Il faut que ça bouge : dimanche 7 février.

Le texte de l’évangile, sur le site de l’AELF.

J’ai commenté la première partie du texte de ce dimanche il y a trois ans, en essayant notamment de faire ressortir le parallèle entre la guérison de la belle-mère de Simon et la libération de l’homme à laquelle nous avons assisté la semaine dernière. Cela permettait je l’espère de sortir de l’image des « petits démons gardiens », parfaitement illustrés par Milou dans Tintin au Tibet ! Mais j’avais promis de m’occuper de la fin du texte trois ans plus tard : alors chose promise, chose due, nous voici arrivés à échéance…

Nous sommes le lendemain des évènements précédents : le passage à la synagogue, la libération de l’homme emprisonné, l’entrée chez Simon et la guérison de sa belle-mère, la venue au soir de tous ceux qui sont emprisonnés ou atteints de quelque mal. Et justement nous avons un premier contraste : les foules atteintes de maux en tous genres venaient après le coucher du soleil : ici, à l’inverse, nous sommes au petit matin, et même avant le lever du soleil, « de grand matin, alors qu’il fait encore nuit« . C’est classiquement, dans les Ecritures, le moment privilégié de l’action divine, ce sera chez Marc le moment de la visite au tombeau au moment de la Résurrection, « le soleil une fois levé » -ce qui suggère évidemment, puisque les femmes ne font que constater l’ouverture du tombeau et l’absence du cadavre, que l’évènement lui-même a eu lieu plus tôt, donc « alors qu’il fait encore nuit« . Le rapprochement est encore plus appuyé, de par l’usage du verbe [anistèmi], classiquement employé pour « ressusciter« . Comme si dès les moments inauguraux du ministère de Jésus, Marc avait voulu préfigurer la lutte contre les forces du mal, menée jusqu’aux ténèbres de la mort, et la puissance de résurrection au lendemain. Le lendemain, il n’y a plus tout cela, il n’y a plus ces maux, il n’y a plus cette immense humanité souffrante. En ces temps covidesques, c’est une belle lueur d’espérance.

En fait, quatre actions sont enchaînées : « il se lève, il sort, il part de là dans un lieu désert, et là il priait. » Se lever, nous venons d’en parler. Sortir, c’est toujours le même verbe qui est présent absolument partout dans ce passage et celui de la semaine dernière, que ce soit le verbe « sortir » lui-même, ou que ce soit à travers les usages très fréquents de la particule [ek] ou [ex]. La sortie est une action constante, sans cesse renouvelée. Là, il me semble que nous trouvons remède aux effets de nos couvre-feu et autres confinements : le grand risque, l’expérience même que nous faisons, c’est celle de l’enfermement et du repli. Le fait d’être physiquement contraints (et je ne prêche pas ici la désobéissance !) nous entraîne peu à peu à adopter aussi mentalement la même attitude : c’est cela le vrai danger. Combien il est important de réagir, d’entretenir cette énergie qui fait sortir, aller vers les autres, se préoccuper d’eux, apprendre du nouveau, s’ouvrir à de l’inconnu, etc. La lassitude, immense, nous guette.

Plus étonnante la troisième action, « il part de là dans un endroit désert » : est-ce lassitude de ces foules ? Est-ce étouffement ? En tous cas le contraste est saisissant, à quelques mots de distance, avec la scène de la veille au soir. Ici, des foules massées à la porte ; là, un lieu désert. Et le verbe dit très clairement qu’une réalité est quittée pour l’autre, qu’elles ne sauraient cohabiter, qu’il y a une volonté de ne pas rester dans ce climat-là. Peut-être que la préoccupation est avant tout de ne pas tomber dans le piège du succès, qui peut si facilement tourner la tête. Des foules qui viennent ainsi, l’effet de la réputation qui a commencé de courir sitôt les évènements de la synagogue de Capharnaüm, c’est beaucoup. Le succès a troublé plus d’un esprit. On le cherche tous, on a tous envie de voir des centaines de « like » dès qu’on publie quelque chose, on a tous envie de ce retour qui montre qu’on a fait du bien. Et peut-être est-ce trompeur, sans doute est-ce trompeur. Le « lieu désert » n’est pas tel ou tel lieu en particulier, on ne sait pas où c’est : on sait juste qu’il n’y a personne.

