Dimanche 18 mars : une attraction universelle.

Lire le texte de l’évangile sur le site de l’AELF

     Nous voilà beaucoup plus loin dans l’evangile selon s.Jean : presque au bout du « livre des signes », juste avant que ne commence le « livre de la gloire » où Jean raconte et médite sur tout ce qui va de la dernière cène à la résurrection. Juste avant notre passage d’aujourd’hui, six jours avant la Pâque, Jésus s’est arrêté à Béthanie, près de Jérusalem, chez ses amis Marthe, Marie et Lazare : Marie a d’ailleurs eu un geste étonnant en versant un parfum précieux en grande quantité sur les pieds de Jésus et en les essuyant avec ses cheveux. Le lendemain, cinq jours avant la Pâque donc, Jésus est rentré dans Jérusalem assis sur un petit âne, aux acclamations de la foule. A chacune de ces étapes, les Grands-Prêtres, puis les Pharisiens, en veulent de plus en plus à Jésus et la décision de le tuer lui et Lazare (à cause de la résurrection duquel nombreux sont ceux qui adhèrent à Jésus) est déjà prise.

     « Or il y avait certains Grecs parmi ceux qui étaient montés afin d’adorer pendant la fête. » C’est la première apparition de Grecs dans l’évangile de Jean : des non-Juifs sympathisants, sans doute prosélytes, qui ont fait un acte fort en se rendant comme les Juifs au Temple de Jérusalem pour la fête de la Pâque. Cette mention fait directement écho à la plainte des Pharisiens dont l’énoncé précède immédiatement : « …Voici que le monde va derrière lui ! » Comme souvent, Jean écrit des formules à double sens, montrant que les adversaires de Jésus lui rendent malgré eux témoignage. Ici, les Pharisiens se plaignent que « tout le monde », autrement dit « n’importe qui », suit Jésus qui les entraîne « n’importe où » en dehors des bonnes voies. Mais ce qu’ils disent sans s’en rendre compte, c’est que « le monde entier », tous les hommes -et plus seulement le peuple Juif- sont entraînés par Jésus. Les Grecs qui veulent s’adresser à Jésus, pour la première fois, en sont un signe.

     « Ceux-ci donc abordent Philippe de Béthsaïde en Galilée et lui font une demande en disant : ‘Seigneur, nous voulons voir [le] Jésus« . Philippe est un nom grec, « celui qui aime les chevaux » : ils passent par un intermédiaire, avec lequel ils pensent avoir quelque chose en commun. Ils essayent de susciter sa bienveillance en l’appelant ‘seigneur’ (ce qui se trouve encore dans ‘monsieur’, ‘mon seigneur’, après tout !) et leur demande résonne avec beaucoup de force. « Nous voulons« , la demande est claire et déterminée, « voir Jésus » : on comprend qu’il ne s’agit pas d’une vue de loin, ce qui est à la portée de tous tant Jésus parle aux foules. Il s’agit plutôt d’une rencontre personnelle, d’un échange de paroles, d’un entretien. Tout cet ensemble donne de précieuses indications sur la manière de faire une demande : détermination du cœur, choix d’une médiation appropriée, expression claire, demande de quelque chose de grand. « Advient Philippe et il [le] dit à André (encore un nom grec !), advient André et Philippe et ils [le ] disent à Jésus. » C’est toute une chaîne qui se construit et qui aboutit : Jésus est mis au courant de la demande. Que va-t-il répondre ? Je n’ai été envoyé qu’aux brebis perdues de la maison d’Israël ?

     « Mais Jésus leur répond, disant : elle est venue l’heure où sera glorifié le fils de l’homme. » Il n’entend pas cette demande comme une simple requête à laquelle accéder ou non. Il entend cette requête comme un signal. Dans le même évangile, au début du « livre des signes », une autre requête lui avait été adressée, qui avait provoqué chez lui la même référence, une requête qui n’était pas sous forme de demande ou de question, mais sous forme du simple exposé d’une détresse, lors de noces, à Cana en Galilée : « Ils n’ont plus de vin. – Femme, avait-il répondu, qu’y a-t-il entre toi et moi ? Mon heure n’est pas encore venue. » Il discernait dans cette requête, à cause de ce qu’il y avait entre lui et celle qui demandait, un ébranlement profond, le début de l’accomplissement de sa mission. En réponse à cette requête, il allait faire son premier signe, celui qui le ferait connaître, celui aussi qui ferait de ce jour « le premier jour du reste de sa vie ». Là commencerait aussi la partition des hommes, entre ceux qui allaient « croire en lui » et ceux qui ne croiraient pas. L' »heure« , c’est le scellement dans le temps du dessein éternel du Père. A Cana commence sa mise en œuvre. Maintenant, « elle est venue« .

