Dimanche 14 janvier : première suite de Jésus.

Lire le texte de l’évangile sur le site de l’AELF

Et nous revoilà maintenant dans l’évangile selon saint Jean. Le texte fait presque suite à celui du… 19 décembre. Mais qui s’en souvient ? Disons simplement qu’après son prologue ample et ambitieux, destiné à être retenu et à tourner en boucle dans l’esprit de son lecteur, Jean nous présente tout simplement une « première semaine » de Jésus, semaine qui s’achèvera à Cana. C’est d’ailleurs cohérent avec le « Au commencement » qui débute son évangile et qui évoque la Genèse : là aussi, il y a le cadre d’une semaine pour la mise en place de toutes choses. Au jour 1 : le témoignage du Baptiste, confessant qu’il n’est pas le Messie.

Et puis c’est le jour 2 (attention, ce n’est pas encore le nôtre), qui débute par : [Tè épaourion], « Le lendemain« . Et que se passe-t-il ? « Il voit [le] Jésus venant vers lui, et il dit… » Jean-Baptiste voit, et dit. C’est son rôle : il a été constitué témoin, alors il regarde et voit, puis il dit ce qu’il voit. Et que voit-il ? Jésus en-train-de-venir, ou en-train-d’apparaître, car [erkhomaï] peut aussi avoir ce sens, qui correspond également bien à la situation. Et il vient ou apparaît [pros aouton], ce qui rappelle immanquablement le prologue du même évangile, où dès le commencement le [logos], la parole est dite [pros ton théon], vers le dieu. Le Baptiste a une priorité dans le temps, et il voit Jésus venir « vers lui« , comme le dieu voit la parole être vers lui. Le Baptiste est un révélateur de Jésus du seul fait que Jésus vient vers lui. Et le Baptiste va se dépêcher de dire justement « Derrière moi vient un homme qui devant moi est advenu, car avant moi il était« .  Il renverse la priorité, en changeant de repères.

Et nous voilà à notre passage du jour, le jour 3. [Te épaourion palin], ce qui peut vouloir dire « le lendemain de nouveau« , mais aussi « le lendemain au contraire« , ce qui je l’avoue me paraît préférable, parce qu’en effet Jésus ne vient pas vers lui. Ce jour-là « se tenait debout le Jean et de ses disciples : deux« , ils sont trois à présent. Le verbe [histèmi]  dit bien se tenir debout, dressé, avec une nuance de fixité, de fermeté. Cela fait cette fois contraste avec l’attitude de Jésus, car le texte continue : « et fixant (du regard) le Jésus [peripatounti] ». Même le regard, chez Jean, est fixe. Mais [peripatéô], c’est mot à mot circuler (puisque le préverbe [peri] signifie autour, comme circum en latin, et [patéô] veut dire fouler, parcourir), mais c’est aussi aller et venir, se promener (avec quelqu’un, en conversant); et c’est encore se comporter, se conduire, vivre de telle ou telle manière. Il y a ici un contraste fort, et même une opposition, entre Jean qui ne bouge pas et Jésus qui bouge, entre Jean droit comme la justice et Jésus qui vit, qui se comporte. On pressent que la manière d’aborder le monde ne va pas être la même, entre le Baptiste qui s’est retiré au désert, qu’on imagine droit et solide face aux vents du désert, mais retiré du monde, et Jésus qui est engagé dans le monde, qui le parcours, qui vit au milieu des gens sans rien dire et sans être remarqué.

