprendre en regardant autrement. Le plus grand obstacle à notre vigilance efficace est en nous-mêmes, et ce sont bien les habitudes de vie et de pensée, la sclérose de notre existence.

Nous commençons aujourd’hui notre route vers Noël : là aussi, nous pouvons faire ce chemin, « comme d’habitude », être attentifs aux mêmes choses que d’habitude, et finalement ne pas sortir de nos ornières. Nous attendons une histoire de petit enfant trouvé dans une crèche, bien sagement comme tous les ans, avec un bœuf, un âne, des bergers… Une histoire un peu à l’eau de rose qui nous fait du bien, qui nous réconforte, qui nous émeut, mais… comme d’habitude. Il me semble que ce texte nous invite à un autre cheminement vers Noël, pour y voir naître autre chose : et quoi ? Et si nous cherchions autrement, dans les gens et les évènements qui nous entourent, la trace de ce monde nouveau qui va naître, l’apparition du Fils de l’homme déjà présent, déjà tout lumineux : c’est notre seul regard qui manque à la lumière. Bienheureux sommes-nous si nous savons nous étonner à tout propos, être prompts à l’étonnement dans toutes les situations. Le Ravi de la crèche est peut-être le personnage principal parmi les visiteurs…

2 commentaires sur « Passer à l’étonnement (dimanche 27 novembre). »

  1. Benoît, j’ai eu du mal à entrer dans ton « étonnement ».
    Mais tu as changé ma lecture de ce texte initialement un peu hermétique.
    Jésus a tenté d’annoncer aux apôtres ce qui allait lui arriver; ils ont eu du mal à entendre. Le Temple qu’il relèverait en 3 jours.
    Et le référence cette Noé, je vois dans le déluge, la crucifixion; dans l’arche, le chemin vers la résurrection.
    Et alors, à ce moment là, jour de résurrection (que ce soit celle de Jésus, la nôtre à notre grand passage, ou à la fin des temps), deux hommes seront aux champs, deux femmes au moulin : les uns auront eu la chance d’avoir été vigilants, étonnés de ce qui se passe autour d’eux, d’autres auront laissé passer les évènements sans les voir, sans s’étonner, sans chercher à comprendre.
    En ces temps où je redoute que « le Fils de l’homme » ne vienne un peu trop vite pour moi, je voudrais m’étonner des merveilles qui se passent pour Noël, et être crèche vivante qui accueille en moi, en nous, le sauveur.
    Je ne suis peut-être pas très clair, loin de ton commentaire, mais voilà ce qu’il m’a inspiré …

    J’aime

    1. Merci de ton autre regard. Oui, le déluge et la croix qui tombent sur notre Noé, l’arche qui le fait néanmoins traverser vers la Résurrection. Je ferais même remarquer que c’est la pluie elle-même, celle qui tombe et submerge tout, c’est cette eau qui soulève l’arche.

      J’aime

Votre commentaire

Entrez vos coordonnées ci-dessous ou cliquez sur une icône pour vous connecter:

Logo WordPress.com

Vous commentez à l’aide de votre compte WordPress.com. Déconnexion /  Changer )

Image Twitter

Vous commentez à l’aide de votre compte Twitter. Déconnexion /  Changer )

Photo Facebook

Vous commentez à l’aide de votre compte Facebook. Déconnexion /  Changer )

Connexion à %s