Dimanche 2 septembre : gare aux rites !

Lire le texte de l’évangile sur le site de l’AELF

     Bonne rentrée à vous tous ! Retour dans l’univers de s.Marc. Me voilà à nouveau contraint de resituer le passage d’aujourd’hui dans son œuvre. Et toi, cher lecteur, tu vas supporter cela avec patience, alors que tu es pressé d’en venir au texte ! Je compatis, mais je veux nous donner, à toi comme à moi, un maximum de chances d’accéder au sens sans trop d’erreur…

     Ainsi donc, où en sommes-nous avec ce texte (d’ailleurs servi avec des trous !) ? Il est en plein centre d’une grande partie (ou sous-partie) de cet évangile qu’à la suite d’autres, nous avons appelée « les pains et l’inintelligence des disciples ». Il y a eu un premier temps sur les témoins de Jésus : envoi des Douze, jugement intellectuel d’Hérode, martyre de Jean-Baptiste. Puis un deuxième temps où les disciples sont eux-mêmes surpris par le mystère de Jésus : la première multiplication des pains, la marche sur l’eau de Jésus et un sommaire sur les guérisons opérées par celui-ci. Vient ensuite  —troisième temps—  notre passage, contre les traditions pharisiennes et sur la vraie pureté. Suivront un quatrième temps où l’évangile est inauguré « hors les murs », en terre païenne, et un cinquième et dernier temps où les disciples se révèlent inaccessibles au mystère et qui s’achève significativement sur la guérison difficile, en deux temps, de l’aveugle de Béthsaïde. On voit bien se dessiner tout un ensemble où le mystère s’épaissit, où la suite de Jésus se révèle plus difficile que prévue, où le comprendre confine à l’épreuve. Et cela, parce qu’il ne cesse de surprendre, de dépasser les limites jusque-là reçues. Les questions abondent dans cette sous-partie, et en effet il faut nous y interroger sur Jésus, nous laisser aussi interroger par lui et sa manière de faire. Et au centre de ces interrogations, celles que soulèvent aujourd’hui Jésus : il faut s’attendre à ce que le déplacement auquel il nous invite ne soit ni aisé ni évident.

     Ce sont les Pharisiens qui se rassemblent, [sunagontaï], auprès de lui ou tournés vers lui, ainsi que quelques scribes venus depuis Jérusalem. On ne sait pas pourquoi, mais ce n’est pas un hasard puisqu’ils sont nombreux et que certains viennent de loin. Il y a sans doute là une observation attentive menée par des responsables religieux, pas tant les gardiens des rites (les prêtres) que les gardiens des traditions, ceux qui ont à cœur les pratiques religieuses quotidiennes. Rappelons-nous encore une fois que les Pharisiens, devant le risque d’une dilution du Judaïsme parmi les Nations, sont les inépuisables scrutateurs de l’Ecriture et les inventeurs de tous les préceptes qu’ils y trouvent pour faire de la vie domestique, quotidienne, commune, une vie « à part ». Tous les rituels domestiques s’inventent ici afin de constituer entre le Juif fidèle et « ceux des Nations » une « haie » intérieure qui maintienne dans une vie à part le peuple mis à part.

     Et en observant, les voilà qui notent tout de suite des négligences : certains des disciples (pas tous, mais [tinas tôn mathètôn], certains ou quelques uns des disciples) mangent les pains —toujours ces fameux pains de froment, comme ceux qui ont été multipliés— avec les mains « communes »,  « de tout le monde« , [koïnaïs], « c’est-à-dire non-lavées » ([aniptos] = non lavé, ou : qui ne peut être lavé). Marc traduit pour les non-initiés, mais le problème de ces gens-là est bien la première expression : il faut en tout se distinguer de « tout le monde », des « nations », et donc il n’est pas question de manger « comme tout le monde ». Et Marc de décrire un peu plus en détail le genre de « traditions » que pratiquent ces gens-là.

