Le texte de l’évangile, sur le site de l’AELF.
Autant lever tout de suite une ambiguïté : mon billet d’aujourd’hui ne concerne pas le jour de Noël, même si je le publie la veille. Je m’en tiens à mon projet initial, commenter l’évangile du dimanche. Peut-être, quand je serai à la retraite, me mettrai-je aussi aux fêtes qui ne tombent pas un dimanche, mais pour l’instant ce serait trop. Toujours est-il que les deux jours, Noël et le dimanche, se succèdent et il n’est pas impossible que l’on trouve ici matière à méditer des choses qui se vivent aussi à Noël…
J’ai déjà commenté ce texte il y a trois ans, sous le titre Retournement et recherche, en essayant d’en balayer le texte tout entier pour faire ressortir ses nuances ou ses implications. Cette fois-ci, je voudrais m’attacher à l’aspect « famille ». Je n’oublie évidemment pas que la première visée du texte de Luc, comme de l’ensemble des « évangiles de l’enfance », est d’anticiper l’essentiel de ce qui va être la mission de Jésus. Il me semble d’ailleurs que notre texte a de nombreux points de contact avec celui des « disciples d’Emmaüs », et je me dis que la prochaine fois qu’il nous est servi, je prendrai le temps de creuser ce contact.
La famille, dans ce texte, ce n’est pas simplement « un père, une mère », comme le voudrait un slogan récent : c’est une réalité beaucoup plus large. Les « parents », [hoï gônéïs], désignent sans doute le père et la mère. Ce sont bien eux qui ignorent que leur enfant adolescent reste en arrière, bien eux aussi qui se mettent à le chercher : mais justement, ils le cherchent dans toute la « parentèle » [sunguénéïa], c’est-à-dire que la famille est vraiment présente dans sa largeur, dans son déploiement.
Ce fait me paraît important, car notre actualité tend à voir la famille se réduire de plus en plus, dans la manière dont on argumente à son sujet, à cette « peau de chagrin » du père, de la mère et de l’enfant. On voit qu’ici au contraire, la parentèle est très présente, et pas seulement lors de ce pèlerinage annuel, sans quoi l’enfant n’aurait pas la familiarité nécessaire pour passer des uns aux autres, et les parents du reste n’auraient pas l’idée d’aller chercher leur enfant le soir dans cette parentèle : il leur a semblé tout ce qu’il y a de plus naturel de supposer qu’il était avec ses grands-parents, ses oncles et tantes, ses cousins (ses « frères », comme on disait alors).
Cela montre aussi -et surtout- que Jésus construit sa personnalité dans cet ensemble-là. Son père et sa mère ne sont pas ses seuls repères. Il reçoit d’eux, bien sûr, mais aussi de tous ceux qui constituent l’entourage familier. Les repères qui vont construire l’humanité de Jésus viennent de tout cet ensemble de relations représenté par sa famille au sens large. La « sainte famille » n’est pas seulement le petit noyau que l’on représente à la crèche, elle est nettement plus vaste. Cela me paraît très important, dans la mesure où l’on érige souvent cette « sainte famille » (que les catholiques fêtent aujourd’hui) en « modèle », mais il faudrait se demander sous quel rapport elle est un « modèle ».
Si l’on s’en tient aux données écrites par Luc, le « modèle » n’est certes pas celui de la famille « bourgeoise » d’aujourd’hui. Une jeune femme pas encore totalement mariée mais déjà enceinte, des silences entre les conjoints qui ne passeraient pas aujourd’hui pour des modèles de communication, des relations entre les parents qui n’apparaissent pas comme un modèle d’harmonie sexuelle, un unique enfant… Il y aurait beaucoup à dire sur le côté « modèle » !! Je ne veux pas dire que la famille de Jésus était plus marquée par le bizarre que par la normalité, je dis juste qu’elle a surtout préparé Jésus à sa mission, et je pense qu’on devrait rester assez prudent sur l’emploi de ce repère quand on veut construire un modèle familial, sous peine de ridicule, car elle est pour le moins atypique.
Le côté « atypique » de la famille de Jésus me semble en fait fort intéressant à souligner : elle ne l’empêche pas de se construire, bien au contraire. Et peut-être n’y a-t-il pas LA famille mais tout simplement DES familles, comme il n’y a pas L’homme mais DES hommes, LA femme mais DES femmes, etc. Jésus a grandi dans une famille particulière, dans tous les sens du mot, et il n’en est pas moins celui qu’il est. Voilà qui est très encourageant pour toutes les familles, avec leurs forces, leurs brillances, leurs faiblesses, leurs manquements, etc. Pas de famille parfaite, pas même la « sainte famille », mais des familles qui toutes pourraient être celle de Jésus.. à condition, au vu de notre texte, de n’être pas repliées sur elles -mêmes mais d’être ouvertes, et notamment à une famille au sens large. Le modèle, finalement, c’est d’être une famille distincte et d’être une famille ouverte, large.
