Conséquences d’un bon mouvement : dimanche 14 février.

Le texte de l’évangile, sur le site de l’AELF.

J’ai essayé de détailler déjà les éléments de ce texte, le dernier de l’aperçu initial du ministère de Jésus que Marc nous offre : on pourra trouver cela en cliquant sur ce lien.

Ce texte fait écho au premier de cette première partie de l’évangile de Marc, l’intervention dans la synagogue de Capharnaüm et la libération de l’homme emprisonné dans un esprit mauvais. Ici aussi, il y a une action restauratrice. Mais si l’effet de la première était que « aussitôt sa renommée sort partout, dans tout le pays autour de la Galilée« , l’effet de celle-ci est que « il ne pouvait plus entrer visiblement en ville mais il se tenait en dehors, dans les lieux déserts ; et on venait vers lui de toute part« . En commun, l’effet mobilisateur, attirant. En contraste, l’impossibilité de poursuivre dans les lieux habités. C’est surprenant.

Or on voit bien qu’il y a trois temps dans notre texte : d’abord un effet immédiat, une sorte de tac-au-tac, le lépreux trouve les mots qui remuent aux tripes ([splangkhnidzomaï], c’est mot-à-mot cela), et il obtient très exactement et immédiatement ce qu’il a demandé. Il obtient une « purification », [katharsis]. Il n’a pas demandé à être guéri, quand on est lépreux on n’est pas réputé malade mais « impur » : c’est d’ailleurs ce que l’on doit crier soi-même pour éloigner de soi toute autre personne : « Or, le lépreux chez qui l’affection est constatée, doit avoir les vêtements déchirés, la tête découverte, s’envelopper jusqu’à la moustache et crier: impur! Impur! » (Lv.13,45). Autre pénibilité, le lépreux n’a pas le droit d’entrer dans les lieux habités, il doit se tenir à l’écart : « Tant qu’il gardera cette plaie, il sera impur, parce qu’elle est impure; il demeurera Isolé, sa résidence sera hors du camp. » (Lv.13,46). Peur de la contamination. Cela nous rappelle des choses très actuelles…

Il faut d’ailleurs remarquer que, pour le « purifier » (puisque tel est le terme), Jésus le touche : [haptoo], c’est d’abord ajuster, attacher, nouer. Au moyen, comme ici, voix qui marque l’implication du sujet, il s’agit d’atteindre en venant au contact, de toucher pour prendre. Le mot a donné notre « haptonomie« , cette méthode de communication avec le bébé encore dans le ventre de sa maman, par le contact et le toucher, en fait par la caresse anticipée et le contact affectif. Ici donc, le lépreux est touché de cette manière, et Jésus n’en est pas contaminé. Ne l’est-il pas du tout ? Si pourtant, mais pas comme on pourrait le croire : de l’affection physique qui atteint l’homme, rien ne passe jusqu’à lui : le contact a fait passer la santé de lui à l’autre, plutôt que la maladie de l’autre à lui. Mais de l’opprobre sociale, il passe quelque chose. Car le lépreux ne pouvait entrer en ville, et c’est bien ce qui arrive à Jésus au bout de l’épisode. Comme s’il avait pris sur lui, pour prix de son approche et de son toucher, le rejet ou la mise à part dont le lépreux était victime.

Guérison du lépreux, Mosaïque du XII°s, cathédrale de Monreale (Sicile). L’homme est hors de la ville, Jésus l’y rejoint et son geste va au contact. Il se trouve du coup hors de la ville pour les mêmes raisons, comme il sera crucifié hors de la ville.

Peut-être est-ce la raison du deuxième temps de notre texte : il y a un frémissement de tout l’être, un grondement profond, une vibration, un bouillonnement, chez Jésus, suite à ce qui vient de se passer. Et il le repousse, littéralement, il « l’expulse » comme on le dit pour les « nombreux démons » qui emprisonnent les gens qu’on lui a il y a peu amené devant la porte au soir. Ordre est donné de suivre scrupuleusement l’ordre des prescriptions mosaïques : c’est qu’en effet, tant que les prêtres n’ont pas constaté et prononcé la « purification » (on est toujours dans ce registre-là), l’homme n’est pas purifié. Jésus n’est pas prêtre, il n’est pas descendant de prêtre, il ne peut pas réintégrer socialement cet homme : seul un prêtre peut le faire, à l’issue d’un processus qui est très long, et fort détaillé (pour ceux que cela intéresse, vous trouverez ici le détail).

