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Je suis un vieux bonhomme. J’ai vécu bien des choses depuis que, dans ma jeunesse, j’ai fait cette extraordinaire rencontre avec l’homme qui a changé ma vie, et pas seulement ma vie : il a tout changé ! Oh, le monde est bien toujours le même, les hommes en général ont toujours les mêmes occupations et préoccupations, et pourtant j’ai la certitude qu’un monde nouveau a commencé. Et je ne cesse de regarder ce monde avec un regard neuf, un regard en renouvellement permanent. Et je suis heureux, je suis en joie, parce que je peux vous dire ce qui me tient le plus à cœur.
J’ai beau être vieux, très vieux même, je peux vous dire que je me sens toujours jeune, pas dans mon vieux corps, mais… dans mes yeux ! Parce qu’il n’a jamais cessé de me surprendre, ce Jésus. Il me surprenait dans ce qu’il disait, c’était tellement nouveau ! Il me surprenait dans ses gestes, dans ses actions. On ne savait jamais ce qu’il allait faire, il n’y avait que lui qui savait bien ce qu’il allait faire, et il avait l’art de le mettre en scène, il savait bien qu’il allait surprendre et il le préparait… Il m’a surpris par sa mort, je ne pensais pas que ce serait aussi terrible. Et il m’a surpris parce que ce n’était pas la fin ! Soudain il était de nouveau là, au milieu de nous ! Il s’est fait voir… et après on ne l’a plus vu. Et c’est la nouvelle surprise : il avait dit qu’il reviendrait. Enfin, c’est ce que tout le monde avait compris : comme nous n’avions pas compris qu’il allait partir, ou comment il fallait comprendre cela, personne n’a vraiment retenu les mots qu’il a dit à propos de « retour ». Mais nous étions tous convaincus que c’était imminent. Maintenant, je pense que ça va durer. Il y en a parmi les nôtres, qui font courir le bruit que moi, le vieux Jean, je ne vais pas mourir avant son retour. Les chers enfants ! Bien sûr que je mourrais, comme les autres… et comme lui, surtout : c’est ça, le truc.
C’est aussi pourquoi je me suis mis à écrire, alors que j’étais déjà vieux. Marc, Matthieu et Luc avaient déjà écrit leur évangile, je les ai lus. Tous les nôtres les ont lu. Et je n’ai rien à leur ajouter, sinon parfois quelques précisions qui ne sont que des détails concrets mais qui me semblent tellement parlants, qui font tellement signe ! Mais j’ai surtout voulu partager le fruit de la longue méditation que, ma vie durant, j’ai menée, en choisissant certains signes, justement, pour les approfondir, et puis en organisant tout l’ensemble afin de faire réfléchir, de créer des jeux de miroir qui révèlent.
L’essentiel, la clé, je l’ai mise au début pour qu’on la garde en tête tout le temps : tout ce qu’il a dit, tout ce qu’il a fait, tout ce qu’il a accompli, tout parle au nom de Dieu et montre à quel point il est un fils, son Fils, et que Dieu par conséquent est un Père. Jésus, cet homme qui m’a aimé et que j’ai aimé, est la Parole même, la Pensée même de Dieu, qui s’est encharné (pardon, je suis obligé de forger des mots nouveaux, mais c’est sa faute ! Il faut bien essayer de dire la nouveauté…). Tout ce qu’il a fait, la moindre chose, a une portée infinie, c’est cela que je voudrais dire. C’est lui, le vrai commencement de tout. La Bible commençait par « Au commencement, Dieu créa le ciel et la terre. » Ça m’a donné l’idée de commencer par « Au commencement était la Parole », et ça m’a même donné une autre idée : c’est de retarder la première semaine, les sept premiers jours, pour les placer après mon message-clé du début. Pour suggérer dans les sept premiers jours de Jésus la nouvelle création.
