Le texte de l’évangile, sur le site de l’AELF.
La majeure partie de ce texte a déjà été commentée il y a peu de temps, puisque beaucoup des versets ici présentés l’étaient déjà il y a une quinzaine de jours. A dire vrai, parler cette fois-ci de « texte » est presque une outrance : nous avons en vérité une compilation de versets ou demi-versets pris ici et là, certes dans le même chapitre mais tout de même ! Cette manière de traiter l’évangile est vraiment indigne, et je ne m’y habitue pas. C’est porter gravement atteinte à l’esprit du texte, et porter atteinte à l’esprit le jour de la Pentecôte relève presque de la performance, si ce n’était à ce point navrant.
L’ensemble du passage, ou de cette bouillie de textes, a déjà été commenté ici : de quoi être soufflé ! Je voudrais cependant m’attacher à ces mots : « Je vous ai parlé de tout cela en demeurant auprès de vous ; le paraclet lui, l’esprit, le saint, qu’enverra le père en mon nom, celui-là vous enseignera tout et vous remémorera tout de ce que je dis. » Le vocabulaire de Jean est très précis, très choisi : ses mots ne sont pas si nombreux, ce sont toujours les mêmes qui reviennent. C’est que Jean ne cherche pas tant à montrer qu’à démontrer, ce qu’il raconte est une sélection très recherchée pour mettre en avant certains éléments qui sont essentiels au portrait qu’il veut faire de Jésus, au témoignage qu’il veut rendre à son sujet. D’une manière plus avouée que les autres évangélistes, il dessine « son » Jésus de manière très construite et assumée.
Ce petit passage fait apparaître deux acteurs principaux, « je » (Jésus) et le paraclet (l’esprit, le saint). Et toute la question est celle de l’articulation entre ces deux. Il me semble que cette question a son actualité : bien souvent, le discours sur Jésus ne sait pas faire sa place à l’esprit ; mais bien souvent aussi, le discours sur l’esprit ne sait plus faire de place à Jésus. Concrètement, ceux qui parlent de Jésus réclament souvent pour eux une autorité que nul n’est en droit de contester. Les clercs, en particuliers, se réservent ce discours, le contrôlent, l’authentifient ou non… occultant entièrement que l’esprit peut parler par qui il veut et comme il veut. Mais aussi, ceux qui se réclament de l’esprit pour se distinguer de l’institution, pour faire du neuf ou pour contester, paraissent faire bon marché de la parole authentique de Jésus, et ne pas accepter une authentification. Comment s’y retrouver ?

Ce ne sont pas les deux seuls personnages, il y a aussi « le père » et « vous » (les disciples). Peut-être est-ce par là qu’on peut envisager cette question : car le but avoué, dans l’évangile de Jean (et pas seulement) et tout spécialement dans ce grand discours qui suit le lavement des pieds, c’est que celui que Jésus désigne comme son père soit aussi celui des disciples -et même de tous-, et que les disciples à leur tour vivent authentiquement comme fils.
Ce cadre posé, ou ré-exprimé, on voit ici une action du père, qui est d’envoyer l’esprit au nom de Jésus : voilà qui nous montre que les relations de Jésus et de l’esprit sont à comprendre comme ayant une commune origine, le père. Celui-ci a envoyé Jésus, et envoie l’esprit. Mieux, il envoie l’esprit « au nom » de Jésus. Il n’y a pas d’envoi de l’esprit sans que Jésus le veuille aussi; Et il n’y a pas de Jésus qui ne veuille, avec le père, envoyer l’esprit. Ce qui domine avant tout, c’est la co-intervention. Ce qui vient du père à destination des disciples et de tous les hommes, c’est à la fois Jésus et l’esprit : les opposer ne sert à rien, n’est pas juste, ne correspond pas au message de Jean.
Les disciples, par ailleurs, le « vous » : ils ont été les destinataires du « parler » de Jésus, c’est à eux qu’il a « dit« , et c’est auprès d’eux qu’il est demeuré. Ils sont aussi les destinataires de l’enseignement de l’esprit, et de son travail de rappel. Il y a donc de ce point de vue aussi une convergence, ils sont destinataires des actions conjointes de Jésus et de l’esprit. Et c’est donc au bénéfice des disciples et de tous les hommes qu’il convient de ne pas opposer Jésus et l’esprit,… et à leur détriment qu’on le fait !
Dans l’articulation que nous cherchons à creuser entre Jésus et l’esprit, je remarque maintenant qu’il y a trois temps verbaux, le parfait, le futur et l’aoriste. Le parfait et l’aoriste sont employés pour les verbes dont « je » (Jésus, donc) est le sujet, quand le futur est employé à propos de l’esprit. Il y a donc entre eux une succession, marquée par les temps verbaux.
Pour les verbes qui expriment l’action de Jésus, nous avons ici deux verbes voisins mais différents, et qui notons-le encadrent notre petit passage, [laléoo], parler et [légoo], dire. « Parler » évoque le moyen, l’usage de la parole pour faire passer un message ; « dire » évoque le contenu d’un message, qui n’est pas forcément passé par la parole (on peut dire beaucoup d’un regard ou d’un geste). Le parfait pour [laléoo] exprime un état accompli : Jésus est dans la situation de quelqu’un qui a fini de parler. C’est une étape qui est franchie, il ne parlera plus. L’aoriste en revanche, pour [légoo], est un « aspect zéro » du verbe, l’action qu’il énonce est sans valeur temporelle (même si, faute de moyen, on le traduit souvent en français par un temps du passé). C’est en quelque sorte l’action pour elle-même ; cela signifie que s’il ne parle plus, Jésus « dit« , et ne cesse de dire. Il est à jamais un Jésus-qui-dit. Après tout, pour Jean, il est « le Verbe« .
L’esprit, de son côté, enseigne, instruit, d’une part, et fait ressouvenir d’autre part. Ce dernier verbe, [hupomimnèskoo], donne vraiment l’idée de ce qui vient du fond, d’en-dessous : c’est du fond de la conscience, du plus profond de l’intérieur que remonte le souvenir. Or voilà le cœur même de la complémentarité : l’esprit n’enseigne pas autre chose que Jésus : mais Jésus a fini de parler, et c’est justement « cela » que l’esprit fera comprendre, « cela » qu’il enseignera, de sorte que « tout » (ou « toutes choses« , comme on traduit parfois) soit compris. Jésus a dit des choses que les disciples, souvent, n’ont pas compris. L’évangile le dit assez. L’esprit, lui, va faire comprendre. Et ce qu’il va faire remonter à la mémoire, opportunément, au bon moment, c’est ce que Jésus dit : que ce soit par des mots, des gestes, des attitudes, des choix. Tout cela, reçu par le disciple mais comme enveloppé, il va le désenvelopper, le dégager, le rendre clair.
Il apparaît ainsi que nous ne recevons pleinement Jésus qu’en recevant l’esprit : faute de quoi, il reste pour nous obscur, incompréhensible. Nous ne devenons pleinement ses disciples qu’en recevant l’esprit : faute de quoi, pas moyen de vivre, d’agir, de penser en disciples, n’ayant pas le bon repère au bon moment qui remonte à notre mémoire. Pas moyen non plus d’accueillir l’esprit sans fréquenter continûment les paroles dites par Jésus, et sans chercher à rester avec lui. La Pentecôte fait partie du mystère de Jésus, elle est l’accomplissement de Jésus dans le disciple et du disciple en Jésus ; elle est l’accomplissement des missions complémentaires de Jésus et du paraclet, à savoir la communication complète du père aux hommes et la vie en fils de ceux-ci.