Le texte de l’évangile, sur le site de l’AELF.
J’ai situé le texte qui nous est donné aujourd’hui, sous le titre Dévoiler et unir, dans le « discours apocalyptique » et plus largement la fin de l’évangile de Marc.
Ce qui me paraît si important, dans la lecture de ce passage aujourd’hui, c’est son grand optimisme. Car le message essentiel est bien le suivant : au-delà des catastrophes et des motifs de se lamenter, il y a le « jour », l’avènement du Fils de l’homme. Il peut bien survenir des choses inimaginables, des évènements qui secouent les hommes, croyants ou non, jusque dans leurs fondements, le dévoilement d’un salut est lui inexorable. Ouf !
Qu’est-ce qui me fait dire cela ? C’est que toute la première partie du discours, longue, porte sur les catastrophes : car justement, dans l’esprit des disciples qui interrogent le Maître, la « fin » sur laquelle ils l’interrogent est forcément une catastrophe. Il admiraient le temple, pas encore terminé mais tout de même en bonne voie, et ils s’entendent dirent que ce qu’ils admirent, il n’en restera pas pierre sur pierre. Et pour eux, c’est une telle catastrophe que c’est même le signal de la fin, de la fin du monde ! S’il n’y a plus le temple, c’est que le monde est fini. Or le temple, c’est pour eux le signe de la fidélité du dieu, c’est la garantie qu’il tient sa promesse d’être à jamais au milieu de son peuple : si la promesse du dieu touche à sa fin, c’est que le monde lui-même touche à sa fin.
Mais non, ce n’est pas cela. Des catastrophes, il y en a eu, il y en a, il y en aura encore. Nous ne parlons pas que de catastrophes « cosmiques » (tremblements de terre, guerres, etc..), mais aussi de catastrophes propres aux croyants (persécutions, destructions…). Mais non, la fin du monde ne consiste pas en cela. La fin du monde, c’est bien plutôt le passage de ce monde que nous connaissons en un autre que nous ne connaissons pas, mais que lui le « Fils de l’homme »travaille à construire. Il se fait dans le secret, dans l’invisible, dans l’à peine discernable : mais il se fait. Et « en ces jours-là« , « au-delà de ces catastrophes » apparaîtra cette œuvre qui s’est poursuivie si longtemps, avec tant de persévérance et de fidélité, à l’insu de la plupart -et peut-être de tous.
Le maillage de textes prophétiques employés par Marc pour décrire « ces jours-là » aboutit à un bouleversement du soleil, de la lune et des étoiles. Ces éléments, dans le premier récit de la création, apparaissent ensemble au quatrième jour, ce sont les premiers éléments qui ornent les bases posées précédemment. Les bases sont issues de séparations opérées dans le chaos initial ou tout est mélangé : d’abord la lumière mise à part des ténèbres, puis le ciel ferme mis à part de l’eau, enfin la terre ferme mise à part de la mer. Les « lieux » sont établis, ils vont ensuite être peuplés chacun de leur « armée », en commençant par le firmament peuplé des astres et des étoiles.
Or ce sont justement ces peuplements qui disparaissent ici : de même qu’au déluge l’eau avait fait disparaître le peuplement de la terre (un seul des lieux) à l’exception de ce qui était conservé dans l’arche, de même ici ce sont touts les peuplements de tous les lieux qui arrivent à leur terme. Mais l’arche, cette fois, c’est le « Fils de l’homme » lui-même arrivant non sur les eaux mais sur les nuées. Mais il ne fait pas « débarquer » le peu qu’il aurait conservé : il appelle d’un bout du monde à l’autre, ou plutôt de la terre jusqu’au ciel (donc dans TOUS les « lieux »), les êtres, « ses élus » ou « ses choisis ». Tout ce qu’il a choisi de faire être, il les choisit toujours. Et il les choisit à jamais.
Ainsi la fidélité du dieu, ce n’est pas tant le temple, construit de main d’homme, qui en est le signe et le garant : c’est plutôt cette « demeure » qu’il a lui-même fondée en créant ce monde, en le soutenant dans l’être et en l’appelant encore à être, malgré toutes les destructions, toutes les catastrophes.

Nous lisons ce texte dans ces temps où nous sommes secoués par une catastrophe d’une large portée : la mise en évidence de l’échec de l’Eglise, du temple, construit à l’évidence comme un système qui a tourné à l’abus d’autorité et à la machine à broyer des vies. Infidélité majeure. Il ne faut pas garder cette construction-là, il faut la jeter sans pitié. Mais c’est l’infidélité des hommes : il n’en restera pas pierre sur pierre, de cette construction-là. Le dieu fidèle, lui, continue en secret son œuvre de salut, à la construction de laquelle contribuait la semaine dernière notre pauvre veuve avec ses deux piécettes, c’est-à-dire avec l’engagement se soi au risque de sa propre vie. Cela, c’est le temple véritable.
Ce n’est pas qu’il faille opposer absolument ces deux temples : il ne faut juste pas les confondre. Dans le temple fait de main d’homme aussi, œuvre le « fils de l’homme », il est à l’œuvre partout. Il faut juste se garder de croire que notre Eglise n’est pas elle aussi faite de main d’homme, se garder de croire qu’elle est elle-même, parce qu’elle est un temple, le signe indéfectible de la fidélité du dieu. C’est plutôt qu’elle fait partie de ce vaste ensemble des hommes et de la terre des hommes que ce dieu fonde et refonde. Mais qu’il n’en reste pas pierre sur pierre ne doit pas nous effrayer, ce n’est pas la fin, ce n’est pas le signe de la fin. Il faut tout simplement se mettre à rebâtir. En sachant qu’une fois encore, ce que nous bâtissons est fait de main d’homme.
L’évangile d’aujourd’hui me dit qu’il ne faut pas « jeter » l’Eglise, mais qu’il faut constater sa destruction et chercher avec courage, comme la pauvre veuve, à construire un temple authentique par l’engagement de soi au risque de sa propre vie. L’histoire de l’Eglise connaît de ces moments de manière récurrente (même si le « récit » officiel est qu’elle est toujours ce qu’elle a été, qu’elle ne change pas : bien sûr que si, elle change !). Et sans doute sommes-nous à l’un de ces moments. C’est un moment pour se confier à ses « grandes puissance et gloire« , à tourner les yeux vers ce monde avec lui puisqu’il y vient « sur les nuées » et à accueillir ceux qui arrivent, appelés par lui « de l’extrémité de la terre jusqu’à l’extrémité du ciel« , à répondre nous aussi à cet appel pour être de ce nombre.
« Du figuier [apprenons] cette comparaison » : quand la branche devient [apalos], « tendre, délicat« , mot qui se dit des joues, de la peau, du cou d’un petit bébé, ou encore de fruits nouveaux, voire des rayons du soleil levant, « quand pointent les feuilles« , alors nous savons que l’été est « dans la proximité« . C’est ce qui est en naissant, ce qui est fragile, qui est porteur de la vie nouvelle. Tant que le bois, tant que l’institution, est raide, rien à en tirer : mais s’assouplit-elle, devient-elle tendre et délicate, alors les feuilles peuvent pointer, elles aussi délicates. Le temple véritable que nous avons à construire, c’est le temple de la douceur et de la délicatesse.