     C’est « l’heure où sera glorifié le fils de l’homme » : rappelons-nous le passage lu la semaine passée. Le fils de l’homme, c’est l’envoyé de Dieu qui « descend » du ciel, raison pour laquelle il sait, seul, comment y monter, comment tracer aux hommes une route vers le Père. Et cette route consiste à « être élevé » comme le serpent sur une hampe dans le désert, entre ciel et terre, autant qu’à « être exalté » jusqu’au ciel. Le verbe « être glorifié » dit la même chose : il s’agit cette fois avant tout de l’exaltation jusqu’à Dieu, mais Jean l’emploie toujours en rapport à la destinée tragique de la mise en croix, à cette mort entre ciel et terre. Jean voit dans la mort de Jésus le début de l’élan de sa glorification jusqu’à Dieu. En hébreu (Jean est instruit !), la gloire se dit [kabôd], c’est un mot qui a la même racine que le « poids ». Et le poids, c’est très mystérieux : demandez donc à un vrai physicien de le définir ! Ce n’est pas la masse, non : le poids c’est quelque chose à l’intérieur même d’un être, qui l’entraîne dans une direction, qui donne prise à une attraction. La « gloire de Dieu », c’est son « poids » dans les choses, cette force qui entraîne tout à lui. Si le fils de l’homme est « glorifié« , c’est qu’il est irrésistiblement entraîné à Dieu par un « poids » intérieur, inhérent; c’est qu’il va prendre tout son « poids » dans l’univers, non pas d’une pesanteur qui va l’écraser à terre, mais qui va l’entraîner jusqu’au ciel. Jésus ne meurt pas lapidé, jeté à terre et recouvert de pierres (comme l’aurait voulu la loi juive étant donné l’accusation), mais élevé entre ciel et terre (selon la sentence romaine).

     Et Jésus sait que cela va maintenant se produire, parce que des Grecs, des non-Juifs, veulent le voir. Le verbe est au futur, « sera glorifié« , mais c’est un futur immédiat et l’heure « est venue » : extraordinaire tension entre ces deux temps verbaux, l’accomplissement achevé d’une part, le futur de l’autre. Jésus sait, et Jésus révèle, comme le montre la formule solennelle par laquelle Jean introduit les grandes révélations : « Amen, amen, je vous [le] verbalise, si la graine de blé tombée dans la terre ne meurt pas, elle demeure seule; mais si elle meurt, elle porte un fruit immense. » J’ai traduit « verbalise » pour faire le lien entre la Parole du prologue de l’évangile (le [Logos]) et le fait de dire pour révéler ([léguéïn]). Pardon si c’est un peu inhabituel, mais verbaliser, c’est bien mettre des mots sur une réalité déjà présente, et c’est bien de cela qu’il s’agit. Avec la comparaison du grain de blé, Jésus parle de lui-même, en parabole : il est venu [éïs tèn guèn], « entrant dans la terre ». Il faut aller au bout, maintenant, et y mourir, afin de porter fruit. La demande des Grecs est le signe de cette universalité qui pointe, Jésus la lit comme un signe à lui adressé. Le « fruit immense » relève de l’universalité, du monde entier. Il le dit un peu plus loin : « Et moi, quand j’aurai été élevé hors de terre, j’attirerai tous vers moi. » Le « poids » de celui qui est tombé en terre sera tel, qu’il ne sera pas que son propre poids, il sera le poids du monde entier, de tous les hommes. Ce sont tous les hommes qu’il entraîne dans son élévation-exaltation.

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     « Celui qui aime son âme (ou sa vie) la perd, et celui qui hait sa vie dans ce monde-ci la garde dans la vie éternelle. Si c’est moi que quelqu’un sert, c’est moi qu’il suit, et où je suis là-même mon serviteur sera; si quelqu’un me sert, le père l’honorera. » Voilà pour le disciple : d’abord une sentence générale qui vaut pour tous, pour Jésus comme pour les autres, énoncée sous la forme d’une antithèse violente, assez typiquement juive, où les contrastes sont poussés au maximum : aimer, haïr; perdre, garder; ce monde, la vie éternelle. La formule « dans la vie éternelle« , c’est [éïs dzôèn aïônion], la même forme que celle employée pour dire que le fils de l’homme est venu « dans la terre« . Avec la même dynamique par laquelle il est venu « dans la terre« , vient l’heure d’entrer « dans la vie éternelle« . Mais paradoxalement, entrer dans la vie que rien ne limite, passe par la mort. Et puis ensuite, il y a une sentence, plutôt pour le disciple, avec la thématique du service qui revient trois fois. Jésus doit passer d’abord, lui seul ouvre la voie, lui seul trace le chemin. Mais être serviteur de Jésus va consister à le suivre, à passer après lui et être dans le même lieu. Le même chemin de mort et d’élévation. Le même abandon à l’action exclusive du père.

     Je ne vais pas plus loin, cette fois-ci. Mais il me semble que l’essentiel est bien là. Les passifs verbaux employés par Jésus font bien comprendre qu’il n’est plus temps d’agir, mais de laisser le père agir. C’est tout l’enjeu pour nous aussi, c’est toute la mesure de la qualité du disciple, laisser agir un autre, quelles que soient les circonstances ou les chemins de la vie.

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