Solidarité jusqu’au dernier degré : dimanche 13 janvier.

Lire le texte de l’évangile sur le site de l’AELF.

Pour situer le texte :

     Téléportatioooon ! Nous revoilà chez Luc. Qui plus est, dans un passage que nous avons, en partie du moins, déjà rencontré il y a peu, et je vais d’ailleurs renvoyer pour la première partie du texte d’aujourd’hui à ce commentaire récent (Justice sociale urgente : dimanche 16 décembre.). Il faut tout de même situer le passage d’aujourd’hui, entreprise malaisée parce que nous avons un découpage qui, pour parler franc, se rapproche du « bidouillage ».

     Nous sommes dans la partie inaugurale de l’évangile de Luc : le premier temps en a été constitué par l’inauguration du ministère du Baptiste, le deuxième temps, où le Baptiste rend témoignage à Jésus tout en niant être lui-même le messie, s’achève avec son arrestation. C’est à ce deuxième temps qu’appartient le début du passage d’aujourd’hui, mais en l’amputant d’une part de l’aspect « terrible » de l’annonce du Baptiste (qui attend et annonce un grand jugement), d’autre part du récit de l’arrestation de ce même Jean-Baptiste. Cela laisse croire que Jean-Baptiste est présent lors de la scène suivante, ce qui n’est pas le cas !

     Le troisième temps suit avec le récit, central, du baptême de Jésus (Jean-Baptiste n’y est pas mentionné, et pour cause !) ou, pour être plus exact, d’une scène qui a lieu APRES son baptême, sans précision de temps. C’est la fin du passage d’aujourd’hui, les quelques lignes que je voudrais commenter. Un quatrième temps présentera Jésus avant tout par sa généalogie ascendante en écho à la présentation faite par le Baptiste aux foules dans la deuxième partie puis un cinquième temps montrera Jésus au désert, en écho à Jean-Baptiste au désert.

Mon modeste commentaire :

     « Or il advient, devant le fait que le peuple sans exception ait été plongé et que Jésus s’étant plongé demeure priant, que le ciel s’ouvre… » Il advient, c’est un évènement qui survient dans le temps, un évènement qui a un avant et un après, ou peut-être qui constitue lui-même un avant et un après. On ne sait pas bien quand cet évènement survient, on sait juste que les évènements précédents sont révolus ou accomplis, à savoir : que Jean-Baptiste a préparé le peuple, qu’il a fait résonner sa prédication, qu’il a annoncé l’imminence d’un terrible jugement, et qu’il a lui-même été arrêté par Hérode.

     On peut même dire que le ministère de Jean-Baptiste ne pouvait pas aller plus loin, et c’est une circonstance que Luc précise : le peuple tout entier a été baptisé : le grec [hapas] signifie une totalité sans exception, il peut même signifier tout un chacun. C’est dire si Luc nous montre l’accomplissement parfait de la mission de Jean. Il clamait « un baptême de conversion pour la rémission des péchés« , une invitation à se plonger dans un changement d’orientation de vie, avec une libération eu égard aux fausse pistes suivies. Et voilà : le peuple tout entier est désormais dans cette nouvelle résolution, cette nouvelle orientation, au point qu’il n’y a pas d’exception. La suite de l’histoire nous montrera que tel n’est pas le cas, alors que veut nous dire Luc ? Il me semble qu’il veut simplement dire que Jean ne pouvait pas faire plus que ce qu’il a fait, et qu’il y a désormais un nouvel état du peuple grâce à son action et à sa parole.

