Dimanche 13 mai : vivre résolument dans le monde.

Lire le texte de l’évangile sur le site de l’AELF

     Nous sommes encore en compagnie de s. Jean, et cette fois au beau milieu d’un passage fort particulier. Après ce très long discours que Jean met dans la bouche de Jésus à la suite du lavement des pieds et avant son arrestation, sorte de « discours-testament », il imagine une longue prière que Jésus adresserait à son père, et c’est une partie de celle-ci dont nous avons aujourd’hui lecture.

     Je dis qu’il imagine : on pourrait trouver cela cavalier. Mais partout ailleurs, on nous montre Jésus choisissant la solitude pour prier et s’adresser à son père. D’autre part, quand Jésus enseigne à ses disciples à prier, et leur enseigne le Notre Père, il leur dit justement qu’il n’est pas besoin de longues formules, et c’est une des choses qui étonne les disciples, car les prières du temps rivalisaient en effet par leur caractère interminable. Mais on devine ici le procédé littéraire auquel Jean a recours : les mots sont sensés être adressés par Jésus à son père, c’est-à-dire qu’après avoir promis dans son discours-testament une nouvelle intimité à ses disciples, et notamment que lui Jésus les faisait entrer désormais dans l’intimité qu’il a avec son père, cette promesse est en quelque sorte réalisée. Mais sous ce moyen, c’est en fait un discours adressé au lecteur par l’écrivain; une manière toute simple pour Jean d’écrire à son lecteur ce qui est selon lui le plus important au coeur de Jésus, ce qui lui tient au coeur au point d’en parler avec son propre père.

     Il l’appelle d’abord « Père saint« . [hagios], c’est ce qui est saintsacré, ou encore consacré aux dieux dans la langue grecque. Dans la tradition juive, le mot hébreu [kadosh] évoque ce qui est à part, séparé. Et Jésus emploie cet adjectif en l’attribuant à son père, juste au moment où il vient de dire qu’il n’était « plus dans le monde » mais « venait vers » lui, cependant que ses disciples, eux, étaient « dans le monde« . Il y a une séparation d’avec ses disciples, et Jésus s’adresse à son « père séparé« . Lui sait ce que c’est. Et il lui demande : « garde-les en ton nom, que tu m’as donné ». [Tèréô], c’est avoir la garde de, veiller sur; c’est aussi observer, guetter, conserver. Il y a une idée de surveillance, mais au sens de « veiller sur ». Est-ce un nouveau « lieu » où il faille les garder, son nom ? Ils sont « dans le monde« , mais il faut les garder « dans ton nom » ? Ou bien est-ce simplement une recommandation d’avoir l’initiative : ne les garde pas en mon nom, à ma place, mais bien en ton nom ? Je pencherai pour ce deuxième sens, qui est le plus simple… et peut-être aussi le plus beau. Parce que cela signifie que Jésus fait l’hommage de ses disciples à son père : ce sont mes disciples, mais ils sont à toi. Et toi-même tu les aimes. Ne les garde pas parce que je te le demande, mais garde-les parce que tu les aimes. Mais pourquoi « garder » ? Y a-t-il un danger dont il faille protéger les disciples ? Ou un ennemi ? Ou est-ce seulement une recommandation très générale, sans menace précise, comme lorsqu’on s’inquiete parce qu’on s’absente ?