Et au bout de la semaine, comme un nouveau Sabbat, j’ai placé la première manifestation publique et puissante de Jésus. Le septième jour, si on lit bien le récit de la première création, c’est le jour du repos de Dieu : mais attention, mes enfants chéris, ce repos, ce n’est pas « rien faire ». Jésus l’a souvent dit aux Responsables,… qui pour autant n’ont jamais entendu cela. Pourtant, en hébreu, il s’agit bien d’une nouvelle activité de Dieu, inconnue, et comme gardée en réserve. Ce septième jour, c’est un secret gardé, comme pour faire une surprise : il y a la création de ce monde, et puis il y a encore un nouveau monde en attente, en gestation, et c’est cela qu’il faut célébrer par avance. Eh bien ! Pour moi, la manifestation de Jésus, c’est cette nouveauté même, le secret gardé depuis le début. Et puis, hi hi hi ! j’ai eu une autre idée : en racontant la première semaine, je n’ai rien dit après le quatrième jour, j’ai sauté directement au septième. Comme ça, mon récit du huitième jour commence par « Le troisième jour… » et forcément vous avez tous compris pourquoi, puisque ce troisième jour où il s’est relevé est le plus grand de nos jours, et c’est peut-être là que le franchissement entre ce monde et le nouveau monde a été fait par lui pour nous
Le début de sa manifestation a été racontée à peu près de la même manière par mes trois frères : son baptême, son passage au désert, puis ses premières prédications en Galilée. Pour faire réfléchir sur le fond, j’ai choisi un autre moment, j’ai tout fait commencer en Galilée, oui, mais pas autour du lac, en plein milieu, à Cana, comme il est venu vraiment au milieu de nous. Et j’ai choisi un mariage. [gamos], il me plaît ce mot : c’est la fête du mariage, avec tout son beau rituel et sa durée de huit jours chez nous, les Juifs. Vous voyez bien, mes chers enfants, encore ce chiffre, encore cette création tout entière résumée dans le mariage et qui mène jusqu’au monde nouveau ! Mais c’est d’abord un mot qui veut dire « union », avec le sens d’intimité. Et il m’a semblé qu’il y avait là un extraordinaire jeu de miroirs : l’union d’un homme et d’une femme dans l’intimité de leur vie et de leur chair, union qui se fait parce que chacun donne sa parole ; l’union de la Parole avec toute chair. Ah oui ! Pour moi, vraiment, la parole que se disent les époux, celle qu’ils s’échangent tout au long de leur vie, celle qui est constituée pour les autres par leur union qui se construit, cette parole c’est celle qui se fait chair. C’est Jésus qui est là, au milieu de nous, encore maintenant. Je ne pouvais pas mieux commencer que par cet évènement où la parole se fait chair… C’est pour cela aussi que j’ai indiqué que la mère de Jésus était là : c’est elle en qui il a reçu d’exister à ce monde !
Alors dans mon histoire, c’est un mariage où la mère de Jésus est invitée, c’est elle qui connaît les mariés, et du coup on invite aussi Jésus et ceux qui sont avec lui, comme on fait chez nous : ce n’est pas ces jour-là qu’on est regardant aux invités. « Jésus est appelé au mariage, et aussi ses disciples », je l’ai écrit en toutes lettres. Parce que j’ai en tête toutes ces unions que je viens d’évoquer : ces unions intimes et particulières, mais aussi l’union de tous les hommes, et l’union de Dieu avec les hommes, tout cela. Quelle aventure, quelle grandeur, le mariage !
Et voilà que le vin vient à manquer, il fait défaut. Une noce sans vin, ce n’est pas drôle. Le vin, c’est d’abord un sol, dans sa profondeur, c’est un terroir; mais le vin, c’est aussi une exposition à la lumière, une orientation, c’est aussi une saisonnalité, une météorologie, c’est le temps. C’est un cépage aussi, et même parfois plusieurs. Et puis le vin, c’est un soin méticuleux, des interventions choisies et mesurées au bon moment, c’est un savoir faire de jardinier, c’est un compromis de l’homme avec le temps. C’est une œuvre joyeuse et collective, une vendange avec des consignes et des fonctions. Et le vin, c’est encore un élevage, une attente, un savant mélange avec des dosages précis de cuisinier, de chimiste. Le vin c’est un émerveillement, c’est un enfantement : on ne sait jamais quel sera son visage, sa personnalité. Le vin, c’est un résumé aussi de la création. Alors s’il en manque, à un mariage justement, ce n’est plus la fête, c’est triste. Pour le père du marié qui invite, c’est la honte. Et c’est comme un mauvais présage, c’est une ombre jetée sur la vie du nouveau couple, qui sera peut-être sans joie, fade, incolore, inodore et sans saveur comme de l’eau…
Sa mère -qui voit tout, c’est une femme et une maman- l’a averti le plus simplement du monde. Pas besoin de lui dire quoi faire, et puis elle n’est pas comme ça, elle sait bien qu’il fera au mieux. Lui, ça l’a remué, d’abord : quand elle lui demande quelque chose, il entend toujours le maximum, parce qu’il veut donner le plus possible, toujours. « Mon heure n’est pas encore venue« , il a tout de suite pensé à rendre la joie au monde entier, à rendre possible la joie de l’union définitive des hommes avec Dieu. Finalement, il ne fera pas tout de suite cela, mais c’est la marche et le grand ébranlement vers ce but qui va tout de même commencer là. Sa mère, elle, tout tranquillement, l’a laissé avec ça et est passée vers les serviteurs : « Quoi qu’il vous dise, faîtes ! » Et puis elle ne s’est plus occupé de rien. Je vais vous dire : pour moi, les serviteurs, ce sont tous ceux qui veulent œuvrer à la joie du monde. Et dans le mariage lui-même, ce sont les deux époux l’un pour l’autre : chacun veut faire la joie de l’autre, non ?
