Dimanche 1er octobre : faire la volonté de Dieu

Lire le texte de l’évangile sur le site de l’AELF

Nous avançons toujours plus loin dans l’évangile selon s.Matthieu. Après notre parabole du maître juste et généreux (dite des ouvriers de la onzième heure), Jésus annonce sa passion à ses disciples pour la troisième fois : cela provoque Madame Zébédée, sentant que cela va mal finir et pensant à la suite, à venir demander pour ses fils Jacques et Jean qu’ils siègent à la droite et à la gauche de Jésus, autrement dit à avoir droit de succession. Indignation des autres. C’est l’occasion d’un avertissement supplémentaire aux Douze quant à la soif de pouvoir. chaque fois que Jésus s’adresse spécifiquement aux Douze, il les met en garde contre la tentation du pouvoir, dirait-on. Et puis c’est l’épisode des deux aveugles à Jéricho, avant l’arrivée, triomphale, à Jérusalem.

Une fois dans la ville, les épisodes polémiques avec les diverses autorités vont se succéder. C’est sans doute que, d’un côté, celles-ci se méfient de plus en plus du discours subversif de Jésus. Mais d’un autre côté, c’est sans doute aussi un choix de Jésus lui-même : son projet du renouvellement d’Israël n’exclut personne, et même doit nécessairement passer par les autorités. Il les provoque alors, pour chercher l’échange direct -et qu’importe s’il est polémique- plutôt que les impressions à distance, et obtenir leur adhésion. Au passage, cela nous montre que la dispute est bien préférable au silence. Il y a sans doute des choses qu’on ne peut se dire sans animosité, parce qu’elles nous touchent profondément, mais il faut se les dire. Quand on se dispute, au moins on se parle.

Et c’est à ce point que nous en arrivons à l’épisode de ce dimanche : une parabole racontée par Jésus et qui sera suivie de plusieurs autres, qu’on pourrait appeler des paraboles d’avertissement. Elles visent tous ceux qui disent être fidèles à la Loi et refusent de le suivre. Il faudra, pour bien comprendre celle-ci, recourir à l’épisode qui précède : une fois de plus, le découpage est ridicule, on dirait presque qu’on empêche les gens de comprendre et cela me révolte un peu. Passons. On voit que Jésus veut faire réfléchir ceux qui appuient sur la Loi leur refus de le suivre, il commence par une question : [ti dé humin dokei], « que vous semble ? » Aujourd’hui, Jésus veut donner à réfléchir. Pensons-nous être fidèles à la Loi, en gros du moins ? Très bien, c’est pour nous. Ecoutons l’histoire.

« Un homme avait deux enfants. » Ça alors ! Cela ressemble étrangement à une autre histoire bien connue. Mieux, c’est presque le même début ! « Un homme avait deux fils, » c’est la parabole du Fils Prodigue ! Mais nous connaissons l’orchestration de s.Luc : celui-ci n’en fait ni le même récit, ni ne l’inscrit-il dans le même contexte. Chez Luc, le récit est développé, émouvant, circonstancié. Ici, le récit est bref, factuel, presque proverbial. L’homme s’approche tour à tour de ses deux enfants et leur fait la même demande : « Enfant, va aujourd’hui œuvrer au vignoble. » L’adresse met les choses sur le registre des relations, peut-être de l’affection. La demande est dans l’instant, pour maintenant : pas de plan, pas de prévision. C’est la demande du jour. Quant à « travailler au vignoble« , ce n’est évidemment pas travailler seul, et peut-être est-ce cela qui d’ailleurs explique la soudaineté de la demande. Il y a des jours où il y a plus à faire que d’autres, et on ne le sait pas forcément d’avance…

