Le texte de l’évangile, sur le site de l’AELF.
Le texte qui nous est proposé aujourd’hui, tiré de l’évangile de Jean, a déjà été commenté dans son ensemble : on peut trouver ces indications en cliquant sur ce lien. Je suis cette année touché par ce qui est dit du monde : nous avions repéré il y a trois semaines,(mais c’était chez Marc) l’invitation à refaire l’harmonie avec le monde, par la figure de Jésus au désert comme en un nouveau jardin originel, et voilà que le thème du monde nous est re-proposé par Jean.
Le premier passage est le suivant : « Dieu en effet a aimé à ce point le monde que de donner le fils unique-engendré, afin que tout croyant entrant-en-lui ne meure pas mais qu’il ait la vie éternelle. » Jean vient de dire que le Fils de l’homme doit être élevé , comme le serpent l’a été par Moïse au désert, « afin que tout croyant en lui ait la vie éternelle« . Il développe maintenant le contexte de ce but, faire que « tout croyant en lui » ait la vie éternelle. Mais qu’est-ce que c’est que cette « vie éternelle » ?
L’expression, mainte fois employée par Jean au long de son œuvre, est en grec [zooè aïoonion’]. La [zooè], c’est la vie, le genre de vie : il se dit d’hommes et d’animaux. Il se distingue de [bios], également la vie mais aussi la durée de la vie. Un [zooion], c’est un animal : on sent la différence que nous faisons nous-mêmes entre la biologie et la zoologie. La [zooè] est relative à ce qui est animé, à ce qui a une âme, à ce qui ne vit pas seulement par une poussée spontanée (ce qui est déjà admirable !), mais développe aussi des facultés, une autonomie, bien d’autres choses encore. Or tout l’évangile de Jean, ainsi qu’il le résume lui-même dans sa première conclusion (Jn.20,31), rapporte par écrit des signes afin que le lecteur croie, et qu’en croyant il ait la [zooè], il ait la vie. Tout l’écrit de Jean est encore le « Fils de l’homme élevé ». Dans sa conclusion, il ne dit plus « vie éternelle« , mais simplement « vie » : indice sans doute que l’adjectif n’était qu’indicatif : quand il parle de vie, il parle de celle qui n’est que cela, qui ne finit pas. Il parle de cette dimension de la vie qui mérite vraiment ce nom parce que, dès à présent commencée, elle ne connaît pas de fin.
Or ce projet de communiquer la vie est un projet d’amour : « Dieu a aimé à ce point le monde… » : j’ai écrit il y a trois ans qu’il a donné le plus aimé pour prix du moins aimant. Nous avons du mal à comprendre cela, parce que nous voyons mal comment il peut être question de prix, en la matière… Mais commençons par constater qu’il s’agit bien d’amour, et d’un amour dont nous n’avons pas idée. Or cet amour est amour du monde, [kosmos], tout entier : ce n’est pas simplement « les hommes » ou « les croyants« . L’amour du cosmos tout entier pousse le dieu à donner « fils unique-engendré« , de sorte que tout croyant « entrant-en lui » ait la vie (éternelle).
La « mécanique » décrite par Jean est complexe : le dieu aime le monde, dans ce sens il donne son unique fils, et le don de celui-ci obtient la vie ceux qui croient/entrent en lui. Il y a du non-dit, ici : je comprends quant à moi premièrement que croire, ce n’est pas seulement adhérer par l’esprit ou accorder du crédit, c’est véritablement faire un avec l’unique fils, être un seul être avec lui. Je comprends alors dans un deuxième temps que la fameuse « vie » que j’obtiens en croyant, c’est tout simplement la vie même de cet unique-engendré, c’est-à-dire que je grandis, que circule en moi, dans mes veines et dans mon esprit, le flux qui l’anime dans ses propres élans, dans ses relations, dans ses pensées et sa manière de vivre. Et je comprends enfin, troisièmement, que si moi, croyant, entre ainsi en communion de vie avec l’unique engendré donné par le dieu, la vie qui m’est communiquée ne se borne pas à moi, mais qu’elle rejaillit d’une manière ou d’une autre sur le monde tout entier, que le cosmos entier en bénéficie.
