Ce qui nous fait trembler le cœur (dimanche 24 décembre)

Le texte de l’évangile, sur le site de l’AELF.

  C’est le célèbre évangile de l’Annonciation qui nous est donné aujourd’hui : aucun lien bien sûr avec celui de la semaine dernière, qui était pris dans l’évangile de Jean ; et aucun lien non plus avec l’évangile de Marc dont nous sommes sensés avoir commencé la lecture, puisque celui-ci est tiré de Luc ! On trouvera deux commentaires de ce texte magnifique avec les deux liens suivants : Quand chacun donne sa parole et Incarnation : c’est lui qui est dans les autres. Je voudrais cette fois-ci m’arrêter à cette parole de notre passage : « À cette parole, elle fut toute bouleversée, et elle se demandait ce que pouvait signifier cette salutation.« 

  D’abord re-situer ce passage. L’ange Gabriel entre chez Marie, et la salue de ces paroles peu ordinaires : « Grâce sur toi, comblée de grâce, le seigneur est avec toi ! » Ce sont presque trois salutations en une ! Or, juste auparavant dans le récit de Luc, le même Gabriel est apparu à Zacharie, qui va être le père de Jean-Baptiste. Et il ne l’a pas interpellé ou salué d’aucune manière : il est juste apparu « à droite de l’autel de l’encens« . Ainsi dans le cas-là, le messager se contente d’impressionner par sa présence. Mais dans ce cas-ci, il met tout de suite une parole, ce qui est ouvrir son cœur. Il joue à jeu ouvert.

  La première de ces paroles est la salutation classique en grec, mais elle reçoit un écho immédiat par le nom qui suit, et ne sonne par conséquent banale en rien. On pourrait légitimement la traduire par « salut » ou « bonjour« , mais l’écho du mot [khâris] le rend impossible. Le « réjouis-toi » n’est pas faux. Mais il est plat. Ou alors il faut dire après « comblée de joie » : ce qui compte, c’est l’écho, c’est la redondance. Car le mot qui suit est normalement le nom propre de la personne, ce que la prière chrétienne a fait dans « Je vous salue, Marie…« . Mais ce n’est pas ce qu’il dit. Le nom propre qu’il lui donne, c’est « comblée de grâce« , ou « toute gracieuse » ou « parfaite de grâce« . Le nom propre qu’il lui donne dit que la grâce l’a façonnée, a fait d’elle ce qu’elle est, a aboutit à une perfection. Or, à tout cela, Gabriel ajoute encore s’il était besoin : « le seigneur est avec toi ! » A l’entendre, on croirait que le dieu qui l’a envoyé, il le retrouve ici-même, à son point d’arrivée.

  On peut comprendre désormais le trouble et la surprise. Tout de même, une question de traduction. A traduire au plus près, on a : « Mais celle-ci, à cette parole, est bouleversée et calcule d’où sort un tel embrassement ! » Je crois que c’est un peu plus significatif, un peu plus fort, plus précis aussi. Je continue ma comparaison, car je pense que Luc a ordonné son texte tout exprès, mettant en parallèle l’annonce à Zacharie et l’annonce à Marie. « Zacharie se trouble à sa vue, une crainte tombe sur lui. » Ce qui trouble (et même plus : le mot évoque la tempête en mer, ou le tremblement de terre) Zacharie, c’est la vue de Gabriel. Et le voilà comme écrasé par la crainte, qui lui tombe dessus littéralement. C’est la scène classique de l’apparition du messager du dieu, et son effet immédiat : le destinataire s’effondre, perd toute force, et doit être relevé. Marie, de son côté, ne semble pas le moins du monde troublé par cette présence : c’est la parole qu’il a dite qui l’atteint au cœur. Le texte dit « Gabriel entra et dit…« , tout laisse à penser qu’il n’est pas seulement entré dans la maison, mais jusqu’à son cœur.

