Le texte de l’évangile, sur le site de l’AELF.
Ce texte a déjà été commenté ici : Vivre dans l’esprit. Il revient tous les trois ans à l’occasion de la fête de la Pentecôte. Il est extrait d’un ensemble que nous avons tous les ans le dimanche qui suit Pâques (c’est toujours important de remettre un texte dans son contexte, je ne me lasserai jamais de le souligner). Je voudrais cette année m’intéresser de plus près à la « paix », qui revient avec insistance dans ce texte.
Comme dit déjà dans le commentaire précédent, la paix ici est paix ou calme de l’âme : il ne s’agit pas de l’état instauré par un traité. Dans ce dernier cas, la paix s’impose, elle devient une nécessité. Celui qui continuerait la guerre s’opposerait aux pouvoirs en place et à ceux qui les soutiennent. Qu’on le veuille ou non, il faut désormais suspendre les armes. Mais la paix dont il est ici question, c’est celle qui s’établit d’elle-même, celle que l’on constate, celle qui établit la personne dans une absence de frayeur ou d’agitation, qui fait se dissiper toute angoisse ou toute appréhension.
Ce sont les premiers mots de Jésus. On peut comprendre : d’une part, les disciples sont portes closes « du fait de la peur des Juifs » (sans qu’il soit possible de dire si ce sont les Juifs -comprendre : les responsables religieux- qui ont peur des disciples et qui les ont fait enfermer, ou si ce sont les disciples qui ont peur de ceux-ci, et qui se sont barricadés), d’autre part ils se trouvent soudain avec « le mort » au milieu d’eux ! Il y a de quoi être très perturbés. Et les premiers mots de Jésus sont pour établir cette paix en eux, pour que s’apaise tout le tumulte de cette période difficile et de l’évènement particulier de sa visite.

Il a un geste, pour établir cette paix : il leur montre ses mains et son côté. Oui, c’est bien lui « le mort », c’est bien lui qu’ils ont vu ou dont ils ont entendu dire qu’il est mort ainsi. Il est bien le même, mais force est de constater qu’il est bien vivant, là au milieu d’eux. Ce constat est absolument central pour que s’établisse la paix que Jésus leur énonce : lui vivant, le pouvoir des autorités s’avère inopérant, anéanti. Le pouvoir de la mort elle-même, d’ailleurs, mais c’est peut-être trop énorme pour qu’ils s’y arrêtent encore à ce moment-là. Et ils ne sont plus menacés, ou plutôt cette menace est elle aussi inopérante ! Et celui qu’ils voient, qu’ils touchent, qu’ils entendent, n’est pas un produit de leur esprit gravement perturbé mais bien la présence tant aimée.
Remarquons que ce geste parfaitement adapté à la situation (se faire tranquillement reconnaître en montrant ses mains et son côté) permet à sa parole de s’accomplir. La paix n’est pas « imposée », elle n’a rien du « calmez-vous » qu’on peut dire à une classe comme un ordre de se maîtriser désormais. Mais ce geste permet à chacun de se laisser doucement pénétrer par un nouveau sentiment, à un apaisement de s’établir chez chacun. C’est de l’intérieur que vient la paix, grâce à ce constat d’une présence « au milieu », et de la présence du « même », de celui-là-même qui a été l’objet de toutes les violences.
C’est là un itinéraire pour notre propre paix. Pour que s’établisse en nous cette paix, si nécessaire face à tous les tumultes qui peuvent nous assaillir, il est bon de constater « au milieu », [éïs to méson], la présence de Jésus. Elle peut prendre sans doute toute sorte de forme, mais elle a un lien avec ce qui provoque notre tumulte : il est bien le « même ». Et c’est de ce constat que s’établit une paix, non une maîtrise de soi mais bien un sentiment profond de joie et de reconnaissance : le verbe employé par Jean pour ce nouvel état des disciples est [ékharèsan]. Le verbe [khaïroo] signifie se réjouir, être habituellement content (habituellement, c’est-à-dire qu’un état nous habite), se plaire à ; que ce verbe soit ici au passif montre que ce nouvel état apaisé et ouvert à la joie, s’impose de lui-même, il n’est pas un acte intérieur.
Mais Jésus n’en reste pas là : alors qu’ils sont dans ce nouvel état intérieur, « il leur dit à nouveau ‘paix à vous’ « . Voilà qui est étonnant ! C’est donc que la paix qu’il veut pour ses disciples n’est pas seulement cet état que nous venons de constater, elle est encore autre chose. Quoi ? D’abord il leur dit : « de même que m’a mandaté le père, je vous accompagne aussi » (je rappelle que les deux verbes en grec ne sont pas les mêmes, et qu’on a tort de les traduire de la même façon), autrement dit il leur assure que cette présence qu’ils constatent maintenant n’est pas un évènement ponctuel, limité dans le temps, mais bien une présence définitive et inamissible -qu’importe si elle est invisible.
Et puis il souffle, il « souffle-dans » (il in-suffle), mais fort : rappelle-vous que nous avons dit déjà qu’il s’agit du soufflet de forge, du vent puissant et tempétueux. Et il ajoute « recevez l’esprit saint« . Non seulement il va être lui-même pour toujours avec eux, il va les accompagner toujours de sa présence source de paix, mais il met un autre en eux, un autre qui s’appelle l’esprit saint. C’est l’esprit du « même », car en mourant, Jean écrit que Jésus « transmit l’esprit« . Le mort a exhalé en mourant ce qui était sa vie la plus profonde, il a donné sa vie, et Jean insiste beaucoup dans son évangile pour faire comprendre que Jésus n’est pas mort parce qu’on lui a ôté la vie, mais qu’il a donné sa vie. Les Romains sont d’ailleurs étonnés de la trouver déjà mort, quand ils viennent briser les jambes des condamnés pour abréger leurs souffrances (ne pouvant plus pousser sur leurs jambes pour respirer, ils vont s’étouffer sous le poids de leur propre corps). Il est mort d’amour. Or c’est cet esprit même, le coeur de son coeur, la vie de sa vie, qu’il vient ici in-suffler.
J’ai pourtant encore un étonnement : un souffle de tempête, un soufflet de forge, n’a rien d’apaisant. Ce n’est pas une brise tranquille, une brise d’été. Ce n’est pas la caresse d’un souffle d’air. Alors quoi ?! Peut-être est-ce pour dire que la paix qu’il veut nous donner, « c’est la paix que je vous laisse, c’est ma paix que je vous donne, ce n’est pas à la manière du monde que je vous la donne« , n’est pas une paix comme les autres, n’est pas une paix comme celle que nous connaissons déjà. Elle est la paix de l’esprit exhalé et donné an mourant, en étant l’objet de toutes les violences, en subissant souffrances et tortures. Elle est une sorte de paix par-delà, elle est une paix qui fait du tumulte, mais pas le même tumulte. Elle est une paix qui dérange, une paix qui n’est pas une absence de tempête mais une paix établie par la tempête, la paix de la tempête. Grand souffle d’air frais qui emporte on ne sait où. La paix qui nous apprend à dire : qu’importe où je vais, si c’est avec toi.
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