Le [kosmos], c’est d’abord l’ordre, le bon ordre, et aussi l’ornement, ce qui entraîne que [kosmos en grec soit aussi un adjectif pour dire orné, embelli : c’est ensuite, l’ordre du monde et de l’univers, ce qui fait que tout s’interpénètre, se complète et s’influence. L’idée grecque du cosmos, ce qui fait qu’on l’appelle ainsi, c’est qu’on considère notre univers comme un magnifique ordonnancement où tout a une place, ou rien n’est de trop, où tout joue un rôle, et cette considération entraîne l’admiration sincère. Si je rattache cela à ce que nous avons vu précédemment, j’en conclus que l’homme a, selon Jean, lui aussi une place particulière dans cet univers, et que cette place es en quelque manière rétablie lorsque, croyant, il vit de la vie unique de celui que le dieu a envoyé, son unique engendré -c’est-à-dire lorsqu’il vit de la vie même du dieu, laquelle est transmise par génération à son envoyé. C’est extraordinaire.

Et comment cela se fait-il ? Peut-être parce que l’homme est médiateur de l’univers. Tout se passe comme si, dans cette vision des choses, nous étions à une place unique, chargés de maintenir l’univers dans son ordre, de lui donner de vivre c’est-à-dire de grandir et se développer, de rester comme une vaste interaction où tout influence tout pour le bien de l’ensemble. Cela peut sembler très idéaliste, mais il me semble pourtant que la preuve par l’inverse est belle et bien faite ! Quand l’homme se sert n’importe comment de l’univers, ile le détruit bel et bien, avant que l’inverse se produise aussi et que l’univers à son tour détruise l’homme qui n’a pas tenu son rôle ! Cela, je pense que c’est devenu une évidence pour tous aujourd’hui. Alors bien sûr il y a ceux qui essayent de réagir et de retrouver la juste mesure, l’ordre, l’harmonie, en sachant qu’il faudra en payer le prix, renoncer à des choses, changer certaines autres ; et il y a ceux qui réagissent en se disant que, fichu pour fichu, autant essayer de tirer parti de ce nouveau désordre parce qu’il y a forcément de l’argent à faire dans ce nouvel état des choses, et que cela rapportera au lieu de coûter cher-et fort cher. Je n’invente pas, on écoutera avec profit cette brève émission où des chercheurs bien documentés exposent les ressorts de toute une finance dans ce deuxième sens.
Bref, il me semble qu’il est bien temps de se lancer nous aussi à retrouver notre véritable place d’être humain, de personne humaine, en assumant aussi justement que possible notre place médiatrice dans l’univers, pour vivre avec lui et non seulement de lui, et mieux encore pour lui communiquer une vie qui est vraiment la vie, qui ne se laisse pas réduire, qui n’aboutit pas à la destruction, « ne meure pas » comme dit notre texte. « Dieu en effet n’a pas envoyé son fils au monde afin qu’il juge le monde, mais afin que soit sauvé le monde à travers lui. » Le but recherché n’est pas d’en venir au « jugement », c’est-à-dire à l’obligation de trancher, à la condamnation de l’une ou l’autre partie, mais au contraire de « sauver ».
Un tel combat exige de la transparence, exige de la lumière. Ceux qui prétendent tirer parti de la situation dramatique où se trouve notre univers agissent de manière occulte, on est tout surpris de découvrir à quel point ils agissent effectivement. Mais il me semble qu’à l’inverse, retrouver, reprendre notre juste place dans l’univers, ne peut se faire qu’en toute clarté et transparence. « Car celui qui pratique le mal hait la lumière et il n’advient pas vers la lumière pour que ne soient pas répertoriées ses œuvres. Mais celui qui fait la vérité vient vers la lumière, afin que soient manifestées ses œuvres parce qu’en Dieu elles ont été accomplies. » Nous ne pouvons pas d’un coup trouver tout ce qu’il faut ré-arranger de notre vie, tout ce qui doit être modifié pour que l’univers redevienne un cosmos. Mais nous pouvons « venir vers la lumière« , faire preuve de lucidité, avec l’encouragement que plus on fait marche vers la lumière, plus on voit de choses.