La réaction de chacun des deux enfants est différente, voire opposée. L’un dit : « Je ne veux pas« , [ou thelô], l’autre : « Moi, Seigneur« , [egô, kurié], ce qui sous-entend probablement « Moi ,j’y vais ». La réponse de l’un est claire et sèche, de l’autre obséquieuse et décalée. Décalée, parce qu’à « enfant« , il répond « Seigneur« . Autrement dit, les deux réponses, à l’aune biblique, sont désobéissantes : car l’obéissance, dans la Bible, veut dire la correspondance en tout point avec ce qui est demandé (« Dieu dit à Abraham : pars ! Abraham partit ».). Le moindre déplacement est une sortie de la pure correspondance avec la parole de Dieu. C’est le cas de la malheureuse Eve : lorsque le serpent l’interroge, elle répond avec une légère outrance : « […] Mais du fruit de l’arbre qui est au milieu du jardin, Dieu a dit : vous n’en mangerez pas, vous n’y toucherez pas, sous peine de mort. » (Gn.3,3). Mais quelques lignes plus haut, Yahvé avait dit : « Mais de l’arbre de la connaissance du bien et du mal tu ne mangeras pas car, le jour où tu en mangeras, tu deviendras passible de mort. » (Gn.2,17). Ne pas toucher, c’est une invention de la femme, un léger décalage, par lequel le serpent l’a déjà délogée de la pure obéissance. Il ne lui reste plus qu’à augmenter le « jeu » ainsi obtenu…

Mais l’histoire des deux enfants ne s’arrête pas à leurs réponses verbales. Car l’un, « après cependant se repentant il alla« ; l’autre « et il n’alla pas« . On ne sait pas quand est « l’après » du premier, si cela lui fait manquer le « aujourd’hui » du demandeur. Mais on sait qu’il y a un « repentir » : [metamelô] est un verbe toujours impersonnel en grec, qui évoque le changement d’avis ou le regret sur ce qu’on ne peut plus changer. Pas la « conversion ». Il change d’avis, voilà tout : il ne voulait pas, maintenant il veut, et tout tenait à sa volonté, peut-être à son humeur, peut-être à je-ne-sais quelle circonstance. Quant au second, le « et » souligne l’opposition entre la belle déclaration et l’action diamétralement opposée. Là non plus, pas de psychologie, seulement des faits : on ne sait pas pourquoi, s’il a été empêché, s’il a oublié. Ce n’est pas la question.

La question, c’est celle que Jésus pose à l’issue de cette petite histoire inintéressante, sans émotion,  trop caricaturale pour être agréable. « Qui parmi les deux a fait la volonté du Père ? » Cela ressemble aux questions posées à la télévision, tellement évidentes qu’on a à peine envie de répondre ! « Que font les souris quand le chat est parti ? Pour ‘elles dansent’, tapez 1, pour ‘elles jouent à la belote’, tapez 2 ! ». Mais pourquoi Jésus se lance-t-il dans une telle question ? A quoi joue-t-il avec ses interlocuteurs ?

Rappelons d’abord que si ses interlocuteurs étaient vraiment pointilleux, ils pourraient répondre « Aucun ». Car chez aucun des deux enfants il n’y a eu de parfaite correspondance entre la parole adressée et leur réponse. Pourtant, ils répondent instantanément « le premier« . C’est donc que même pour eux, une évidence s’impose : l’issue seule compte, quels que soient les méandres et les courbes par lesquels passe la psychologie humaine. Rappelons ensuite que notre épisode fait suite à une question de Jésus à ses interlocuteurs, grands-prêtres et anciens, restée sans réponse : « Le baptême de Jean, d’où était-il : du ciel ou des hommes ? » Or cette absence, noyée dans un « nous ne savons pas« , était par calcul, c’est de la vraie dissimulation. Ici, Jésus obtient d’eux une réponse instantanée, spontanée. Ils en sont donc capables ! Jésus a obtenu d’eux une ouverture spontanée, sans calcul. Ils ne voulaient pas avouer l’évidence devant le baptême de Jean, ils viennent de l’avouer devant la petite historiette réduite à l’essentiel. Et c’est justement de Jean qu’il va leur reparler immédiatement :

« Amen je vous dis que… » , c’est une révélation qui leur est faite, solennelle. « Les [telônai] et les [pornai] vous [proagousin] dans le royaume des cieux. » Les [telônai], ce sont les fermiers publics, ceux qui perçoivent les impôts, les publicains. De quoi s’agit-il ? Quand l’Empire romain conquiert militairement une région, il la soumet à un très lourd tribut financier, et pour être sûr d’être payé, il confie à certains -qu’on appelle publicains- cette charge qui s’achète. Le publicain verse au Trésor impérial la somme annuelle attendue, et a le droit de se rembourser sur l’habitant par tous les moyens, en mobilisant au besoin la force publique, l’armée romaine. Un des plus vieux partenariats public-privé du monde… Le publicain est donc perçu comme traître à sa patrie, collaborateur de l’occupant, s’enrichissant personnellement grâce à l’occupant sur le dos et parfois au prix de la vie de ceux qu’il trahit. Pensons aux « collabos » dénoncés en 1945…