     Le but de cela ? « …afin qu’ils soient un, comme nous. » L’unité, recherchée avant tout par Jésus pour ses disciples, a un modèle qui est en même temps un but. C’est l’unité même du père et de Jésus. Et si le père les aime en son propre nom, ils seront un. L’unité de Jésus et son père tient au fait que le père aime Jésus. Et il en sera de même avec les disciples. « Quand j’étais avec eux, c’est moi qui les gardais en ton nom, que tu m’as donné. J’ai veillé sur eux, et aucun ne s’est perdu, sinon le fils de perdition de sorte que l’Écriture soit accomplie. » Jean semble faire preuve d’une sorte de fatalisme. « Mais maintenant je viens vers toi, et je dis ces choses dans le monde, afin qu’ils aient la joie, la mienne, accomplie en eux. » Il est étonnant ce « maintenant » ! Dès la première phrase de son prologue, Jean nous dit que la parole était [pros ton théon], « vers le dieu« ; ici, Jésus dit [pros se erkhomaï], « je viens vers toi« . L’attitude est donc toujours la même : pourquoi y a-t-il un « maintenant » ? Qu’est-ce que l’heure présente change à ce sujet ? Ce qui change c’est peut-être  « dans le monde »… Maintenant, Jésus vient vers son père « dans le monde », et c’est une vraie nouveauté. Et il entraîne dans son mouvement ce « monde » vers le père. Et sa joie, celle d’être toujours « vers le père », cette joie peut s’accomplir désormais dans le monde, pour ses disciples : eux aussi peuvent être « vers le père » « dans le monde », c’est « maintenant » possible !

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     « Moi, je leur ai donné ta parole… » : c’est la clé. C’est la parole qui est depuis le commencement « vers le père ». Elle le demeure dans ceux qui la reçoivent. « …et le monde les a haïs, parce qu’ils ne sont pas [issus] du monde, comme moi je ne suis pas [issus] du monde. » [kosmos], c’est d’abord l’ordre, l’ordre établi ; par suite, c’est aussi l’ordre de l’univers, voire l’univer lui-même. Et puis c’est aussi l’ornement, la parure, parce que l’ordonnancement du monde, pour les grecs, c’est tout simplement admirable. Mais voilà : la parole apporte un véritable bouleversement dans l’ordre du monde et dans l’ordre établi. Or, qui bouleverse l’ordre établi suscite toujours la haine. Et c’est une question d’origine : ce qui n’est pas issu de soi, on tend à le rejeter comme une greffe refusée. Voilà le statut de la parole, qui bouleverse l’ordre établi, apporte une autre logique. Et voilà le statut de ceux qui veulent se laisser conduire par cette parole. Il faut bien comprendre qu’il n’y a pas une opposition viscérale et intrinsèque entre le [kosmos] créé par Dieu et la parole qu’il envoie, par laquelle d’ailleurs il crée le [kosmos] : mais le surgissement de la parole dans le monde alors qu’elle n’en est pas issue est un bouleversement d’abord rejeté. Après, il faut voir, cela dépend…

     « Je ne demande pas que tu les retires du monde, mais que tu les gardes du mal. » C’est le cœur de la demande, le cœur du message que s. Jean adresse à son lecteur. Pourquoi le cœur ? Mais parce que l’auteur l’a clairement encadré, pour être sûr qu’on le comprenne. « …ils ne sont pas [issus] du monde comme moi je ne suis pas [issu] du monde. Je ne demande pas que tu les retires du monde, mais que tu les gardes du mal. Ils ne sont pas [issus] du monde comme moi je ne suis pas [issu] du monde. » On ne peut pas être plus clair. [aïrô], c’est soulever, emporter. C’est une tentation : être transportée ailleurs, se faire un « monde » à soi pour être à l’abri de ce qui dérange ou bouleverse son ordre propre. Le [kosmos] est bouleversé par l’avenement de la parole et des disciples qui en vivent, et ce bouleversement fait qu’il ne les aime pas a priori; mais les disciples aussi peuvent avoir la haine du [kosmos], et vouloir en être retirés, ou s’en retirer. Il me semble que cette tentation est très actuelle : on voit et on entend beaucoup aujourd’hui de déclarations ou de pratiques de « croyants » -ils s’affichent comme tels- qui s’opposent au « monde ». C’est contraire à l’évangile, tout simplement. Le monde, [kosmos], et le mal, [poneros], sont ici clairement distingués. Et la prière est non d’être enlevé du monde, mais gardé du mal : tant de ne pas le subir -qui le voudrait !- que de ne pas le commettre ! Et là, de nombreux scandales nous font voir toute l’acuité de cette prière : rien ne fait obstacle à la diffusion de la parole, à son pouvoir de soulever le monde « vers le père », comme le mal commis par des personnes qui s’affichent comme disciples. Oui, plus que jamais, « garde-les du mal. »

 

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