Le texte de l’évangile, sur le site de l’AELF
Je me propose cette fois-ci, et dans les temps qui viennent, une réflexion plus courte nécessitant moins de recherche : les vacances sont nécessaires … J’espère, cher lecteur, que tu me comprendras, voire me pardonnera !
Notre texte d’aujourd’hui fait presque suite à celui de dimanche dernier. Pas directement cependant : « Ne pensez pas que je vienne jeter la paix sur la terre : je ne viens pas jeter la paix mais l’épée ! Car je viens disjoindre homme contre son père, fille contre sa mère, épouse contre sa belle-mère. Ennemis de l’homme, ceux de sa maison ! » Ces mots ont-ils fait peur ? Ont-ils été censurés pour violence ? Leur absence crée néanmoins une tout autre approche des mots qui nous sont proposés aujourd’hui. A les lire, on comprend qu’il faut envisager les mots lus dans un contexte paradoxal, celui d’une contestation consciente. Il y a dans la parole de Jésus une force de contestation des liens établis, un pouvoir de pénétration jusque dans les liens les mieux établis.
Le texte qui nous est proposé est en fait, une fois de plus, un ensemble de « dits » réunis comme il le peut par Matthieu. Nos auteurs d’évangiles disposaient manifestement de plusieurs paroles brèves, retenues (jusqu’à quel point d’exactitude ?) par les auditeurs parce qu’ils en avaient été frappés. Ou peut-être simplement attribués à Jésus. Nous cherchons donc à comprendre ces paroles à partir du contexte construit par Matthieu : peut-être pourrions-nous le faire sans référence à celui-ci, mais cela me semble moins sûr. J’aime mieux m’appuyer sur Matthieu, dont nous savons qui il est et ce qu’il veut, que sur un auteur inconnu, dont on ne pourrait savoir quelle importance lui donner vraiment. Et s’il ne faut surtout pas fermer les yeux sur la manière dont les évangiles sont composés, c’est tout de même leur état final qui nous intéresse !
Il y a trois ans, j’avais insisté à propos de ce passage sur son aspect familial, très présent. Cette fois-ci, je suis frappé par la récurrence de la formule « …n’est pas digne de moi« . Jésus est souvent avec ceux qui sont frappés d’indignité aux yeux des autres, pour leur redonner confiance et les valoriser. N’est-il pas étonnant qu’il emploie alors de tels mots, et comme un refrain ? C’est le mot [axios] qui est utilisé ici, et qui signifie d’abord « qui entraîne par son poids« . Ce sens de base entraîne les autres significations : avoir de la valeur (d’où notre « axiologie »), être digne de, méritant… Cela voudrait dire alors que, pour Jésus, ne pas l’aimer d’un amour préférentiel, ne pas prendre sa croix et le suivre, n’entraîne pas par son poids ; que le disciple, s’il n’est animé de cette façon, ne peut jouer son rôle de disciple c’est-à-dire entraîner par son seul « poids » de disciple. Cela me parait poser les choses autrement, non dans un jugement de valeur personnelle, mais plutôt dans une analyse du rôle joué par le disciple.
Et cette préférence, quelle est-elle ? Elle est d’abord de préférer le Christ à son père ou sa mère. La chose n’est pas impossible. Un tel amour est même déjà établi, « l »homme quittera son père et sa mère, il s’attachera à sa femme, et ils seront, de deux, une seule chair. » L’amour conjugal est déjà cet amour de préférence, où l’attachement est supérieur à celui pour ses parents. Il n’est pas toujours vécu ainsi, et c’est peut-être aussi pour cela que le texte de la Genèse l’expose ainsi : un rappel est parfois nécessaire. Mais quand on préfère sa femme ou son mari à ses parents, aussi déstabilisant que puisse apparaître la situation, on est « dans le ton » ! Que tirer de ce constat ? Pour moi, j’en tire que quand j’essaye d’aimer ma femme plus que mes parents, lorsqu’il faut choisir et marquer clairement sa préférence, je fais aussi un choix de disciple. J’en tire que quand je choisis ma femme, je choisis le Christ. Et quand elle fait de même, elle choisit le Christ. Quand je lui dis « je t’aime », c’est aussi mystérieusement au Christ que je fais cette déclaration. Et quand elle me dit : » je t’aime », c’est aussi le Christ qui me fait une déclaration d’amour. Cette conviction se renforce du fait que, dans notre petit texte complété, l’amour conjugal n’est jamais mis en balance avec rien.
