Dimanche 11 mars : chercher à croire

Lire le texte de l’évangile sur le site de l’AELF

     Le passage d’aujourd’hui se situe un peu plus loin que celui de la semaine dernière, toujours dans l’évangile selon s.Jean. La semaine dernière, Jésus arrivait à Jérusalem pour fêter la Pâque. A partir de Jn.3,22, il en repartira avec ses disciples, pour se poser ailleurs mais toujours en Judée. Ici, nous sommes pendant la fête à Jérusalem, ce que nous précise le petit passage final que nous n’avons pas commenté la semaine dernière (et pour cause).

     Ce qui se passe pendant la fête, Jean nous le raconte en plusieurs temps : d’abord par une considération générale portant sur une certaine dissymétrie entre Jésus et ses interlocuteurs (Jn.2,23-25). Ensuite vient la rencontre avec Nicodème et le premier dialogue avec lui (Jn.3,1-8) : il y est question notamment de renaître. Enfin, une nouvelle question de Nicodème provoque une longue réponse de Jésus, commençant par une question un brin ironique et continuant sur un ton de révélation. C’est cela qu’est notre passage d’aujourd’hui, à cela près que ce passage devrait commencer au v.11 pour garder au texte sa cohérence. Et c’est là que nous allons donc commencer, si vous le voulez bien.

     Jésus commence par une formule solennelle, une formule de révélation : « Amen, amen, je te dis… » : Amen est une formule hébraïque d’attestation ou de ratification. Quant au mot « je dis« , ce n’est pas le simple [éïpon], « je dis« , utilisé dans les dialogues ou de manière générale, mais le verbe [légô], celui qui est de la même racine que [logos], le Verbe ou la Parole, sur qui est centré le prologue de cet évangile. Nous sommes invités par Jean à référer les paroles qui vont suivre à celui qui « était dès le commencement auprès de Dieu« , à celui qui « s’est fait chair« , à celui qui nous fait l’exégèse de ce Dieu que « nul n’a jamais vu« . Les mots qui suivent prennent d’emblée une tout autre portée.

     Ces mots qui suivent immédiatement insistent d’ailleurs sur l’autorité avec laquelle Jésus parle : « Amen, amen, je te dis que [c’est] ce que nous savons [dont] nous parlons et ce que nous avons vu [dont] nous rendons témoignage, et notre témoignage vous ne le recevez pas. » Qui est ce « nous » ? Car Jésus est seul avec Nicodème… Mais sans doute Jean met-il dans la bouche de Jésus des mots qui englobent tous ceux qui adhèrent à Jésus avec lui. C’est une hypothèse, en tous cas. Jésus « sait » (au présent), il « a vu » (au parfait : ça y est, c’est fait, c’est entièrement accompli). Et avec lui, tous ceux qui lui appartiennent. Le [Logos] « était au commencement avec Dieu« , c’est cela qu’il sait et a vu. Les disciples sont depuis le commencement avec Jésus, c’est cela qu’ils savent et ont vu. Jean emploiera cette même formule après avoir rapporté que, du côté ouvert de Jésus mort en croix , coulent du sang et de l’eau : « Celui qui a vu rend témoignage…« . Et ce que savent les disciples en ayant vu Jésus est si semblable à ce que sait Jésus en ayant vu Dieu, qu’un « nous » est possible. Formidable profondeur de l’expérience du disciple de Jésus !

     Mais le problème, c’est le décalage entre ceux qui savent grâce à ce qu’ils ont vu, et ceux qui entendent leur témoignage : le témoignage n’est pas reçu. C’est la vraie question, plus vraie que celle posée par Nicodème : « comment cela peut-il se faire ? » Pour Dieu, tout est possible, le comment n’est pas une question. Mais si le témoignage n’est pas reçu, Dieu lui-même n’y peut rien. Voilà la vraie question : comment est-il possible qu’on ne reçoive pas le témoignage, quand il est authentique ? Et cette difficulté du croyant qui témoigne, Jésus l’a vécue aussi, (et les versets 2,23-25 qui finissaient le passage de la semaine passée, et qui commencent en fait notre section, ces versets en témoignent), et il poursuit en disant « Je ». Et par le biais de ce décalage, Jean aborde le thème de la foi, qui est un thème majeur de son évangile.