Et Jean dit : « Voici l’agneau du dieu« . C’est la deuxième fois qu’il utilise cette expression unique, cette expression qui lui est propre. Allusion peut-être à la Pâque de la sortie d’Egypte, ainsi qu’à la comparaison faite par Isaïe à propos du Serviteur de Yahvé, « comme un agneau que l’on mène à l’abattoir, il n’ouvre pas la bouche« . Le Serviteur de Yahvé, dans ce qu’il est convenu d’appeler le « 2° Isaïe », est cette figure de salut qu’entrevoit le prophète, figure qui est à la fois individuelle et collective. Le Serviteur, c’est la synthèse que Dieu prépare entre alliance et histoire, entre une alliance où Dieu donne sa vie en partage et où l’homme entre en communion de vie avec Dieu en acceptant et vivant selon sa loi, et une histoire de péché, de rejet de Dieu de la part de l’homme, de jugement mais aussi de réitération de l’offre d’alliance de la part de Dieu. Le Serviteur, c’est cette figure qui est à la fois tout le don de Dieu aux hommes (et qui, dans l’histoire telle qu’elle est, va cristalliser sur lui le refus que les hommes font de Dieu) et toute la réponse parfaite des hommes à Dieu (et qui, dans l’histoire telle qu’elle est, va rester fidèle dans toutes les circonstances même la souffrance et la mort injustes). Mais il faut avouer qu’on ne voit pas bien ce qui, dans l’observation du Baptiste telle que l’évangéliste nous la rapporte, amène cette image.

Toujours est-il que « Et entendent ses deux disciples [le Baptiste] en train de parler, et suivent le Jésus. » Ils en entendent un, ils en suivent un autre : beau détachement du Baptiste, magnifique témoignage que celui qui détache de soi pour attacher à un autre. [akouô], c’est entendre, être auditeur, apprendre; c’est aussi écouter, obéir à. [akolouthéô], c’est faire route avec, accompagner, suivre; c’est aussi suivre par l’intelligence, se laisser conduire ou diriger; c’est encore se modeler, être semblable à. Voilà tout ce que font les deux disciples, qui avec l’évocation de l’Agneau du grand Passage (la Pâque), passent eux aussi de Jean à Jésus. Ils ont écouté attentivement ce que veut dire le Baptiste, ils ont entendu profondément ce qu’il voulait dire sous ces mots, et ils y ont consenti. Ils vont et viennent désormais avec Jésus, ils marchent avec lui dans le monde, ils se laissent conduire par lui et épousent sa manière de vivre. Peut-être, si nous entendions vraiment ce que veut dire « Voici l’Agneau de Dieu », nous arriverait-il de même…. Et peut-être est-ce faute de le comprendre que nous n’entrons pas, que nous ne nous conformons pas, ou si peu.

Une telle compagnie ne laisse pas Jésus indifférent. « Or se retourne [le] Jésus et considérant ceux qui le suivent, leur dit : Que cherchez-vous ? » Le verbe [stréfô], c’est se tourner, se retourner. Il y a un double sens, ici : Jésus se tourne, physiquement, vers ceux qui sont derrière lui; mais aussi, Jésus est retourné, intérieurement, d’être suivi, imité. Je crois que c’est parce que ce n’est pas ce qu’il cherche. Agneau de Dieu, il est tout à son attention au monde et au dieu. Alors ces deux-là qui marchent derrière lui, il les considère. [Théômaï] (qui donne notre théâtre, notre théorie), c’est contempler, considérer, examiner, passer en revue. Voilà ce que fait Jésus. Et pour le disciple, il convient d’accepter, de laisser ce regard se poser. D’accepter d’être l’occasion d’un retournement de Jésus, d’accueillir un regard de spectateur, un regard d’admiration, un regard long qui s’interroge. Ce n’est pas le regard fixe du Baptiste, on sent des yeux qui vivent, qui parcourent, qui vont et viennent eux aussi.  Jésus n’est pas obligé de recevoir qui veut le « suivre », pour lui aussi il y a un enjeu.

Et de fait, se poser en disciple de Jésus, c’est surtout l’engager lui. Et si cela lui rendait un piètre témoignage ? Quel risque il prend, lui !

Et vient sa question, « Que cherchez-vous ?« . [Ti], c’est bien un pronom interrogatif neutre, « quoi ? » Et [dzètéô], c’est chercher (à rencontrer, à connaître, à obtenir); par suite, c’est aussi regretter l’absence de, désirer. Le regard n’a pas suffit, il faut une parole, et qui vienne du cœur. Tu cherches à rencontrer… qui ? Tu cherches à connaître… quoi ? Tu cherches à obtenir… quoi ? Il te manque… quoi ? Tu désires… quoi ? Oserons-nous répondre ? Non pas ce qui nous passe par la tête, ou ce que nous croyons qu’il voudrait entendre, car il ne s’agit pas de séduire. Mais ce qui est effectivement dans notre cœur.

