Dimanche 1er avril (Pâques) : Tout neuf !

Lire le texte de l’évangile sur le site de l’AELF

    Nous voilà cette semaine tout-à-fait au bout de la dernière partie du témoignage de Marc, au bout de cette partie dont nous avons commenté le début la semaine dernière. Il s’agit de la conclusion de tout l’évangile de Marc, et cette conclusion est surprenante. Elle est même si surprenante, que le lectionnaire -ceux qui en ont fait la distribution des textes, à vrai dire- a renoncé au tout dernier verset de l’évangile : sur le plan de l’authenticité, cela aussi est surprenant ! Nous n’avons donc que les versets 1 à 7 de ce seizième chapitre, alors que le texte en compte 8. Disons tout de même que la surprise n’est pas d’aujourd’hui : d’autres versets, (9-20) ont été rajoutés de longue date, tant les tout premiers lecteurs ont été surpris de cette manière qu’a eu Marc de finir son témoignage. Laissons-nous donc surprendre à notre tour.

     « Et le sabbat s’étant écoulé Marie la Magdaléenne et Marie de Jacques et Salomé achetèrent au marché des aromates afin d’aller l’oindre. » Le Sabbat, c’est le jour où le repos est de précepte, aucun travail pénible, aucune œuvre servile : il ne faut rien faire. C’est en témoignage de ce « septième jour » où « Le septième jour, Dieu avait achevé l’œuvre qu’il avait faite. Il se reposa, le septième jour, de toute l’œuvre qu’il avait faite. » (Gn.2,2). Pourtant, à y regarder de près, ce « repos » n’est pas un « rien faire » : il s’agit surtout d’un nouvel agir de Dieu qui n’est pas du même ordre que ce qui précède. Le « septième jour », Dieu fait autre chose que ce qui constitue ce monde-ci, il fait une œuvre qui est au-delà de la création. Et c’est bien ce à quoi nous ouvre ce surprenant récit, à quelque chose qui n’est pas de cette création-ci.

     Bien sûr, il s’agit plus précisément ici du Sabbat qui suit la mort de Jésus. Celui-ci est mort la veille du sabbat, ou plutôt à strictement parler sa mort à provoqué le début du sabbat. En effet, les jours chez les Juifs commencent avec la tombée de la nuit et vont jusqu’au soir suivant. Or, pendant la crucifixion,  « la sixième heure arrivée, des ténèbres survinrent par-dessus toute la terre jusqu’à la neuvième » : on peut dire que le sabbat était dans les faits commencé. Il s’est écoulé et sitôt que cela a été possible, trois femmes dont Marc nous donne les noms, sont « allées au marché » : [agoradzô], c’est aller à l’agora, la place publique, c’est aussi aller au marché et par voie de conséquence c’est aussi faire son marché, acheter au marché. Le sabbat s’achevant à la tombée du soir comme on l’a déjà dit, elles ont dû aller vite faire leur marché dès le samedi soir, dans le petit intervalle avant la nuit. Qu’ont elles acheté ? [arômata], ce sont des plantes aromatiques. Marc précise le but : « afin d’aller l’oindre« . Le verbe [aleifô] (ici au futur : elles oindront, mais pas en sortant du marché) signifie graisser, oindre, frotter d’huile (en particulier pour préparer à la lutte), enduire. Par suite, il signifie aussi préparer et même encourager. La coutume juive n’est pas de pratiquer l’embaumement (c’est plutôt égyptien) : Jean parle de myrrhe et d’aloès, mais je trouve que ce sont des indications si proches d’un psaume (évoquant des noces royales : « la myrrhe et l’aloès parfument ton vêtement« ) que ç’en est suspect. Nos femmes n’ont pas l’intention d’aller, comme en Egypte, donner au mort une apparence « éternelle », elles veulent sans doute juste aller laver le corps, avec de l’eau et des huiles végétales. L’enterrement précipité n’a permis que la mise dans un linceul. Notons que Jésus n’est pas nommé : là encore, c’est « lui », celui qui habite les esprits et les préoccupations.