Mais nous lisons aussi : « Qui aime fils ou fille au-dessus de moi n’est pas digne de moi. » Voilà qui m’interroge bien plus, et à cause même de ce que nous venons de voir ! Car, dans le texte biblique, « … ils seront, de deux, une seule chair » désigne clairement et premièrement l’enfant. Comment le fruit et le prolongement et l’incarnation de l’amour précédent pourrait-il être mis en balance avec l’amour pour le Christ ? Je dois dire que je ne vois pas. Je ne vois pas de situation où les deux s’opposeraient, entreraient en conflit. Je vois juste, à force de me creuser la cervelle, un fait, c’est qu’il est parfois difficile de faire été de sa foi devant ses enfants pour justifier de telle ou telle prise de position, de tel ou tel choix. Surtout s’ils ne partagent pas ce même point de vue. On peut aimer mieux le consensus familial plutôt que de poser sa foi en terrain mouvant. On n’aime pas, avec ses enfants, risquer la division. Peut-être ce qui est dit ici est-il que le vrai disciple, sans faire de grands discours ou exhorter juché sur un tonneau, ose faire même avec ses enfants des choix risqués, des choix qui le révèlent, qui manifestent son cœur. Je crois que c’est surtout cela qui est difficile : on a sa pudeur, peut-être surtout avec ce que l’on a de plus profond en soi. Il est vrai, tout de même, que lorsqu’on est parents, se taire est une sagesse nécessaire : on ne mesure pas toujours le poids que l’on constitue, comme parents. La balance est difficile, mais peut-être ce texte nous rappelle-t-il que, parfois, dans certaines circonstances et avec mesure, parler est aussi nécessaire.
Reste le troisième « dit » : « Et qui ne prend pas sa croix et ne suit pas derrière moi, n’est pas digne de moi ! » Il me semble assez clair que la chose n’a pu être dite de la sorte à ce moment par Jésus : qui aurait compris ce dont il parlait avec « prendre sa croix » ? On l’aurait d’autant moins compris, que dans l’esprit de ses auditeurs, une fin tragique de ce genre était totalement écartée. Mais c’est justement à ce sujet que Pierre, un peu plus loin, se fera vertement rabrouer : Jésus évoquera pour la première fois sa passion et sa mort, et Pierre le prendra à part pour l’inviter à se ressaisir. C’est alors qu’il entendra : « Passe derrière moi, Satan ! » ou « sois celui qui suit, tentateur », et non celui qui me dicte ce que je dois faire. Le disciple est celui qui suit, qui marche à la suite. L’initiative appartient à celui qui trace la route, le disciple marche avec lui, à ses côtés, mais sur une route qu’un autre trace. Voilà cependant que cette route sera connue, au moment par exemple ou écrit Matthieu, comme passant par la croix. Alors, oui, ce mot prend sens.
Le moment où Jésus a pris sa croix, c’est un moment assez bref. Il a été condamné à la croix au prétoire, par l’officier romain qui seul en avait le pouvoir, et jusqu’au lieu du supplice, il a porté la traverse sur laquelle on le fixerait avant qu’on n’élève cette même traverse pour la poser sur le poteau fixe toujours sinistrement dressé. Ce moment a été celui du mépris par la foule entière, une fois la condamnation prononcée dans l’espace judiciaire où peu sont admis, et avant que certains ne ressentent une certaine compassion pour le supplicié. Porter sa croix, c’est être contraint à participer à son propre supplice, au milieu des invectives et du rejet par tous. La barre est haute. Le disciple est clairement mis au pied du mur : pas plus grand que le maître, il suivra un itinéraire semblable. Saura-t-il préférer son maître à sa propre réputation, à ce que l’on pense de lui ? Il n’est pas facile de faire des choix forts, dictés par sa foi, lorsqu’on perd à cause d’eux ses relations, son statut, sa position sociale. C’est cher payé. Mais l’évangile attend un amour qui grandisse jusque-là et fasse les choix radicaux s’ils se présentent.

Voilà les quelques modestes réflexions que m’ont inspirées ce passage, ou du moins le début de ce passage d’aujourd’hui. J’espère que chacun pourra à son tour s’interroger (et, pourquoi pas, partager ? 😃) sur ce que lui inspire ce passage, peut-être dans une direction tout-à-fait différente : c’est la liberté de l’esprit !
J’ai un peu de mal à philosopher sur le seul début de ce texte … sinon, aucun espoir, nous sommes et resterons « indignes de Jésus ».
« Réussir sa vie » ? Avoir de beaux enfants, une famille unie … Si nous limitons nos « ambitions » à cette vie terrestre, nous ratons notre but ultime qu’est la résurrection, et dans cette perspective divine, notre vie reste stérile, elle s’inscrit mal dans le projet de Dieu, elle en est « indigne ».
Si nous accueillons Jésus, la récompense sera de porter du fruit, de participer à sa résurrection.
Cette semaine, je vois une certaine cohérence entre les textes proposés qui s’éclairent un peu …
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