  Le mot qui dit son bouleversement est le même que celui de Zacharie, mais pas tout-à-fait : c’est un composé. Pour Zacharie, c’est [tarassoo], qui évoque, je l’ai dit, le tremblement de terre, l’ébranlement profond, la secousse qui atteint les fondements. Pour Marie, c’est [diatarassoo] qui ajoute avec le préverbe une idée de différence, ou une idée de traversée. Si c’est l’idée de traversée, il me semble que cela marque qu’elle est traversée jusqu’au cœur, comme on vient de le dire. Mais si c’est plutôt l’idée de différence, alors c’est la suite qui le fait comprendre : elle « calcule d’où sort un tel embrassement.« 

  Elle « calcule« , c’est-à-dire que l’activité cérébrale tourne à plein régime ! Il y a de ces mots qui vous retournent le cœur, et dont on se demande ce qu’ils cachent, s’ils ont été dits par hasard ou à dessein, si celui qui les prononce mesure quel effet ils produisent. Cette femme est touchée au cœur, mais doit elle se laisser toucher ainsi ? Et si ce n’était qu’en elle que ces mots avaient un tel effet ? Quelles sont les intentions de celui qui les prononce ? Joue-t-il ? Est-il sérieux ? Pense-t-il ce qu’il dit ? Car le mot d’ « embrassement« , de « baiser » est employé par Luc dans le texte. C’est ainsi que Marie reçoit cette parole. C’est une rencontre d’amour, et le trouble, et la secousse, et le tremblement qui la prend, vient d’une rencontre d’amour.

  Et plus précisément, sa question est « d’où sort? » Elle va droit à l’origine. Comme si d’emblée, Gabriel était reconnu comme un simple messager. Marie n’est pas basée sur la vue, mais sur l’écoute. Ce qu’elle voit ne la trouble pas un instant. Elle est dans l’écoute. C’est le message qui compte, tout de suite. Et ce message la touche à ce point qu’elle tend à en identifier l’origine, comme si une longue fréquentation du dieu l’avait rendue à ce point familière qu’elle reconnaît quand il lui parle. Le mode importe peu, que ce soient ses oreilles de chair, ses tympans, qui sonnent, est de peu d’importance. Seule compte la teneur du message, et elle reconnu à ses oreilles des mots qui ressemblent trop à ceux qui résonnent si souvent à son cœur.

   Femme merveilleuse, tout en familiarité avec son dieu, qui sait reconnaître les mots qui viennent de lui sans erreur, et qui tremble d’amour dès que c’est lui. Il me semble que cette attitude peut nous parler aussi, nous inviter, en ce vingt-quatre décembre veille de Noël, à chercher nous aussi à reconnaître une parole qui nous est dite, et qui nous traverse jusqu’au cœur. Ne pas être indifférents, mais ne pas non plus tomber dans la crainte à cause de ce que nous voyons (et tant d’images nous écrasent aujourd’hui). Mas tendre l’oreille, et chercher ce qui est parole du dieu dans ce qui nous fait trembler le cœur.

3 commentaires sur « Ce qui nous fait trembler le cœur (dimanche 24 décembre) »

  1. J’étais il y a quelques années à une messe de minuit. Après la messe, je suis allé voir le prêtre. Je l’ai félicité pour son sermon ; très réaliste. La crèche, comme si nous y étions. Je lui ai même demandé : « ma parole, vous avez assisté à l’accouchement ? »
    C’est un peu l’impression que j’ai eu en vous lisant. Pourquoi continuer à analyser ces textes comme s’il s’agissait d’un récit historique ? c’est en quelque sorte abuser de la confiance des lecteurs. Analysez-les comme un texte littéraire. Un auteur à imaginé un scénario. C’est une pièce de théâtre en quelque sorte. Pas d’interprétation fondamentaliste !

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    1. cher Monsieur, merci de votre contribution. Les « évangiles de l’enfance », qu’il s’agisse de celui de Matthieu ou de celui de Luc, n’ont en effet rien d’historique puisque ce sont des reconstructions ultérieures, mais j’en ai bien des fois prévenu le lecteur et ne le répète pas à chaque fois. Par ailleurs, une fois que vous entrez dans une fiction littéraire, il faut y rentrer à fond : c’est en entrant dans le pacte proposé par l’auteur qu’on découvre vraiment ce qu’il veut vous faire passer. Pas de fondamentalisme ni d’abus, donc, mais une vraie entrée dans le texte.

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