     Ce n’est pas la seule circonstance notée par Luc : « et Jésus a été plongé et prie.. » On ne sait pas si c’est bien Jean-Baptiste qui l’a baptisé, d’après les seuls mots de Luc : il nous dit seulement que cela a été fait. Bien sûr, cela a pu être fait par le Baptiste avant son arrestation, le temps verbal permet cette chronologie. Mais la forme du verbe peut laisser penser autre chose aussi : si c’est bien une forme passive, quelqu’un d’autre a baptisé, plongé, Jésus. Ce peut-être Jean, ce peut-être un homme inconnu, si un groupe a pris sa suite (on peut imaginer que la pratique rituelle se perpétue après lui, sans son irremplaçable voix : que des personnes, indifféremment les unes ou les autres, se dévouent pour permettre la continuation du geste), ce peut être aussi un « passif divin », une manière de dire sans le nommer que c’est le dieu qui agit lui-même. Mais s’il faut plutôt interpréter la forme du verbe comme moyenne (une particularité du grec), on pourrait traduire Jésus s’est plongé et prie. C’est possible aussi : on peut très bien imaginer, après l’arrestation du Baptiste, que des personnes continuent d’aller au Jourdain et se plongent elles-mêmes dans le fleuve pour se marquer à elles-mêmes qu’elles choisissent de réorienter leur vie. Ce serait même une belle intériorisation du rite.

     Il y a une autre précision concernant le seul Jésus, c’est qu’il prie. [prosséoukhomaï], c’est adresser une prière, et plus abstraitement adorer, prier, supplier. Dans la circonstance, Luc nous montre tout un peuple, et Jésus au milieu de ce peuple, de manière totalement anonyme pour tous ceux qui l’entourent, il n’y a personne pour le reconnaître ou l’identifier. Et pourtant, un Jésus un peu à part, car son « baptême » n’est pas tout-à-fait celui de Jean, ne s’est pas passé tout-à-fait comme pour la plupart des autres. Il faut voir là l’écho, pour la première génération chrétienne, d’une réaction de grande réticence devant cette scène du baptême, que Luc choisit de ne même pas nous montrer (puisque dans sa narration, c’est déjà fait). En effet, le baptême proclamé par Jean invite à la « rémission des péchés », qui est tout à la fois remise de dettes et libération vis-à-vis de fausses pistes suivies, libération parce que ces fausses pistes entraînent des conséquences, entraînent un poids de vie. Mais cette première génération chrétienne voit en Jésus celui qui est sans péché, celui dans le rapport au dieu duquel n’est aucune ombre, rien à reprendre. C’est presque un scandale qu’il soit baptisé ainsi !

      Alors pourquoi l’a-t-il fait ? Pourquoi, sinon par une solidarité poussée jusqu’au bout, une solidarité qu’il n’est pas possible de pousser plus loin ! S’il n’est pas personnellement comptable d’une quelconque fausse piste et de ses conséquences, il veut s’en faire collectivement comptable, il se fait solidaire  de toutes les fausses pistes suivies. Il partage la vie de cette humanité marquée par les fausse pistes, cette humanité qui cumule le poids des conséquences de celles-ci, cette humanité blessée, déchirée, secouée, malmenée. Parfois, quand on veut changer de vie, on pense que ce serait plus facile si les autres se comportaient mieux, on constate que c’est presque impossible étant donné les comportements qui nous entourent. Eh bien lui assume ces comportements  déviants, lourds du poids de tant de fausse pistes, il engage sa vie dans une relation sans ombre avec la divinité, non pas en se retirant de ce monde de conflits, de relations biaisées et blessées, de ce monde qui perpétue blessures et conflits, mais au contraire en s’y engageant tout entier.

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      Il me semble qu’il y a là une parole d’une brûlante actualité. Beaucoup de mouvements religieux, aujourd’hui, ont à l’égard du monde une attitude très négative. Le monde, c’est ce qu’il faudrait quitter, ce qui est condamné et condamnable, ce qu’il faut fuir. Pour vivre selon Dieu et avec lui, il faut se retirer de ce monde, et souvent se refaire à part un monde plus « selon Dieu ». Et c’est une porte ouverte à tous les extrémismes, quelques soient les manières dont ils nomment ce dieu. Mais aujourd’hui, Jésus fait exactement le contraire, il pose sa relation au dieu, sa relation sans ombre (marquée par cette précision de Luc : « priant »), il la pose au milieu de toute cette humanité, sans s’en abstraire, au contraire. Et pour la soulever, pour la transformer, avec le pari fou que la communication entre lui et tous sera à double sens, que ce qui vient de lui aux autres passera aussi, et ne sera pas anéanti par le poids des fausses pistes et de leurs conséquences. Ainsi, grâce à lui, chaque fois que nous choisissons non le rejet ou la fuite à part, mais la solidarité pleine et entière, chaque fois que nous côtoyons ces gens de la rue, ces prisonniers enfermés, ces migrants rejetés, toutes ces personnes mal considérées et souvent rejetées, c’est le même « miracle » qui se produit.