      Qui sont ces trois femmes ? Marc mentionne Marie la Magdaléenne juste un peu avant : avec « Marie de Joset« , elle regarde quand on met Jésus au tombeau. Un peu auparavant, une fois Jésus mort, il la mentionne en compagnie de « Marie de Jacques-le-petit et mère de Joset, et Salomé » : elle se tiennent à distance et regardent, « quand il était dans la Galilée, elles le suivaient et le servaient« . Le trio pourrait bien être le même, à condition d’admettre que Marie de Jacques, Marie de Jacques-le-petit et mère de Joset et Marie de Joset sont la même personne (mais en cette matière d’identification des personnages, il ne faut aller trop vite !). Quand Jésus était revenu à Nazareth, ses compatriotes  s’étaient indignés à son sujet, voyant en lui : « le fils de Marie, un frère de Jacques, Joset, Juda, Simon » (Mc.6,3). Un frère, dans la parentalité d’alors et dans cette culture, recouvre aussi le cousinage : la « Marie de Jacques » peut donc, suivant les interprétations qu’on voudra faire, être la propre mère de Jésus, ou bien la mère d’un de ses cousins, c’est assez difficile à débrouiller. Il me semble simplement que si c’était la mère de Jésus lui-même, Marc l’appellerait plutôt ainsi à la fin de son évangile, plutôt que « Marie de Jacques« . Et puis il est assez difficile de savoir si le « de » indique plutôt « la mère de… » ou « la femme de… » Quoiqu’il en soit, nos renseignements sont assez minces, mais ils doivent nous suffire à comprendre puisque Marc s’en est contenté. Nos trois femmes apparaissent surtout à la fin de l’évangile, elles en sont au plan littéraire de nouveaux personnages. Parmi elles, l’une est de la parenté de Jésus. Ce que nous avons besoin de savoir, c’est que « quand il était dans la Galilée« , c’est-à-dire dès le début de l’aventure, depuis les origines, « elles le suivaient et le servaient. » Elles ont participé à toute l’aventure du début à la fin. Les personnages sont nouveaux, les personnes ne sont pas nouvelles. Pourquoi Marc n’en a-t-il jamais parlé ? Trois raisons me viennent à l’esprit : d’abord Marc a pris un parti de sobriété, ensuite les femmes ne pouvaient dans la loi juive rendre témoignage, enfin il marque avec force, grâce à ce choix, que ce qui commence ici est nouveau. Et le signe de cette nouveauté, c’est la place donnée aux femmes…

     « Et au petit matin, le premier après le sabbat, elles vont sur le tombeau le soleil une fois levé. » Nouveau jour : le « petit matin », c’est la même expression que Marc a employée au tout début de son évangile quand Jésus est sorti prier seul dans le désert, depuis Capharnaüm. Le moment où il était sorti vers son père, pour le retrouver. A ce moment-là, sans attendre -autrement dit, à la première occasion-, les femmes vont sur le [mnèméïon]. Le mot dit d’abord le souvenir, il dit, ensuite seulement, un signe pour rappeler, un monument commémoratif, une urne ou un tombeau. L’acte de mémoire, l’acte de se souvenir, c’est représenter, c’est rendre présent ce qui ne l’est plus (parce que c’est passé). Les femmes se rendent donc là avec un but pratique qu’on a déjà dit, mais aussi dans un esprit particulier, celui de rappeler déjà à leur présent ce qui est désormais, et définitivement, passé. Marc ajoute une précision apparemment inutile, « le soleil une fois levé« , car il vient de dire « au petit matin« ; [anatellô], c’est faire se lever, faire apparaître, faire jaillir (le préverbe [ana-] indique toujours un mouvement du bas vers le haut). Il est à l’aoriste, qui marque une action antérieure à l’action principale : les femmes se rendent au tombeau au petit matin, mais le soleil, lui, a déjà jailli. On devine que le soleil n’est pas seulement ici celui qui brille sur le jour d’ici-bas : avec discrétion, Marc suggère un contraste entre celles qui vont, au lever du jour de cette création (le premier, celui de la création de la lumière), faire un effort de rappel dans leur présent d’un passé révolu, et ce jour nouveau, qui n’est pas de cette création-ci, mais dont le jaillissement a précédé.