        Ils pensent en effet défendre et respecter des traditions, la « tradition des anciens ». Dans les faits, eux-mêmes et leurs prédécesseurs ont simplement extrait des Ecritures, voire de certaines interprétations des Ecritures, des pratiques qu’ils ont érigées en rituels et qu’ils ont canonisées. Plus moyen d’être un Juif authentique sans faire ainsi. Mais les « anciens » n’ont jamais fait ainsi…. Qu’importe ! Comme le répond Sétoc à Zadig qui s’indigne de la pratique du bûcher où les jeunes veuves doivent se brûler elles-mêmes, « Qui de nous osera changer une loi que le temps a consacrée ? Y a-t-il rien de plus respectable qu’un ancien abus ? » (Voltaire, Zadig, ch.XI). Car l’ancienneté donne beaucoup de valeur à un rite, aux yeux d’un ritualiste ; mais pour qui fait usage de l’esprit, que ce soit l’intelligent ou le spirituel, l’antiquité d’une pratique est de peu de poids, car l’esprit est vivant, toujours actuel, toujours nouveau.

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     En fait, le rite a une double dimension, inclusive ou exclusive. Il peut servir à inclure les personnes ou à exclure des personnes : c’est une question d’accent. Et les ritualistes se distinguent souvent par l’accent exclusif : le rite devient toujours plus détaillé, toujours plus précis, toujours plus difficile à réaliser en perfection. Toujours moins nombreux sont ceux qui le font « comme il faut ». Il porte en lui-même une surenchère, visant à faire apparaître ceux qui le pratique comme toujours plus zélés. C’est une impasse, et c’est un centrement sur soi. Historiquement, le grand siècle de la liturgie, la période où se sont élaborées le plus grand nombre des rituels catholiques en Occident, les VI°-VIII° siècles, correspondent aux âges les plus obscurs de l’histoire de la spiritualité. Il semble que l’un chasse l’autre. Et cette tendance actuelle avérée me fait bien peur…

     La réaction de Jésus est d’ailleurs forte : en citant Isaïe, il dénonce le culte ainsi formé comme vain, vide. Creux. Sans âme. L’attention au rite, à la manière de l’exécuter, concentre sur l’homme, qui seul fait des rites. Par conséquent il détourne de l’écoute, qui est ouverture non conditionnée sur l’autre. Et il détourne forcément de Dieu, d’une écoute de Dieu. L’exemple qu’il donne, et que nos joyeux fabriquants de lectionnaire ont supprimé, est explicite : l’appel à la charité et la piété filiale envers ses parents se trouvent vidés de substance par une fausse piété qui déclare « sacrée » les moyens pour les secourir. Il faut toujours se méfier de cette catégorie du « sacré » : elle n’est pas évangélique. Ce sont toujours les hommes qui décrètent une chose « sacrée », et c’est la porte ouverte à tous les abus. La catégorie évangélique, c’est le « mystère », et c’est bien différent, irréductible au rite. Nous avons tous besoins de rites ou de rituels pour vivre : le tout est de ne pas les sacraliser, afin de les évangeliser et, le cas échéant, d’en changer.

     La conclusion de Jésus, que Marc lui fait répéter deux fois (c’est dire s’il tient à enfoncer le clou dans l’esprit de ses auditeurs ou lecteurs), c’est que c’est bien l’homme, son cœur, qui fait de l’impur. Non qu’il ne fasse que cela, bien sûr ! Mais rien de tout ce que Dieu a fait n’est impur : c’est une vraie perversion que de déclarer l’inverse. Et Jésus préfère tout simplement se tenir à l’ecart, pour finir, de ceux qui veulent se situer comme « à part ». Mais on sent que la partie n’est pas gagnée, quand dans la maison, les disciples eux-mêmes manifestent qu’ils n’ont pas compris. Combien le « religieux », l’attachement à la « religion », risque de nous détourner à notre insu de l’Evangile !…

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