Pourquoi ce frémissement, ce remue-ménage profond ? Peut-être justement parce qu’il passe la main, parce qu’il sait que l’homme doit se plier à autre chose. Les prêtres ne vont pas pouvoir constater l’évolution de la lèpre vers la guérison, mais seulement sa disparition totale : comment vont-ils réagir ? Vont-ils reprocher à cet homme de n’être pas venu auparavant pour le premier constat de la régression de la maladie ? Vont-ils pour cela refuser de le ré-intégrer et le maintenir à l’écart ? C’est une chose terrible que d’être à jamais réputé « dangereux », « contaminant », d’être « le malade » ou « l’impur » et de n’être plus vu que comme cela. C’est sûrement une des choses qui fait le plus peur, quand on est atteint de maladie, on craint le changement de regard et d’attitude, d’être à jamais à l’écart de la « normalité », de ne plus être un vivant mais considéré comme un « futur mort », ou quelque chose de ce genre. Quel bonheur, ceux qui vous traitent « comme d’habitude »…!

Alors troisième temps, l’homme s’en va. Mais il ne fait pas du tout ce qui lui est dit. Dans sa joie et sa simplicité, il anticipe, il n’attend pas : il « entreprit de proclamer beaucoup de choses et divulgua son opinion« . Ce n’est pas l’avis officiel, il fait constater à chacun qu’il est guéri. Mais cela contrevient formellement à la procédure : peuvent-ils, les autres, l’admettre dans leur société à nouveau ? Rien n’est moins sûr, il faudrait d’abord qu’il le croient quant à son état antérieur de lépreux, ensuite qu’ils osent s’approcher pour constater… ce qui serait aussi usurper le rôle des prêtres ! Le texte ne dit rien sur ce qui arrive à l’homme, socialement parlant, on ne sait pas si sa guérison auto-proclamée fait effet ou non.

En revanche, on sait que l’effet pour Jésus est désastreux : lui se retrouve à l’écart des villes. La raison la plus évidente est celle-ci : il a touché un lépreux. Il est devenu dangereux. A son tour d’être dans des endroits déserts, à l’écart. Certes on vient à lui, « de toute part« , et sans doute ce mauvais effet va s’estomper. Mais tout de même, il ne pourra rentrer à Capharnaüm qu’après « des jours« , comme le précisera Marc à la suite de ce texte. Il a eu sa quarantaine. Jésus est finalement victime de la lèpre, non au sens où il aurait contracté la maladie, mais au sens où il est ostracisé à cause du statut particulier de cette maladie : effet social, auquel il n’a pas pu échapper. Tout ne se résume pas à l’aspect individuel des choses, il y a aussi l’effet des opinions, des convictions, des mouvements d’idées : cela, il n’y a pas de pouvoir contre. Et il y a l’effet « religieux » : déjà, les prêtres on eu cette effet sur Jésus de le rejeter à part, parce que leur place est plus acquise socialement que n’est celle de Jésus. La « religion » (Jésus n’en a fondé aucune !) peut clairement empêcher d’entrer dans la liberté où se trouve Jésus, de le rejoindre dans ce qu’il fait lui, dans sa spontanéité à lui. C’est terrible, mais il en est la première victime.

Il me semble que cela peut nous faire réfléchir aussi : à quel effet collectif cédons-nous, parce que c’est dans notre mentalité, qui nous empêche de venir au secours ou simplement d’approcher quelqu’un qui se trouve mis à part ? C’est très visible dans le monde de la politique ou du show-biz : le simple contact avec une personne qui est dénigrée ou publiquement brocardée suffit à être soi-même mis à l’écart. Mais un tel effet n’est-il que dans ces milieux ? Je n’ai pas de réponse, mais il me semble que cela demande quelque considération….

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