Celui qui vient (dimanche 11 décembre).

Le texte de l’évangile, sur le site de l’AELF.

Le texte d’évangile proposé pour ce dimanche ne fait pas suite au précédent, il est au contraire bien plus loin dans l’évangile de Matthieu. Je l’ai situé et en fait un premier commentaire d’ensemble sous le titre Douloureux passage à la nouveauté.

Ce qui me frappe cette fois-ci, c’est la question du Baptiste : « Toi, es-tu celui-qui-vient, ou [c’est] un autre [que] nous attendons ? » C’est une alternative que Jean-Baptiste a en tête, et qu’il traduit en question. Les questions que nous posons, ou que nous nous posons, révèlent ce que nous avons en tête, la manière dont nous pensons, dont nous abordons les choses ou la réalité. Eventuellement à notre corps défendant : notre histoire, ce que nous avons appris, que ce soit par l’enseignement ou par l’expérience, le monde dans lequel nous nous mouvons et les catégories qui le structurent, tout cela conditionne notre manière de poser des questions.

Et qu’est-ce qui conditionne la question de Jean ? Il y a d’abord son propre ministère : nous avons vu la semaine passée, par le texte reçu, que Jean annonce la présence de « ce » que le dieu avait promis. Présence certes encore voilée aux yeux, mais il appelait justement à dessiller nos yeux et à regarder pour voir cette promesse en cours de réalisation, cette promesse en train de s’accomplir. Il est donc clair dans sa tête que « celui-qui-vient » est un personnage d’actualité, un contemporain.

Et comment a-t-il décrit ce contemporain et son action ? Dans l’évangile de Matthieu, Jean-Baptiste dit d’abord : « Déjà la cognée se trouve à la racine des arbres : tout arbre qui ne produit pas de bons fruits va être coupé et jeté au feu. » (Mt.3,10) Autrement dit, « celui-qui-vient » vient pour un jugement, et un jugement suivi de sentence exécutoire. Les « méchants » vont être mis à mort et « jetés au feu » du lieu de la condamnation. Terrible perspective !

Il dit encore :  » celui qui vient derrière moi est plus fort que moi, et je ne suis pas digne de lui retirer ses sandales. Lui vous baptisera dans l’Esprit Saint et le feu. » (Mt.3,11) : « celui-qui-vient » fait une œuvre de puissance et de majesté, une œuvre souveraine. Il plonge tous et chacun « dans l’esprit saint et dans le feu« , quand Jean plonge dans l’eau : autrement dit, Jean plonge dans l’eau d’où, après le déluge, ce monde a émergé, il ramène tous et chacun à sa situation originelle, il fait faire un retour à zéro. Mais « celui-qui-vient » plonge dans une nouvelle réalité, il va faire émerger un nouveau monde dans un déluge de feu (et on pense ici immanquablement à la figure d’Elie, qui fait tomber le feu du ciel). « Celui-qui-vient » fait émerger un nouveau monde dans le feu qui épure en mettant en fusion. Redoutable perspective !

Il dit encore : « Il tient dans sa main la pelle à vanner, il va nettoyer son aire à battre le blé, et il amassera son grain dans le grenier ; quant à la paille, il la brûlera au feu qui ne s’éteint pas.« (Mt.3,12) C’est encore une autre image de jugement, de tri. « Celui-qui-vient » tranche entre ceux qu’il garde (le grain), qu’il met à part dans sa maison (le grenier), et ceux qu’il rejette, qui vont « brûler dans un feu qui ne s’éteint pas. » Il y aura un salut pour certains, une condamnation éternelle pour d’autres. « Celui-qui-vient » divise l’humanité et tranche, comme Salomon ordonnait de trancher l’enfant. Effrayante perspective !

Donc notre Jean-Baptiste a en tête une action souveraine, irrésistible, faisant passer tout le monde au feu purificateur, y laissant éternellement ceux qui seront trouvés mauvais, en retirant pour être dans sa maison ceux qui seront jugés justes. Et cette action a commencé, il faut ouvrir les yeux pour l’apercevoir mais elle est bel et bien à l’œuvre. Or que vit-il à présent, quand il pose sa question ? Il est « dans la prison« , littéralement : dans le lieu où l’on est aux fers. Pour quelle raison ? Le lecteur n’en sait rien… suggérant que Jean-Baptiste non plus, ou du moins que cette raison est totalement injustifiée au regard de tout ce que Matthieu nous a précédemment appris de Jean-Baptiste et de son ministère.