     « Si je vous dis [éïpon] ce qui concerne la terre et vous ne croyez pas, comment, dans le cas où je vous dis ce qui concerne le ciel, croirez-vous ? » Il y a là un argument a fortiori : dans la foi, il y a une progressivité. Dans son premier dialogue avec Nicodème, Jésus a parlé de renaître de l’eau et de l’esprit, et il appelle cela [ta épiguéïa], les choses qui sont sur [épi] la terre [guè]. Or ce qu’il a à dire va plus loin, il voudrait dire aussi [ta épourania], les choses qui sont sur [ép’] le ciel [ouranos]. On voit ici que croire ne consiste pas à « comprendre », au sens de faire le tour d’une chose, de la maîtriser par son esprit et sa raison : cela consiste à donner crédit à une parole autorisée, à accueillir en son esprit et en sa vie une réalité trop grande pour y être contenue. Si, ayant plongé ta main dans l’océan, tu la refermes, tu n’auras pas saisi l’océan; mais si tu ouvres ta main, tu t’ouvres à l’océan tout entier : c’est cela, croire. Dès lors, tout repose sur la qualité autorisée (ou non) de la parole à laquelle on donne crédit, sur son autorité. Alors d’où vient l’autorité de Jésus quand il parle ? « et personne n’est [déjà] monté dans le ciel sinon celui qui depuis le ciel descend, le fils de l’homme. » Pour dire les choses du ciel, il faut en venir, il faut lui appartenir et en venir. C’est cela même qu’est le « Fils de l’homme ». Le fils de l’homme, c’est le nom donné par tout un courant de l’ancien judaïsme à une figure de salut, un personnage dont on attend qu’il descende du ciel tout équipé pour réaliser le salut de Dieu pour son peuple. Jésus revendique cette appellation, d’une manière qui étonne car il ne ressemble en rien à un « Goldorak », il n’est apparemment pas un « être de lumière » indestructible et redoutable. Mais il prétend bien, c’est très clair ici, venir « du ciel ».

     Or il ne prétend pas seulement venir du ciel, dans ces mots qui précèdent : il prétend aussi y monter, et même y être déjà monté : la forme verbale est celle d’un parfait, qui montre une action réalisée, accomplie entièrement. L’autorité qu’il revendique, c’est non seulement de savoir parler des « choses du ciel » parce qu’il en vient, mais c’est encore de savoir comment on y va concrètement, d’en tracer le chemin. Et comment donc en trace-t-il le chemin ? « Et de même que Moïse a élevé le serpent dans le désert, de même faut-il que soit élevé le fils de l’homme, afin que tout croyant en lui ait la vie éternelle. » Il s’agit de monter, en effet : le verbe employé, [hupsoô], signifie élever, dresser, relever, améliorer, exalter, ou encore glorifier. Il est à la voix active dans le premier membre de phrase, à la voix passive dans le second. Ces mots, ces sens possibles, ont tous en commun l’idée d’une progression de bas en haut, parfois en un sens très figuré. Jean paraît l’avoir choisi à dessein, parce qu’il permet de lier des choses a priori difficiles à relier. Ainsi, ce serpent dans le désert, Moïse l’a plutôt dressé en haut d’un mat. Mais le fils de l’homme, on attend plutôt qu’il soit exalté ou glorifié au ciel. Au désert, les Hébreux étaient punis de leurs péchés par la morsure mortelle de serpents, ils mourraient des suites de leurs péchés : Moïse met en haut d’un mat, au vu est au su de tous où qu’ils soient, un serpent en bronze, le signe même de ce qui donne la mort. Mais si on le regarde, on conserve la vie. Un signe de mort qui donne la vie. Un signe qui ne monte pas au ciel, mais qui est seulement dressé entre ciel et terre. Quel rapport entre ce signe et le chemin jusqu’au ciel que va tracer le fils de l’homme ?