     Du reste, les femmes sont tout à leurs préoccupations : « Et elles se disaient l’une à l’autre : qui nous fera rouler la pierre depuis la porte du monument ? » En effet, il ne s’agit pas d’une William-Adolphe_Bouguereau_(1825-1905)_-_Le_saintes_femmes_au_tombeau_(1890)_img_2mince affaire. « Et levant les yeux elles observent qu’a été roulée la pierre : elle était en effet particulièrement grande. » Premier étonnement, et qui n’est pas le dernier. On imagine le trouble, les questions au cœur de ces femmes, les inquiétudes, les suppositions. Marc a choisi résolument de nous faire prendre le point de vue de ces femmes. Ce qu’il a à nous dire ne s’explique pas, ne se raisonne pas : il faut prendre son parti d’une expérience partagée. « Et une fois pénétrée dans le monument, elles voient un jeune homme siégeant du côté droit enveloppé d’un habit brillant, et elles sont dans la stupeur. » La surprise est grande, mais elles vont de l’avant et entrent : la préposition [éïs], qui marque un mouvement pour aller dans, revient deux fois, comme préverbe et comme préposition. Et que voient-elles ? Un [néaniskos], un jeune homme ou bien un serviteur (le latin puer a lui aussi ces deux sens) qui siège : il n’est pas seulement assis, mais son attitude est plutôt celle de l’autorité. Il n’a pas un vêtement, [stolis], mais plutôt un équipement, [stolè] : la nuance est d’importance, car le mot est plutôt martial, il évoque d’ordinaire l’équipement du soldat. Et cet équipement est brillant, éclatant. On pourrait bien sûr traduire par « vêtement blanc« , mais on ne voit pas bien alors ce qui effrayerait les femmes. Mais si elles sont face à un personnage dans la force de sa jeunesse, à l’allure pleine d’autorité et qui est plutôt équipé pour mener une bataille, il y a de quoi être saisi de stupeur.

     Que se passe-t-il alors ? « Or il leur dit : ne soyez pas dans la stupeur : c’est Jésus que vous cherchez, le Nazarénien, le crucifié. Il a été réveillé, il n’est pas ici; voici le lieu où il avait été posé. Mais retirez-vous, dîtes à ses disciples et à Pierre qu’il vous précède dans la Galilée : là vous le verrez comme il vous a dit. » Ce jeune homme a de quoi faire encore plus peur : il sait exactement ce qu’elles éprouvent, employant exactement le mot qui décrit leur sentiment. Et non seulement cela, mais il sait pourquoi elles sont venues. Enfin, ce dernier point est il est vrai assez évident. Tout de même, se faire énoncer avec une telle exactitude par un inconnu plutôt intimidant ce que l’on éprouve et les raisons de sa présence ! Il y a de quoi être très impressionné… Pourtant, il n’y a pas qu’un simple énoncé dans les paroles du jeune inconnu resplendissant, il y a aussi un remède, une porte de sortie. Car ces femmes ont franchi une porte, celle du tombeau ouvert, et il les invite à franchir aussi résolument un autre genre de porte, à entrer dans une nouveauté. Pour ne pas rester dans la stupeur, il faut revenir à son premier élan : c’est Jésus que vous cherchez. Donc, continuez à chercher, remettez-vous dans votre recherche première, c’est elle qui vous fera franchir sûrement la porte redoutable.

     Vous cherchez Jésus, « le Nazarénien, le crucifié« , celui avec lequel vous avez été depuis Nazareth jusqu’à la crucifixion. Vous l’avez toujours suivi, du début à la fin, suivez-le encore. Il est pour toujours le Nazarénien, pour toujours le crucifié. Mais voici la nouveauté : « il a été réveillé, il n’est pas ici« . Le verbe [égéïrô], dans son usage intransitif (qui est le cas ici, pas de complément, la chose est dite absolument), signifie s’éveiller. Dans l’autre usage, qu’on se rappellera à cause des échos nécessaires pour qui use d’une langue, il signifie aussi faire lever, ériger, dresser, mettre debout, bâtir. Ce verbe est à l’aoriste passif : c’est un autre qui a fait l’action, et celle-ci constitue un fait brut, antérieur. Désormais, il est le Nazarénien, le crucifié ET le réveillé. Et pourtant, ce fait brut n’est pas tout-à-fait dans la continuité des précédents, car « il n’est pas ici », on ne le trouve plus là où elles sont venues le chercher, ni parmi les morts, ni parmi les souvenirs. Le chercher n’est plus affaire de mémoire, il ne s’agit plus de rendre présent celui qui est révolu. Ici, en grec, s’écrit [hôdé]; mais ce qui est fort intéressant, c’est que le même mot est aussi bien un adverbe de lieu et un adverbe de manière, signifiant alors ainsi, de cette manière, dans l’état où on est, à ce point. Et l’on voit que les deux sens se rejoignent : il n’est pas ainsi, il n’est plus de cette manière. Qu’y a-t-il ici ? Il n’y a plus que le lieu, le [topos] (qui est aussi bien le lieu-commun), où « il avait été posé » : cette dernière action a été entièrement accomplie, elle est entièrement révolue. On n’est plus dans le régime du cadavre déposé. Et le lieu de Jésus n’est plus ce lieu-là.