Les serviteurs se sont approchés discrètement de ce jeune homme qu’ils n’avaient pas remarqué, dans la foule des invités, et ils ont attendu. Jésus a cherché des yeux. « Or il y avait là des jarres de pierre » ces grands vases qui servent autant à puiser qu’à conserver, solides mais excessivement lourdes, en pierre comme ces cœurs qui ne s’ouvrent pas à la joie. Il y en avait « six« , sept moins un, comme la création sans son secret final, comme un monde qui n’aurait pas de sens, comme un mariage qui ne mènerait à rien. Elles étaient « posées pour la purification des Juifs » parce que dans ce monde sans joie, on passait sa vie à se purifier de tout, comme si tout ce qu’il y avait dans le monde et même les autres pouvait nous contaminer. Chacune contenait environ cent litre : six cent litres, donc, de quoi constituer environ huit cent bouteilles, mais pardon, j’anticipe.
« Il leur dit : Remplissez les jarres d’eau. » Et les serviteurs de s’exécuter, sans discuter. Un travail harassant qui leur a pris un temps considérable : il fallait aller au puits, puiser loin dans les entrailles de la terre (on n’est pas au bord du lac, à Cana), puiser profond, porter ensuite jusqu’aux jarres de pierre sans rien perdre ou le moins possible, bien viser et remplir. Tout ça avec de l’eau, ce qui ne réglait rien quant à ce manque de vin. Et pourtant, ils ont fait tout ce qu’il leur a dit. Le pire, c’est que quand ils avaient terminé, ils sont retournés discrètement auprès du jeune homme dans la foule des invités, et il leur a dit ce mot cruel : « puisez maintenant et portez au maître-du-repas. » Puisez ! Ils venaient de le faire, il fallait recommencer ! Et il leur a dit avec un mot, [an’tléô], qui veut dire écoper, vider ce qui est au fond, et même épuiser les chagrins de la vie ! Ce n’était pas la joie ! Et il n’y avait pas de délai, c’était là, maintenant, tout de suite ! Et pour eux le risque était complet ! Pensez : le problème c’était le manque de vin, il y en avait encore dans certains verres, mais personne ne les avait ré-emplis. Apporter de l’eau à celui qui présidait, c’était annoncer qu’il n’y aurait désormais plus que ça. Et le faire sans l’ordre du marié ou de son père, c’était prendre le risque d’une punition proportionnée -voire disproportionnée.
Mais ils le font, et le Maître du festin goûte le vin, digne d’un excellent maître de chais, et s’étonne, et il interpelle le marié en lui disant qu’il n’est pas comme les autres qui servent le meilleur vin au début, tant que les invités ont encore les papilles en alerte, puis du moins bon quand les sens commencent à être engourdis. Non, le meilleur est pour la fin ! Alors c’est ça la signe que je voulais mettre en valeur : le meilleur est pour la fin ! On ne perd pas à attendre, on ne perd pas avec Jésus, le meilleur est pour la fin. Le monde nouveau est meilleur que l’ancien, on ne perd pas à l’attendre.
Et puis il y a les serviteurs : ceux qui veulent travailler à la joie du monde, à rendre sa joie au monde, à l’avènement de ce monde de la joie, d’une joie meilleure et encore inconnue. Ces serviteurs de tous, des autres. Ces époux l’un pour l’autre. La joie risque toujours de s’épuiser, nos réserves sont limitées. Ce que le maître commande, c’est d’aller puiser, puiser profond, puiser au fond de soi, avec effort. Ne pas rester superficiel. Et aussi, oser le répétitif, ce qui est toujours pareil, ce qui n’apporte qu’une goutte ou qu’un seau dans une immense cuve. Ce qu’on trouve au fond de soi, dans ce quotidien répétitif, ce n’est rien d’autre que de l’eau, ça n’a pas de saveur, c’est atrocement banal. Et l’ordre apparemment cruel du Maître (le vrai mais pourtant anonyme et caché), c’est de porter de cela à l’autre, aux autres. Si on ose le faire, l’autre (dans le couple) ou les autres (dans un service plus large) goûteront… un vin meilleur que le premier. Personne ne sait comment cela se fait, les serviteurs savent juste d’où cela vient. Voilà le signe. Pour moi, le nouveau monde se manifeste d’abord par là, toujours, à chaque moment du temps.
Cher lecteur, aujourd’hui c’est la 100° ! J’espère que mon vin s’améliore au fil du temps, et qu’il contribue à votre joie !
Merci pour ce commentaire, surprenant dans sa forme, très intéressant par la remise en situation dans l’évangile de Jean. Mais pourquoi ce choix de Véronèse ? La place centrale de Jésus ? Tous les symboles « cachés », l’agneau égorgé au dessus de Jésus qui préfigure le sacrifice à venir, Marie avec son voile noir ?
Et bravo pour le n° 100 !
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Ce que j’ai vu dans ce tableau, c’est d’abord une scène de fête et de joie, avec des musiciens : si on boit et qu’on chante, quelle joie ! …et aussi une foule nombreuse -donnant bien à voir à combien il fallait donner à boire ! Et puis j’ai vu, mais moins visibles, des serviteurs de cette joie. Et encore moins visible (heureusement qu’il l’a mis au milieu, sinon c’etait où est Charlie ?), Jésus. Peut-être d’autres verront-ils autre chose ? Et l’ecriront-ils… ?
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