Pour qui es-tu présent ?(dimanche 12 novembre)

Le texte de l’évangile, sur le site de l’AELF.

Nous sautons encore un peu plus loin dans le texte de Matthieu et aujourd’hui, ainsi que les deux dimanches suivants, nous aurons trois paraboles qui se font suite : ouf ! Mais elles font elles-mêmes suite à un texte qui ne nous est pas donné, à savoir le « discours apocalyptique » mis par Matthieu dans la bouche de Jésus. Ses disciples l’ont en effet interrogé sur « la fin », parce que Jésus, en voyant leur admiration pour le bâtiment du Temple, leur a dit que ce Temple serait détruit. Ce fait, pour eux épouvantable, est équivalent dans leur esprit à la fin des temps, à la fin du monde. Et tout le discours dit « apocalyptique » de Jésus vise à dissocier dans leur esprit ces deux choses : l’avènement de catastrophes et la fin du monde. Puis il y joint trois paraboles, dont nous avons aujourd’hui la première, et qui répondent peut-être bien à la question qu’ont posée les disciples, celle des signes de la fin. Et bien sûr, si la fin n’est pas une destruction (du Temple et du monde entier) mais plutôt une apparition, une rencontre (celle du « Fils de l’homme »), les signes vont en être fort différents !

Lorsque nous avons précédemment rencontré cette première parabole, celle dite « des Dix Vierges », j’ai essayé la première fois d’en dégager le sens général, en la replaçant dans le contexte du mariage dans cette culture et en cherchant à interpréter le sens de cette fameuse lampe, Faiblesse et intelligence. La deuxième fois, je me suis étonné du fait que la comparaison soit faite non avec les cinq sages, mais bien avec les dix jeunes filles ! Et j’ai cherché à comprendre quelle bonne nouvelle cela nous donnait, Venez comme vous êtes.

Cette fois-ci, je m’étonne de cette phrase : « Amen je vous le dis : je ne vous connais pas« . Au premier abord, cette phrase m’a toujours paru dédaigneuse, déniant à celles qui frappent à la porte tout titre à entrer. Comme on dit aujourd’hui « t’es qui, toi ? » à une personne à qui on dénie le droit à la parole, à intervenir dans une conversation. Et j’avoue que l’interprétation galopante que je donnais à cette parabole, voyant dans l’époux le Christ et dans son épouse l’Eglise, me faisait voir dans le maître de maison la figure du père, et je ne voyais pas comment le père pouvait dire à aucune de ses créatures « je ne vous connais pas » ! Et il y a bien là de quoi s’indigner, et il y a bien là de quoi être révolté : comment ?! Le père n’est-il pas présenté par ailleurs comme toujours accueillant et miséricordieux ? Comment peut-il dire à quelqu’un « je ne vous connais pas » ? Mais voilà, il s’agit bien là d’un manque de rigueur dans la lecture, où le va-et-vient entre le texte et l’interprétation qu’on en donne produit des effets d’incompréhension…

Revenons donc à notre texte, et replaçons cette phrase dans son contexte : nos cinq jeunes filles qui frappent à la porte sont celles qui sont dénommées [mooraï], insensées. Le mot, et tous ceux de sa famille, n’exprime pas la notion de la folie en tant que possession délirante (ce qui se dit [-mania]), mais l’hébétude, l’abrutissement, la sottise, la nigauderie. Matthieu a déjà employé ce mot d’une façon significative, juste après les Béatitudes, lorsque le discours de Jésus se poursuit : « Vous êtes le sel de la terre, mais si le sel devient [moora], dans quoi se re-salera-t-il ? » Il s’agit clairement d’une perte de consistance, d’une perte du caractère propre. Elles n’ont pas pensé à prendre d’huile en réserve, elles n’ont pas non plus réfléchi au bizarre conseil donné par les « réfléchies » d’aller en chercher « chez les marchands » en pleine nuit. Et les voilà en retard, qui frappent à la porte.

Le problème, pour elles, est justement et finalement ce retard ! Remettons-nous dans le contexte nuptial de l’époque : le marié va chercher sa femme en pleine nuit. Lui est accompagné de tous ses compagnons, elle attend avec ses amies. Et tout ce beau monde revient en un seul cortège dans la maison paternelle, où se célèbre la fête. Certes le marié, qui a continué de fréquenter sa femme pendant l’année depuis la signature du contrat de mariage, connaît sans doute bon nombre des amies de sa femme, peut-être pas toutes cependant, car il est évident que pour l’occasion unique de la célébration de son mariage, sa femme va faire signe aux amies proches, mais aussi moins proches. Quant à son père, il ne les connaît pas, c’est à peu près sûr ! Autrement dit, ce qui légitime leur entrée dans la salle de noces, c’est le fait qu’elles arrivent dans le cortège de sa belle-fille. Mais quand il leur dit : « je ne vous connais pas« , c’est tout simplement la vérité ! Ce n’est pas une formulation condescendante ou méprisante, les mots mis sur un rejet volontaire, mais tout simplement l’énoncé d’une réalité… Il ne les connaît pas. Peut-il aller se renseigner auprès de sa belle-fille ? Non, puisqu’elle est en ce moment même avec son fils dans la chambre nuptiale. Il n’y a pas d’autre solution que de leur fermer la porte.

Reprenons maintenant ce que nous disions au début : la « fin » du monde n’est pas une catastrophe mais une rencontre. A l’aune de cette première parabole, il s’agit d’abord d’une rencontre d’amour. Mais ce qui est l’essentiel pour y participer, pour être du lot, c’est d’abord une question de « timing », et celui-ci à son tour dépend entièrement d’une question de priorité. En y réfléchissant, la priorité des priorités est d’être avec l’épouse. Pas avec l’époux : ce n’est pas cela que dit la parabole. On ne sait jamais si on est avec l’époux, on désire sa venue, mais c’est une réalité nocturne, pas claire. Sois avec l’épouse, avec cette amie bien concrète, bien repérable, de chair et de sang. Ton amie t’a invitée à ses noces ? Sois présente. Présente à elle. L’attente est longue, trop longue, pour toutes et tous. Tout le monde s’endort durant cette attente. Tu n’y avais pas songé ? Qu’importe, reste avec ton amie. Tu n’avais pas idée des délais ? Qu’importe, reste avec ton amie. Tu n’as plus les moyens d’assurer ta fonction (tu n’as plus d’huile) ? Qu’importe, reste avec ton amie. Elle part ? Part avec elle, marche avec elle, aussi loin qu’elle aille. Alors, même si tu la laisses au seuil de la chambre nuptiale, tu seras entrée dans sa maison, et tu y seras pour toujours, et tu seras de la fête sitôt que les époux reparaîtront.

Dans le fond, ce qu’il y a de vraiment insensé chez les « insensées« , c’est de perdre le sens de leur présence, d’oublier qu’elles sont d’abord là pour une autre, avec ce qu’elles sont, y compris tous leurs manquements. Ce qui nous dispose avant tout à la grande rencontre de la fin, c’est cela : avec qui es-tu ? Pour qui es-tu présent(e) ?

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