Notons que ce sont, dans l’évangile de Jean, les premiers mots de Jésus. Et c’est une question, qui nous met face à nous-mêmes. S’approcher de Jésus est « dangereux », c’est faire face à une question, et faire face à soi-même. Lui, il est [pros ton théon], « vers le dieu« . Et toi, tu es… [pros ti], dirigé vers quoi ?

« Eux à leur tour lui disent : rabbi -ce qui dit en traduisant : maître- où demeures-tu ? » Rabbi, d’où vient notre « rabbin », est un titre de respect qui inclut l’idée d’un enseignement, si petit soit-il, reçu de cette personne. Le [didaskalos] est celui qui enseigne, le précepteur, le maître d’école. Dans les deux cas, en effet, on a bien l’idée d’enseignant et de chef. Les deux choisissent d’emblée de donner ce titre à Jésus, et de fait, avant même qu’il ne se retourne et ne leur adresse la parole, comme on l’a vu, il l’ont suivi comme un chef, et ont appris et cherché à imiter son comportement, comme un enseignant. Ils ne lui parlent qu’en retour, et seulement après avoir déjà changé de vie, s’être attachés à lui. Et ils répondent à sa question par une question : non pas pour éviter de répondre, mais pour traduire leur quête. [Pou ménéis] ? [Pou], c’est bien l’interrogatif en quel endroit. Quant à [ménô] cela peut être l’un de deux verbes homonymes. [Ménô] peut être avoir un désir, souhaiter, vouloir. En ce cas, la question des deux serait qu’ils cherchent le lieu du désir de Jésus. C’est magnifique ! [Ménô] peut être aussi demeurer, être fixe (comme Jean Baptiste !), s’en tenir à, tenir bon, habiter. En ce cas, la question des deux serait qu’ils cherchent prosaïquement où Jésus habite, ou encore s’il y a un lieu ou un moment où il s’arrête d’aller et venir, d’ambuler, de circuler. Ce serait l’indice de leur surprise totale et inépuisée : la différence avec le Baptiste est telle, qu’ils se demandent s’il en peut être toujours ainsi. Est-il possible de vivre, se déplacer, changer, à ce point ?! Ce serait un « où t’arrêtes-tu ? », ce qui est bien proche d’un « où cela nous mènera-t-il ?« … D’emblée, ils auraient perçu que la suite de ce maître est in-finie.

A une question comme celle-là, les mots ne répondent pas. « Venez et vous verrez« . Au jour 2, le Baptiste avait vu Jésus venir, maintenant ce sont les deux ex-disciples du Baptiste qui sont invités à venir. Il faut continuer : seule l’expérience dira et répondra à cette quête profonde qu’ils ont avoué, à cette curiosité mêlée de joie qu’ils ont laissé paraître. « Ils vinrent donc et virent [pou ménéi] », ce n’est qu’en venant, en continuant d’aller et venir, en continuant la manière de vivre de Jésus qu’il peuvent voir ce qu’il désire, ou encore jusqu’où cela le mène, « et auprès de lui ils demeurèrent ce jour-là; l’heure était comme la dixième. » De nouveau ce [ménéô], mais cette fois-ci, ce n’est pas un lieu géographiquement défini, c’est [par’aoutô], « auprès de lui« . Jésus est toujours en mouvement, être son disciple c’est à la fois être en mouvement et être fixe : épouser les mouvements, les allées et venues, les engagements, les recherches de Jésus -voilà pour le mouvement-, et toujours être avec lui -voilà pour la fixité. On comprend que ce jour-là ait été pour les deux exceptionnel, et c’est ce que dit le mot [ékéinos] qui suit « jour » : c’est un démonstratif qui désigne quelque chose de grand.

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