Le texte de l’évangile, sur le site de l’AELF.
Dimanche dernier nous était tracé un horizon d’attente : la manifestation du Fils de l’homme à travers toute la créature. C’est encore une manifestation qui nous est promise cette semaine, mais cette fois il s’agit de la première, la manifestation « de référence » pourrait-on dire. Le personnage de Jean-Baptiste apparaît, Luc donne une grande solennité à cette apparition, et il apparaît pour annoncer la première manifestation du Fils de l’homme. J’ai déjà commenté l’ensemble de ce passage sous le titre Reprendre sa trace profonde. On pourra s’y reporter pour suivre un premier détail du texte, de sa place dans l’ensemble de l’évangile de Luc et de son organisation, et aussi du sens global qu’il revêt -enfin, à mon point de vue bien sûr.
Je vient d’écrire que Jean-Baptiste « apparaît pour annoncer la première manifestation du Fils de l’homme », mais ce n’est pas très juste. A vrai dire, il n’annonce pas la « première manifestation », car il pense qu’il s’agit de la seule et donc de la dernière. Luc prend soin de situer Jean-Baptiste comme un nouveau prophète, et c’est un choix hardi car le « corpus » des Nebiîm -des Prophètes- est clos. Sans doute cristallisé autour de la figure de Jérémie, il regroupe dans la Bible hébraïque des écrits qui se réfèrent à trois grandes figures (celles de Jérémie, d’Isaïe et d’Ezéchiel), plus un quatrième recueil : celui des « Douze ». Depuis, plus rien. Ce sont d’autres écrits qui ont continué d’être produits, qui ont pris en quelque sorte le relais des Prophètes, ce que nous appelons les Ecrits de Sagesse. Le dernier d’entre ceux-ci dans la Bible hébraïque, c’est Daniel, qui annonce justement la fin, les derniers temps et la manifestation ultime et victorieuse d’un « fils de l’homme ». Jean-Baptiste est plutôt dans cette perspective. Il sera le premier surpris par la « méthode Jésus » !
Mais puisque, en cet Avent, nous sommes invités à n’attendre pas d’abord une « fête de Noël » mais une réalité bien plus vaste, une « manifestation générale », une révélation ultime, il est intéressant de regarder dans ce texte d’aujourd’hui ce que le Baptiste recommande en ce sens. Or ce qu’il proclame, c’est « un baptême de conversion dans la rémission des péchés« . Ces mots ne peuvent recouvrir une description de la fameuse manifestation annoncée, ils ne peuvent qu’être disposition subjective à celle-ci. Autrement dit et plus simplement, le Baptiste nous prépare à cette manifestation : il nous indique comment faire pour que notre attente soit ajustée. Rappelons-nous, nous avons entendu la semaine dernière que cette horizon, cette espérance, qui nous étaient proposés, ne correspondaient peut-être pas spontanément à ce que nous attendions. Mais comme c’est bien cela qui arrive, il convient de nous « ajuster le cœur » à ce futur imminent. C’est ainsi que nous y trouverons notre joie et notre accomplissement.

Quel est donc ce moyen, ce « baptême de conversion dans la rémission des péchés » ? Si j’en change un peu la traduction pour ouvrir par la nouveauté ou la surprise à ce moyen, il s’agit d’une « plongée de changement entrant dans la délivrance des fausses pistes« . A la base, il y a cette affirmation que notre vie est parsemée de nombreuses fausses pistes ([amartia], que l’on traduit souvent par péché, et qui relève du registre de l’égarement). La vie est un chemin, elle consiste à avancer et à faire de nombreux choix. Ces choix ont-ils été toujours les bons ? Si c’était à refaire, referions-nous point par point les mêmes choix ? La réponse appartient à chacun, elle peut porter sur de grands choix fondamentaux ou sur des choix « de détail », mais il y a fort à parier que nous pouvons tous mettre le doigt sur des choses que nous avons faites et que nous aimerions n’avoir pas faites, ou les avoir faites autrement.
Or, cela change notre horizon d’attente : soit en le restreignant, soit en détournant notre regard. Nous pouvons en effet, par réalisme, attendre moins de la vie parce que notre expérience nous dit que nous ne l’avons pas construite comme nous aurions voulu, ou pire encore ne plus en attendre grand chose parce que nous sommes rongés par des regrets ou des remords. C’est à ce point que nous prenons conscience que nos égarements peuvent nous emprisonner. Justement parce qu’ils limitent notre horizon. Et notre attente, notre espérance, n’envisage même pas que nous puissions nous défaire de tout cela : avec réalisme, nous nous disons que le passé est le passé, et qu’il ne sert à rien de vouloir qu’il ait été autrement, qu’il ne sert à rien de « pleurer sur du lait renversé » (comme on dit en anglais).
C’est ici le côté absolument révolutionnaire de l’annonce du Baptiste : il y a un moyen « entrant dans la délivrance des fausses pistes » ! Son message nous fait dresser l’oreille à une perspective a priori irréaliste : ah bon ? Il serait possible de refaire l’histoire ? Tout du moins, il serait possible d’en changer le cours en faisant qu’elle n’ait plus ces conséquences désastreuses et fermées ? Oui, dit le Baptiste, c’est possible, et c’est un processus dans lequel il faut entrer (ce que je traduit par « entrant dans« , c’est la préposition [éïs] qui signifie dans mais bien avec cette idée dynamique d’entrer, d’un mouvement). Autrement dit, cela ne se fait pas d’un seul coup, c’est un cheminement. Et comme la vie est un cheminement, c’est une nouvelle vie en quelque sorte, ou une nouvelle dynamique pour la même vie.
Et comment cet nouvelle dynamique peut-elle commencer de s’inscrire, de se mettre en place, de renouveler l’existence ? Par le changement, [métanoïa]. La-pensée-de-l’après, l’après-pensée, ou la-pensée-de-l’avec, l’avec-pensée. Après ? Oui, tu arrêtes de te focaliser sur ce qui s’est passé et sur les conséquences, tu envisages un « après », tu t’ouvres à une nouveauté qui pourrais survenir. C’est un bouleversement complet de la manière d’envisager l’existence. Abram était « fils de quelqu’un » (c’est ce que signifie ce nom), il était nommé d’après son origine, ce qui le précède, il devient Abraham, « père d’une multitude« , nommé d’après ce qui va lui arriver, d’après un don à-venir ! C’est cela, la [métanoïa], la-pensée-de-l’après. D’être seul et comme un goulet d’étranglement, on se fait « pour », on s’ouvre à l’impossible. Cela rejoint d’ailleurs l’autre interprétation du [méta-] de [métanoïa], avec : ne pas se penser seul, ne pas s’envisager de manière isolée, mais s’ouvrir à ceux avec qui on vit, pour qui on veut vivre. Là sont, dans le message du Baptiste, les déclics qui changent tout.
Mais, dernière précision, cela n’est pas à opérer avec des pincettes, « un peu » : c’est une plongée, [baptisma] en grec. C’est une immersion totale qu’il faut oser immersion dont la plongée dans les eaux n’est qu’une image symbolique. On n’entre pas à demi dans ce genre de changement, on bascule totalement, ou alors rien ! Voilà ce que j’entends aujourd’hui dans cet évangile, pour que nous puissions être tout à la manifestation qui s’annonce (« Tous à la manif !! »), autour de nous, chez les nôtres, et même en nous, du Fils de l’homme.