     Après ces constats, changement, contraste, opposition, « Mais« . Et deux ordres qui orientent pour entrer résolument dans cette nouveauté constatée : [hupagété], retirez-vous ! Le verbe, dans son usage intransitif encore, signifie s’éloigner discrètement, se retirer sans bruit, se retirer pas à  pas. Mais il signifie aussi s’avancer peu à peu, suivre son chemin tranquillement, vivre sans souci. On peut donc y voir un double sens, un sens immédiat, celui de ne pas rester là. Ça ne sert plus à rien : circulez, il n’y a rien à voir ! Mais aussi un sens plus durable : n’en restez pas là, avancez tranquillement. Toujours cette nouveauté absolue dans laquelle entrer. Deuxième ordre, [éïpate], dîtes. Il faut parler. Pas à n’importe qui, les femmes sont chargées d’un message nominatif pour ses disciples et Pierre. Donc pour nous, si nous sommes ses disciples. Le message ? « Il vous [proagô] en Galilée. » Le verbe cette fois est transitif, il signifie alors mener en avant, faire avancer, prolonger, produire, promouvoir, élever en dignité, pousser à. Il ne s’agit pas tellement de « précéder », d’y être en premier, il s’agit de se montrer moteur. Et la préposition employée aussitôt après n’est pas simplement « à » ou « dans », mais toujours notre [éïs] qui implique l’idée d’un mouvement de pénétration. Les disciples et Pierre sont avertis que Jésus-le-Réveillé les mène plus avant dans la Galilée, le lieu où tout à commencé, le lieu de sa prédication, le lieu des frontières entre Israël et « les nations ». « Là vous le verrez, comme il vous a dit. » Les femmes ont pénétré [éïs] le monument pour voir Jésus mort, les disciples sont poussés [éïs] la Galilée pour voir Jésus dans sa nouvelle réalité, outre les jours de cette création.

      Ici s’arrête le texte du jour, mais ici ne s’arrête pas Marc pour achever cette conclusion, pour mettre le dernier mot à son évangile -avant qu’une autre main ne vienne ajouter encore une récapitulation générale. Et que note Marc pour finir ? « Et ressorties elles s’enfuient du monument. Car un tremblement les avait saisies ainsi qu’un égarement; et elles ne dirent rien à personne car elles avaient peur. » On peut dire que ce n’est pas l’obéissance stricte aux ordres qu’elles viennent de recevoir ! C’est même tout le contraire, et quasiment point par point : elles ne se retirent pas discrètement, elles ne disent rien. Elles sont prises par un [tromos], qui donne notre trauma, notre traumatisme, et qui a en effet ce sens en décrivant plus concrètement le tremblement de la peur (mais un tremblement fort, c’est le même mot qui est employé pour le tremblement de terre); et elles sont prises encore par une [ekstasis], qui donne notre extase mais signifie d’abord être hors de soi, perdre l’esprit. Seule la peur domine. Pourquoi Marc finit-il sur une telle note ? J’y vois deux raisons, on les partagera ou non. Première raison : les choses se sont bien passées comme cela. La peur suscitée par l’intervention de la tout-puissance, classique dans les Ecritures, atteste que c’est bien Dieu qui a agi. Deuxième raison : ce nouveau fait n’est pas un racontar, une invention. Celles qui auraient dû le transmettre ne l’ont pas fait. Si le fait est venu jusqu’à nous, ce n’est pas le fait d’un plan établi entre quelques comploteurs, et les nouveaux acteurs de la nouvelle réalité ne sont pas meilleurs que ceux de l’ancienne. Il y avait ceux qui se sont enfuis à l’arrestation de Jésus -et même, chez Marc, un jeune homme (déjà) qui préfère s’enfuir tout nu que se faire prendre avec le seul drap qui l’habille-; il y aura ceux qui se sont enfuis à l’annonce de la nouvelle réalité de Jésus. C’est décidément par une autre puissance que celle des témoins que vit l’évangile.

     Et puis il y a peut-être une troisième raison. Le titre de l’ouvrage de Marc est « Commencement de l’évangile Jésus-Christ fils de Dieu. » Et bien voilà, le commencement est fini, et c’est ici qu’il finit et avec cette peur qu’il finit. Maintenant que nous sommes dans un nouvel ouvrage en train de s’écrire, ce n’est plus ainsi. Tout est neuf.

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