On comprend dès lors avec une autre acuité la question du Baptiste. Vu ce qu’il annonce, il y a un déphasage total avec ce qu’il vit. Où est le jugement qui va établir sa justice contre celle des puissants qui l’ont enfermé ? Où est la mise à part du juste dans la maison de « celui-qui-vient« , et la condamnation définitive de cet Hérode qu’il a dénoncé, des pharisiens qu’il a traités sans ménagement par sa parole ? Où est l’action puissante et irrésistible qui prendra le pas sur le pouvoir de ceux-là qui font décidément ce qu’ils veulent ? Il n’imagine pas s’être trompé dans l’annonce que « celui qui vient » est déjà à l’œuvre, mais peut-être s’est-il mépris sur l’identité de celui-ci ? Puisque celui que jusqu’à présent il désignait ne fait rien de ce que lui, Jean, annonçait…

Jean n’est pas le premier venu, et Jésus lui rend témoignage comme au « plus éminent des prophètes » : « il ne s’est pas levé dans les enfants des femmes de plus grand que Jean le baptiseur« . Sa question ne peut manquer d’être la nôtre. Jean lui-même, le plus éminent des prophètes, Jean est déconcerté par les choix de Jésus. Il en est déconcerté et il en est personnellement éprouvé (et il n’est pas loin d’en être scandalisé) : quand il a besoin d’être sauvé d’Hérode, d’être tiré de sa prison, d’être arraché à l’action des puissants agissant injustement, il n’y a personne. Il a misé toute sa vie pour annoncer le jugement puissant et irréversible, et celui qui devait l’exercer ne l’exerce pas. Il a donné tout ce qu’il est pour préparer la route à celui qui devait établir la justice, et celui-ci laisse l’injustice régner, et Jean en est, cruellement, la victime.

Et nous, qui attendons-nous ? C’est bientôt Noël : « celui qui vient », qui est-il pour nous ? Qu’attendons-nous de lui ? A bien des égards, il va nous décevoir comme il a déçu Jean. S’il a déçu le plus éminent des prophètes et le plus grand des enfants de la femme, il n’y aurait rien d’étonnant à ce qu’il nous déçoive nous aussi. Car il ne change rien, après Noël il n’empêchera pas les ultra-riches et les ultra-puissants de continuer d’imposer leurs lois et leur puissance. Il n’empêchera pas les catastrophes de nous atteindre, les maux de déferler, les accidents de survenir… « Et heureux qui ne se scandalise pas en moi ! » Heureux sommes-nous si malgré cette déception nous ne chutons pas, mais continuons de le suivre….

Je dirais bien : heureux sommes-nous s’il nous déçoit et si nous sommes à la limite de nous scandaliser. Comme Jean. Car s’il ne nous déçoit pas, c’est peut-être qu’aucune vraie attente ne nous a soulevés, qu’aucune véritable espérance ne nous anime. Et malheureux sommes-nous, oui, malheureux ! Nous croyions avoir une vie spirituelle ou une vie chrétienne, mais nous n’en avons pas, si aucune espérance ne nous soulève, si aucun regard sur le monde ni sur nous-mêmes ne nous fait espérer que les choses changent. Si le monde nous va comme il est, malheureux sommes-nous !

Mais si nous prenons le risque d’espérer, d’attendre vraiment quelque chose, un changement, une vraie nouveauté, nous sommes heureux mais nous sommes en danger : en danger d’être déçus. Car « celui qui vient » va, forcément, nous décevoir. Il a choisi, lui, d’être non pas le plus grand parmi les enfants de la femme, mais d’être « le plus petit« . La dernière phrase de l’évangile d’aujourd’hui se traduit très bien : [ho dé mikrotéros], Or le plus petit [én tè basiléïa toon ouranoon] dans le royaume des cieux [meïdzoon aoutou estin] plus grand que lui est. Il ne s’agit pas de dire que le moindre des membres du royaume est plus grand que Jean, qui lui ne serait pas dans le royaume ; il s’agit bien de dire que « le plus petit« , dans ce régime nouveau qui émerge de l’esprit saint et du feu et qui s’appelle « le royaume des cieux« , est le nouvel étalon de mesure.

La seule méprise de Jean, mais elle était inévitable tant elle est impensable, est de n’avoir pas vu que « celui qui vient » ne se fait pas « le plus grand« , mais se fait au contraire « le plus petit. L’enfant de la crèche est… un enfant. Un petit, un tout-petit. Il ne peut rien pour personne, il est dépendant de tous. Mais c’est ainsi qu’il va changer le monde. Rien n’a changé depuis ? «  »Et heureux qui ne se scandalise pas en moi ! » Tu l’as prié avec les meilleures raisons et il n’a rien fait ? « Et heureux qui ne se scandalise pas en moi ! » Tu trouves qu’il devrait tout de même se bouger devant tout ce qui ne va pas dans le monde ? « Et heureux qui ne se scandalise pas en moi ! » C’est un bébé ! Si, comme Jean, tu as de grandes espérances ; si, comme Jean, tu es terriblement déçu; si comme Jean, tu acceptes néanmoins de le suivre et de vivre ce qui t’es donné avec lui, comme il est : tu entres dans le royaume du « plus petit ».

« Celui qui vient » est un bébé ! Qu’attends-tu d’un bébé ?

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