« Et là, il priait » : après une série de trois actions ponctuelles, énoncées comme ponctuelles, en voici une, finale, qui dure. On ne dit pas du coup qu’elle commence en ce lieu, ni qu’elle y finit : on dit simplement qu’il ne reste que cette action-là en ce lieu désert. On ne dit pas non plus ce que c’est que prier : et bien malin qui pourrait le dire. Peut-être est-ce indéfinissable : j’ai lu tant de choses à ce sujet, pénibles parfois, fort belles souvent, mais toujours si différentes, et si partielles dans le fond. J’en suis arrivé à l’idée que c’est tellement personnel, tellement propre à chacun, qu’on peut à peine dire en quoi cela consiste. Marc semble prendre ce chemin : pour lui, prier, c’est ce qui reste d’activité quand on est dans un lieu désert. Mais cette activité demeure sous-jacente par ailleurs, simplement elle ne paraît pas.

Du reste, cela ne dure pas : « Simon le poursuit-de-près« , le verbe dit clairement la poursuite (c’est l’idée de chasse, voire même de persécution !), augmentée du préverbe [kata-] qui évoque un mouvement de haut en bas, ou l’hostilité, ou tout simplement l’achèvement de l’action. En clair, Simon « et les autres avec lui » le poursuivent et lui « tombent dessus », il n’y a aura eu qu’un éclair de solitude. Mais cela aura suffit à Marc pour nous faire entrevoir cette attitude intérieure qui sous-tend toute l’action de Jésus, et nous faire entendre qu’il ne devient pas prisonnier de son succès, qu’il s’en libère lui aussi. Il libère les autres, mais il est en recherche de sa propre liberté aussi, et il se donne les moyens de la conserver ou de la faire grandir. C’est tellement important dans l’activité !

« Ils le trouvent et lui disent : tous te cherchent. » Ces quelques mots sont étonnants ! D’habitude, on cherche, et puis on trouve, dans cet ordre. Là ils le trouvent, et c’est pour dire qu’on le cherche. Mais peut-être est-ce une manière de nous faire sentir justement cela : qu’on ne l’a jamais trouvé au point de ne plus le chercher, bien au contraire. Saint Augustin dit quelque chose comme cela, à la fin de son « grand ouvrage » qu’est La Cité de Dieu : « Là où je te cherche, donne-moi de te trouver. Et là où je t’ai trouvé, donne-moi de te chercher encore. » C’est cela aussi, « sortir » : les découvertes, les certitudes, ce que l’on croit savoir, tout cela enferme aussi. Sortir, c’est aussi se libérer de cela et rester en quête. Ce qui sauve, c’est d’être en quête.

Du reste, c’est par là qu’il leur répond : « Allons ailleurs dans les villages immédiatement-à-la-suite, afin que là aussi je clame ; pour cela en effet je suis sorti. » Qu’on le cherche n’implique pas qu’il aille à la rencontre pour mettre un terme à cette recherche, au contraire. Ce qu’il veut, c’est la mise en mouvement. Puisqu’ici les gens cherchent, il est temps d’aller ailleurs, dans « un lieu autre« , qu’importe où à la limite, dès lors que c’est un autre. Les villages proches feront bien l’affaire, et de proche en proche on ira partout, ailleurs. Le participe parfait passif du verbe [ékhoo], « avoir« , peut bien signifier « immédiatement à la suite« , au sens de « ce qu’on a tout de suite après » : il pourrait aussi désigner plus basiquement encore « ce qu’on a« , les villages « qu’on m’a donnés, que j’ai reçus« . Il ira pour « clamer« , pour annoncer là aussi l’évangile. « Pour cela en effet je suis sorti » : on ne peut être plus clair. Il sort, pour que tous sortent. Décidément, le propos initial de l’évangile, celui qui est au cœur de l’action de Jésus dès ce premier résumé de celle-ci, c’est de mettre en mouvement. Et le mouvement, c’est la vie. Tout ce qui empêche le mouvement et la vie, il le fait disparaître. Et par son action et ses absences mêmes, il les favorise.

Michel-Ange, Le jugement dernier (1536-1541), Fresque 1370 x 1220, Chapelle Sixtine, Musées du Vatican. Au centre, le Christ met tout en mouvement : un geste du bras droit et tout monte à sa droite, un geste du bras gauche, et tout descend à sa gauche. Ceux qui sont précipités à gauche, ne bougent pas, ils sont restés et demeurent passifs. Tandis qu’à droite, même les morts se lèvent et trouvent un mouvement, une action.

Un commentaire sur « Il faut que ça bouge : dimanche 7 février. »

  1. Plusieurs lectures, texte d’une richesse incroyable, que tu éclaires très bien !
    Je suis frappé par cet équilibre « action-prière » de Jésus.
    Et puis par cette quête de mouvement, d’avancement incessant. Ne pas s’endormir sur ses lauriers, mais sortir, de soi, de ses habitudes, de ses routines ! Pas toujours facile humainement …
    Quant aux guérisons initiales, on en redemande 😉

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