De cette famille, l’enfant se détache. La liberté de circulation et d’attachement qu’il y trouve lui permet aussi de s’échapper, sans difficulté mais aussi sans avoir le moindre doute sur la justesse de cette attitude. Ici, il se passionne, un jour, quand il a douze ans (c’est à dire qu’il est déjà monté à Jérusalem plus de trente fois, mais jusqu’à présent cela ne l’a pas intéressé de cette manière), pour les Ecritures : il a plein de questions à poser, il veut apprendre comment s’y prennent les docteurs, comment ils se servent de l’Ecriture, comment ils réfléchissent à partir d’elle. Ses intérêts sont éveillés par quelque chose qui n’est pas sans lien avec sa famille, mais qui lui fait faire aussi un pas de côté, un pas en-dehors. Et ce n’est pas ce que ses parents avaient « prévu », leur angoisse le dit assez.
« Et le voyant ils sont frappés, et sa mère dit à son adresse : enfant, que nous as-tu fait cela ? Voici, ton père et moi sommes à la torture en te cherchant. » C’est la mère qui parle, le père ne dit rien. Voici un sérieux contre-modèle à ceux qui prônent la « revirilisation », à ceux qui disent que l’homme (entendez le « masculin », le « mec ») doit être un roi dans sa famille. Joseph ne dit rien, on ne voit pas le moindre exercice de pouvoir de sa part. Je ne tire aucun argument du silence (et on serait sage de ne pas le chercher non plus !), je fais juste remarquer que le dialogue, la parole, est d’abord engagée entre la mère et l’enfant. Je fais également remarquer que c’est en présence de celui qui est présenté comme « ton père« , par Marie, -ce qui devrait suffire à assurer ce titre à Joseph, sans avoir à lui ajouter un qualificatif quelconque-, que ce dialogue se déroule.
Marie parle au nom des deux parents : ce n’est pas tout-à-fait la même situation que Aaron qui parle au nom de Moïse, à quoi j’ai d’abord pensé les comparer. Moïse devant Pharaon ne dit rien, c’est Aaron qui transmet sa parole : cela sans doute pour lui assurer un statut équivalent au Pharaon, dieu pour ses sujets. Moïse est comme un dieu lui aussi, et c’est un interprète qui transmet aux oreilles humaines ce que ce dieu veut. Mais ici, Marie parle au nom des deux, donc aussi en son nom propre : ce n’est pas du tout la même chose, cela ne donne pas le même sens au silence de Joseph.
Sa mère évoque la souffrance : celle de chacun de ses parents. L’accouchement sans douleur peut bien exister pourvu qu’on fasse ce qu’il faut (et il faut le faire !), l’enfantement sans douleur en revanche me paraît une illusion : ce n’est jamais sans souffrance que l’enfant advient à lui-même. Et il fait souffrir sans le chercher, sans le vouloir. Pas forcément sans conscience : mais il arrive qu’on sache qu’on va faire souffrir, et que pourtant on doive faire ce qu’on a à faire. Simplement, Marie le dit. Elle lui dit à la fois sa tendresse, « enfant« , et sa souffrance. Ce qui compte, c’est qu’il mesure ces choses, c’est qu’il en ait conscience. C’est ainsi qu’il grandit et devient vraiment humain. Et sa mère, manifestement, est tout entière à cette œuvre, qu’il devienne humain.
Joseph est ici aux côtés de son épouse, il la conforte par sa présence, il l’approuve par son silence (ne rien ajouter, c’est assez dire que tout a été dit et bien dit). Il n’exerce pas une autorité par l’affirmation, mais son agir est de faire en sorte que sa femme puisse jouer son rôle comme elle l’entend, et aussi que la relation entre la mère et l’enfant soit rétablie entièrement. Il rend possible, et cela suffit. Cela demande sans doute beaucoup de présence, beaucoup d’observation et d’attention aussi. Joyeux Noël à vous tous ! Et à votre famille, si vous en avez la grâce.

Alors je ne lirai ton commentaire que dimanche, à marée basse, mais je te souhaite tout de même dès maintenant un très joyeux Noël !!!!!
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Merci Benoît ! Honnêtement je ne te lis pas souvent… mais ce soir, oui, pendant que Jacques regarde une émission sur les monuments religieux ! Et j’aime bien ta vision de la famille ! Joyeux Noël ! Affectueusement Raphaëlle
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