Les [pornai], ce sont les prostituées, de [pernèmi] qui veut dire vendre (parce qu’elles étaient initialement des esclaves, des « vendues »). Ce ne sont pas des « travailleuses du sexe », ce sont des malheureuses réduites en esclavage et déchues de leur humanité sans aucun pouvoir de révolte contre ceux qui les « utilisent ». On voit que publicains comme prostituées sont socialement les personnes les plus réprouvées. Eh bien, déclare solennellement Jésus aux grands-prêtres et aux anciens -donc parmi les personnes au contraire les plus respectables-, ces rebuts de la société vous [proagousin]. [proagô], c’est mener en avant, faire avancer, mettre en lumière, promouvoir, élever en réputation. C’est aussi marcher avant, au sens d’être supérieur à : et c’est souvent ainsi que l’on traduit, ceux-là « vous précèdent dans le royaume des cieux« . Mais qu’est-ce que cette préséance signifierait ? Du reste, cette deuxième famille de sens ne vaut que lorsque [proagô] est intransitif, ce qui n’est pas le cas ici, « ils vous [proagousin] ». Je trouve que « mettre en lumière » fait ici beaucoup plus de sens, étant donné ce qui précède. Les publicains et les prostituées jettent sur vous une lumière redoutable, ils vous font apparaître tels que vous êtes selon le royaume des cieux, en avançant dans ([eis]) le royaume des cieux.

« Il est venu en effet, Jean, vers vous ou chez vous dans la voie de la justice« , c’est-à-dire irréprochablement selon la Loi. Vous n’aviez rien à lui reprocher, vous ne pouviez rien lui reprocher. « Et vous ne l’avez pas cru, les publicains cependant et les prostituées l’ont cru; » c’est un fait. Mais quel rapport avec la petite historiette des deux enfants ? Jusque-là, cette histoire ne semble jouer qu’un rôle, celui d’avoir provoqué enfin un aveu spontané de ces responsables dissimulateurs et calculateurs. « Vous cependant en voyant, vous ne vous êtes pas repentis après pour le croire« . Les mots sont ceux employés dans la première histoire concernant le premier ! « après cependant se repentant » Ce n’est pas un hasard. Ainsi, le premier enfant a fait la volonté du père, dans l’histoire, au prix d’un changement d’avis postérieur à sa première réponse. Le reproche que Jésus fait aux responsables, c’est de dire qu’ils font la volonté de Dieu, alors qu’ils en restent au « je ne veux pas« , sans changer d’avis, alors même que les rebuts de la société changent d’avis -sans peut-être parvenir à changer de vie ?…

Que retenir de tout cela ? Il me semble que cela nous prévient contre la recherche d’être « juste », « irréprochable ». La recherche de « faire la volonté de Dieu ». il a le dos large, Dieu ! On lui en mis des choses sur le dos, en disant que c’était sa volonté !… Mais c’est au nom de cette préoccupation, qui les place au sommet de la considération de tous, que les grands-prêtres et les anciens passent à côté de Jean. Lequel Jean sera lui-même pris de cours devant Jésus, au point de lui envoyer demander « es-tu celui qui doit venir, ou devons-nous en attendre un autre ? » C’est dire si le chemin est long jusqu’à Jésus. Jésus ne veut pas qu’on « fasse la volonté de Dieu », il veut juste qu’on croie. Ou plutôt, il dit que la volonté de Dieu, c’est que l’on croie. Ceux qui sont ravagés par la vie, ceux qui peut-être font le mal, réalisent plus facilement que c’est d’abord ce mouvement du cœur, ce consentement de l’intelligence, cette adhérence, cette adhésion de la volonté, qui sont toujours à portée et mettent en chemin vers le royaume. Les endurcis, ce ne sont pas les parias ou les criminels, ce sont ceux qui croient être justes. Alors appuyons-nous sur notre expérience du mal, subi ou bien même commis, pour nous ouvrir à la foi. Renonçons à être des « justes ». Il suffit de [metamelô], changer d’avis.

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