     Et en effet, dans la formulation un peu lourde mais choisie de Luc, c’est bien « devant ce fait« , devant cette solidarité sans faille, devant ce choix fou, que se produit l’évènement, à savoir que « le ciel s’ouvre » : [anoïgô], c’est ouvrir une porte, ouvrir à quelqu’un, retirer un verrou, décacheter un sceau et au sens figuré, révéler. Et je pense qu’il faut prendre ce verbe dans ces deux sens à la fois : cette solidarité profonde avec l’humanité blessée ouvre la porte d’un rapport vrai avec le dieu du ciel, en même temps qu’elle ouvre le ciel à l’humanité, mais aussi elle révèle le vrai visage du dieu du ciel, qui est un dieu en pleine terre.

     L’évènement ne s’arrête pas là, le texte continue : « …et descend l’esprit, le saint, sous forme corporelle comme si une colombe [était] sur lui,… » A la plongée de Jésus dans l’humanité blessée, divisée, conflictuelle, répond la plongée de l’esprit sous forme corporelle : c’est dire si le dieu est « en pleine terre », s’il investit la corporéité, avec ce qu’elle a de révélateur et de communicateur. Même l’esprit a un visage désormais. La colombe, on le sait, c’est un des rares animaux qui est spontanément anthropophile, peut-être le seul avec le dauphin ? Et voilà, l’homme est aimé, cet homme blessé, ce peuple humain si remuant, si dérangeant, si plein de contradiction et de maux. Le dieu, l’esprit de dieu, le rejoint spontanément. Par le fait de la solidarité choisie de Jésus avec elle.

     « …et une voix hors du ciel advient disant : Toi, tu es le fils à moi, l’aimé, en toi je suis pleinement satisfait. » Une voix, un cri, un chant peut-être (c’est le même mot [phônè]) sort du ciel. Tout sort du ciel, il n’y a plus rien dans le ciel, tout est sorti à la rencontre et pour demeurer avec l’humanité comme elle est. Elle advient, cette voix, comme en écho à ce qui advient au début du passage. Et que dit-elle, cette voix ? Elle trouve un interlocuteur, elle trouve à qui s’adresser et qui l’entend. S’adresse-t-elle au seul Jésus, ou bien à tous ? La distinction sans doute est vaine ici : elle s’adresse à tous parce qu’elle s’adresse à Jésus-au-milieu-de-tous. Et elle continue de s’adresser à tous chaque fois que nous vivons en solidarité. Elle indique à tous la relation dans laquelle s’engager, le terme relationnel à assumer pour s’inscrire dans la relation avec le dieu : tu es fils, sois fils ! Sous-entendu : et moi, je suis ton père. C’est dans cette relation père-fils que nous inscrivons notre échange. Et il s’agit bien du fils aimé, chéri, un amour dit avec ce mot oublié et délaissé par la langue grecque, [agapè], et pour cela ouvert à dire un amour neuf. Et cette parole source de toute paix : « en toi, je suis pleinement satisfait« . Le verbe est à l’aoriste, il énonce une vérité générale. On pourrait dire : quoi que tu fasses, je t’aime toujours, et c’est toujours ma joie d’être avec toi. On ne peut pas mieux dire l’amour inconditionnel du père pour son enfant. C’est un nouveau départ pour tous. La solidarité vécue et assumée pose chacun dans une relation filiale avec le dieu.

2 commentaires sur « Solidarité jusqu’au dernier degré : dimanche 13 janvier. »

  1. je voudrais revenir sur le commentaire de l’evangile du 6 janvier . bravo pour l’interview de Yoseph , l’actualisation du propos est un peu systématique mais cela s’y prète fort bien et renouvelle les commentaires habituels merci

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