Aimer est plein d’implications : dimanche 25 octobre.

Le texte de l’évangile, sur le site de l’AELF.

Précédemment, dans un autre commentaire, j’ai essayé de situer le texte que nous retrouvons aujourd’hui et de faire ressortir l’importance de la question posée : en faisant de l’amour le « plus grand commandement », Jésus en fait la mesure de tous les autres, c’est-à-dire de toutes nos façons de vivre, de tous nos choix, de tous nos actes. Je voudrais ajouter à cela quelques observations qui me viennent pêle-mêle, au gré de l’actualité ou de mes rencontres.

Le commandement d’aimer en écarte bien d’autres, notamment ceux de « protéger » ou « défendre ». J’entends beaucoup ce thème répété, qu’aimer c’est protéger. J’avoue que je n’en suis pas si sûr. Protéger est toujours un acte de puissance : s’il peut subvenir à une faiblesse chez un être aimé, il peut aussi perpétuer celle-ci, et c’est une affaire fort délicate que de faire en sorte de ne pas maintenir dans la faiblesse la personne que nous prétendons protéger. Nous sommes en fait comme de frêles arbrisseaux qui grandissons avec des arbres déjà grands : bien forts et bien proches, les grands arbres protégeront l’arbrisseau du vent, de sorte qu’il poussera bien droit ; mais en ce cas, ils lui prendront aussi un grande part de la lumière, et l’arbrisseau restera peut-être toujours petit. Plus faibles ou plus éloignés, les grands arbres ne protégeront peut-être pas assez l’arbrisseau, qui pourrait être brisé ou déraciné par le vent, ou encore pousser tout tordu ; mais alors il ne manquera pas de lumière et pourra s’élancer et devenir grand arbre. Ajoutons que, même tordu à la base, c’est l’élan vers la lumière qui redresse un arbre ! Bref, tout ceci est un savant dosage, pour lequel je crains qu’il n’existe aucune recette. Mais on voit que « protéger » n’est pas une recette, précisément.

Je pense aussi au commandement d’aimer dieu. Difficile ! C’est si vite fait d’aimer surtout l’image que l’on se fait du dieu -c’est-à-dire d’idolâtrer. Et du coup, on se ferme pour le plus haut motif qui soit à tout ce que ce même dieu pourrait faire pour se révéler un peu plus tel qu’il est ! Aucune évolution possible, j’aime ce « dieu »-là et n’en changerai pas ! Et ce n’est pas le seul risque : tous les fanatismes peuvent trouver là leur implantation. Le pseudo-amour de dieu, ou plutôt l’amour d’un pseudo-dieu, tourne au mépris de l’autre, dès lors qu’il ne voit pas le dieu sous le même angle ou de la même façon. Ce mépris peut être très « soft », sous la forme souriante d’une douce condescendance pour celui ou celle qui « n’en est pas encore là », sous-entendu « à ma hauteur ». Ce n’en est pas moins du mépris, puisqu’il n’y a pas d’estime réelle du chemin fait par l’autre et qui m’est inconnu à moi, dont j’aurais aussi à apprendre.

Ce mépris peut aussi prendre une forme bien plus terrible, et l’actualité la plus brulante nous le fait voir, quand il tourne à l’accusation de blasphème. « Ce que tu dis de dieu est intolérable ! Cela l’offense ! » Qu’en sais-tu, quand il dépasse infiniment tout ce que l’on pourrait en dire ? Je connais bien des « catholiques » qui pensent que notre cher professeur d’histoire décapité n’aurait pas dû montrer des caricatures parce que elles étaient blasphématoires. Qui pensent qu’on ne peut pas faire des caricatures avec des sujets religieux, parce que c’est blasphématoire. Mais si les caricaturistes ne faisaient que caricaturer les idoles ? Et c’est bien mon avis. Du reste, il me semble que depuis qu’un certain Jésus a été condamné pour blasphème, ceux qui revendiquent d’être ses disciples devraient s’abstenir totalement de cette accusation : on voit assez combien elle a fait de mal. Qui saura ce qu’un personne a dans le cœur en affirmant, par la parole ou l’art, une réalité dérangeante ? A vrai dire, c’est plutôt l’étroitesse d’esprit de ceux qui pensent tout savoir du dieu incompréhensible que le prétendu blasphème dénonce, et il le dénonce dans la bouche même de ceux qui lancent une telle accusation.

Une dernière petite touche, enfin, à propos de « tu aimeras ton prochain comme toi-même ». Ce comme est redoutable. Parce qu’il fonctionne à double sens. L’amour que tu te portes, l’attention que tu as pour toi, la priorité dont tu voudrais être l’objet : tout cela te dit à quel point l’autre mérite et attend d’être aimé. Mais aussi, l’attention que tu as pour l’autre, le souci que tu as de son bien-être, l’estime que tu as pour ses avis : tout cela te dit à quel point tu mérites aussi ta propre estime ! Ce « comme » établit une mesure, un équilibre, dont la tenue est bien difficile. Comme il est difficile, quand on vit à deux par amour -qu’on essaye, et c’est déjà beaucoup !- de s’accorder la même liberté qu’à l’autre. De ne pas s’oublier sous prétexte d’effort fait pour l’autre, avec le risque de peut-être s’autodétruire (ce qui est aussi un dommage fait à l’autre qui nous aime !). De ne pas non plus oublier qu’il y a un autre !

Mais ce « comme » peut aussi être une si beau repère de résolution de conflit : tu attends ceci ? Tu le mérites… comme moi ! Je voudrais cela ? Je le mérites…. et toi aussi.

Sieger Köder (1925-2015), Le lavement des pieds, musée d’Ellwanden, Bade Wurtemberg. Celui qui se penche le premier conduit l’autre à se pencher aussi. Et les pieds et le visage se confondent dans le même reflet.

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