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     Il y a un rapport dans les effets : l’Hébreu qui regardait le serpent conservait la vie. Ici,  « tout croyant en lui [aura] la vie éternelle. » Là où il fallait voir, il faut maintenant croire. Croire, c’est une nouvelle façon de voir. Ou encore, c’est la transposition dans la relation à Jésus du sens de la vue. Et le croyant, en effet, sait bien : Jésus a été lui aussi dressé en haut d’un mat. Il a été lui aussi placé comme un signe de mort, comme la conséquence des péchés -mais pas des siens propres. Et voilà pourquoi la vue ne suffit pas. Celui qui voit seulement pourrait ne voir en Jésus dressé sur la croix qu’un mourant, et avec lui une belle promesse qui meurt aussi. Celui qui croit voit dans l’élévation de Jésus en croix le début, dans un seul mouvement, de son exaltation. Aller au ciel, pour le fils de l’homme qu’est Jésus, c’est d’abord être dressé de terre sur la croix et continuer dans le même mouvement jusqu’à Dieu. Et le sens passif du verbe s’éclaire : qui « élève » le fils de l’homme ? Les hommes qui le condamnent le dressent sur la croix; Dieu l’exalte jusqu’à lui. Voilà le chemin. Et l’explication, la clé, suit immédiatement : « Dieu en effet a aimé à ce point le monde que de donner le fils unique-engendré, afin que tout croyant entrant-en lui ne meure pas mais qu’il ait la vie éternelle. » Si c’est bien jusqu’à Dieu, jusqu’au ciel, que va le fils de l’homme par la croix, c’est parce que c’est bien de Dieu qu’il vient, et c’est le choix de Dieu de donner son fils, son unique, celui qu’il aime. De donner le plus aimé pour le moins aimant.

     Et le but est répété, mais un peu développé : si l’on superpose les deux propositions, on a « afin que tout croyant entrant-en lui ne meure pas mais qu’il ait la vie éternelle. » Avoir la vie éternelle n’est pas un simple « plus » : l’alternative est de mourir (le verbe [apollumi] signifie être arraché pour sa perte, être perdu, mourir, se perdre). L’enjeu de croire n’est rien de moins que vivre ou mourir ! Et quand on dit « vivre », c’est vraiment vivre : Jean parle de vie éternelle, une vie que plus rien ne vient limiter, une vie dont la mort, quelle qu’en soit la forme, est totalement exclue. Voilà qui est énorme. Une autre variante : dans la première proposition, il s’agissait de croire [én aoutô], « dans lui« , comme le lieu où l’on se tient pour faire une action. Dans la seconde, il s’agit de croire [éïs aouton], « en lui« , comme la réalité dans laquelle on entre en croyant. Croire, c’est à la fois se situer dans une nouvelle réalité, et entrer dans cette réalité toujours plus profondément. C’est un état et une dynamique. On n’a jamais fini de devenir croyant. Tout à la fois on croit et on cherche à croire, on apprend à croire.

     Mais voici qu’est développée cette alternative vie ou mort qui est au cœur du choix de croire ou non, et qui est massive : « Dieu en effet n’a pas envoyé son fils au monde afin qu’il juge le monde, mais afin que soit sauvé le monde à travers lui. » La vie est liée au salut : du fait de la forme passive du verbe, celui qui sauve n’est pas nommé, mais c’est un « passif théologique », c’est Dieu qui sauve. La mort, elle, est liée au jugement. Pour bien comprendre ici, il faut revenir à un schéma bien présent dans l’Ancien Testament, schéma sur lequel sont construits bien des grands textes, un schéma en quatre temps : 1) Dieu a l’initiative d’un don à l’homme, 2) l’homme fait mauvais usage du don de Dieu (= péché), 3) Dieu laisse l’homme aux conséquences de ses mauvais choix (= jugement), 4) Dieu prend une nouvelle initiative pour tirer l’homme de ce mauvais pas (= salut). Dans notre phrase, Dieu n’a pas envoyé son fils pour l’étape 3, mais pour l’étape 4. Et le salut, la vie, sera redonnée [di’ aoutou], « par lui« , « à travers lui« . Le fils devient moyen de salut. Mais avez-vous remarqué le glissement ? L’autre terme à changé : ce n’est plus tel homme, croyant ou non, c’est le [kosmos], « le monde » ! Vaste et englobant est le projet de Dieu, c’est magnifique ! Mais aussi, grande est la mission du croyant : à travers ton choix de croire, c’est la vie du monde qui se joue. C’est le salut du monde. Le croyant n’est pas le sauveur, il ne faut pas se tromper de rôle. Mais croire étend le salut, ouvre une nouvelle fenêtre de celui-ci au monde entier, et pas seulement à l’ensemble des humains, mais à tout ce qui compose l’univers, les bêtes, les plantes, etc. (c’est le sens de [kosmos]). La vie peut irriguer le monde un peu plus, un peu mieux, quand un homme, un, s’ouvre au témoignage de celui qui vient du ciel.

     Conclusion : « Le croyant entrant-en lui on ne le juge pas, le non-croyant est déjà jugé, parce qu’il n’a pas cru dans le nom de l’unique-engendré fils de Dieu. » Dieu a le choix de juger ou de sauver : il a choisi de sauver. De son côté, le choix est fait, il est total, il est assumé jusqu’au bout, il en a payé le prix. L’homme aussi est devant un choix. Le choix de croire ou pas s’identifie en quelque sorte avec le couple salut ou jugement. Croire, c’est s’ouvrir à la vie. Mais refuser de croire (je pense qu’il faut ici mettre l’accent sur le choix volontaire et persistant d’une attitude ou de l’autre) c’est se condamner soi-même, c’est se laisser soi-même aux conséquences du mauvais choix. Jean est très radical, il n’entre pas dans la psychologie, ce n’est pas son propos. Nous savons bien, nous autres, que les difficultés avec la foi peuvent provenir de bien des choses, peuvent avoir bien des raisons -et parfois le scandale causé par des gens qui se sont dit croyants mais ont agi en contradiction avec cela. Jean ne nie pas ces choses, mais ce n’est pas de cela qu’il parle : il veut nous faire entendre en profondeur quel bienfait se cache dans le choix de croire, et la contraposée sert surtout, je crois, à mettre en valeur ce choix, comme le noir de la nuit met en valeur les étoiles. Jean s’étend encore sur ce jugement : « Or ceci est le jugement : que la lumière est venue au monde et les hommes ont aimé les ténèbres plutôt que la lumière, car leurs œuvres étaient mauvaises. » Refuser la lumière (rappelez-vous, c’est la question du début : comment peut-on refuser le témoignage ??), ce serait par préférence, et parce qu’on préfèrerait faire le mal. « Car celui qui pratique le mal hait la lumière et il n’advient pas vers la lumière pour que ne soient pas répertoriées ses œuvres. » Il faut reconnaître que quand on sait qu’on fait mal, on cherche à se cacher. « Mais celui qui fait la vérité vient vers la lumière, afin que soient manifestées ses œuvres parce qu’en Dieu elles ont été accomplies. » Faire la vérité, même reconnaître qu’on a mal fait et en faire le détail, sans détour et avec justesse, c’est agir en Dieu. Et cet agir, c’est la racine de la foi, c’est commencer de croire. Faisons la lumière.

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