Au grand jour (dimanche 5 février)

Le texte de l’évangile, sur le site de l’AELF.

Le texte d’aujourd’hui fait directement suite à celui de la semaine dernière, chose assez rare pour être signalée ! Cela veut dire qu’il fait immédiatement suite aux « béatitudes ». J’ai déjà commenté son premier paragraphe, la métaphore du sel : Révéler les saveurs. Mais j’avais dû m’interrompre dans ce bref commentaire, et je voudrais m’attarder cette fois sur la métaphore de la lumière.

Il y a toutefois une actualité qui me retient dans cette première métaphore : « Vous, vous êtes le sel de la terre : or si le « sel » devient fou, en quoi sera-t-il rassemblé ? Il n’a encore de force en rien sinon à être jeté dehors pour être piétiné par les hommes. » Cette actualité, c’est « si le sel devient fou« , s’il perd la sagesse que donnent les Béatitudes à peine énoncées… L’heure est grave pour les disciples, pour l’Eglise. Il semble en effet qu’apparaissent tant de « dysfonctionnements » (comme on dit pudiquement), tant de déviances, tant de maux structurels…. Et c’est ce dernier mot qui est terrible : structurel. Car il signifie que dans la construction même de l’Eglise, de la maison des disciples pour le monde, apparaissent des faits, des manières, des méthodes, qui dévient de l’évangile, et cela depuis parfois fort longtemps. Tant que la « maison » était dominante, on « cachait » cela, qui ne devait pas se voir. Et puis la perte de cette situation dominante -là où elle est perdue, tout au moins- libère la parole, fait apparaître le « sel affadi », c’est-à-dire les disciples devenus fous. Et la situation est à mon avis d’autant plus terrible que, là où la « maison » est encore en position dominante, elle cherche encore à cacher : ce qui montre qu’il n’y a aucune intention sincère de changer, de se repentir, de revenir de sa « folie »…

Et l’on voit bien aussi que la parole est tellement juste, « si le sel devient fou, en quoi sera-t-il rassemblé ? » Car de fait, avoir quitté la sagesse des Béatitudes engendre la division. Nombreux sont les authentiques disciples de Jésus qui ont quitté la « maison » en n’y reconnaissant plus la maison de la sagesse ; certains autres, qui y sont encore, se prétendent les gardiens de la maison et dénient toute errance, et voilà qu’ils scandalisent bien au-delà des murs de la maison jusque dans le monde pour lequel l’évangile est pourtant proclamé, les voilà « piétinés par les hommes« … Je ne veux pas dire que TOUS les disciples sont dans l’errance, que TOUS les disciples usurpent ce nom : je suis même convaincu de l’authenticité évangélique d’une immense majorité silencieuse. Mais nul ne peut prétexter de cela pour ne pas voir, pour ne pas dénoncer. Et c’est le pire des dévoiements que d’instrumentaliser la sainteté des uns pour se dispenser de regarder en face le dévoiement des autres -et d’y porter remède. Non, en tout cela, rien de pire que de cacher, c’est la plus grande source de scandale.

Or c’est justement de lumière que nous parle le deuxième paragraphe du texte d’aujourd’hui. « Vous, vous êtes la lumière du monde. Elle ne peut, la cité, être cachée en étant située en haut d’une montagne ; nul ne fait brûler une lampe pour l’installer sous le panier mais [bien] sur le support, et elle brille pour tous ceux de la maison. Que brille ainsi votre lumière devant les hommes, pour qu’ils voient de vous les oeuvres belles et glorifient votre père, celui dans les cieux. » La métaphore de la lumière ne s’attarde pas un instant sur la beauté de la lumière : la lumière est prise sous l’angle de la fonction qu’elle remplit, éclairer. C’est la lumière du monde. Elle est là pour lui. Le but, c’est que le monde soit éclairé. Je vais y revenir pour finir.

Mais sitôt faite la première affirmation, il y a comme un hiatus : « Elle ne peut, la cité, être cachée en étant située en haut d’une montagne« . On passe de la métaphore de la lumière à celle de la cité : est-ce une maladresse ? Regardons-y de plus près. Une cité, ce n’est pas qu’une construction urbanistique, ce n’est pas qu’un complexe architectural. Une cité, ([polis], qui donne notre politique, notre politesse,…) c’est une élaboration des hommes, c’est un réseau organisé et institutionnalisé de relations, c’est un lien avec d’autres hommes ailleurs, d’autres cités. Une cité, c’est une ville augmentée de sa campagne, c’est une économie, des échanges, des responsabilités, une destinée commune et construite ensemble. Il s’agit donc, non tant d’une construction architecturale que d’une construction sociale. Or voilà une évidence : si cette cité est installée « en haut d’une montagne« , aucune chance qu’elle soit cachée ! Tous les autres hommes peuvent voir comment cette cité est construite, mais aussi quelle est sa situation et si elle est prospère ou non, si elle est puissante ou non, si semble ou non y régner l’harmonie et l’entente, l’échange et la paix.

Aucune chance qu’elle soit cachée : voilà justement ressurgir le mot dont nous avons parlé plus haut, celui dont nous avons dit qu’il était le pire, pour ce qui était des déviances de la « maison » des disciples…

Il me semble que tout cela est très cohérent : la « cité des disciples », voici qu’elle a été établie par son fondateur (ou inspirateur) « en haut d’une montagne » : pas moyen d’échapper aux regards. Il ne sert à rien de vouloir se cacher, la cacher. Si elle a un défaut, il se verra. Le mot [kruptoo] (qui donne notre crypte, mais aussi les messages cryptés, les cryptogrammes ou les crypto monnaies) signifie couvrir, cacher pour soustraire aux regards, déposer sous terre, faire mystère de : la fameuse cité est une cité de lumière, pour la lumière, dans la lumière. Qu’importe si la lumière tombe sur des choses moches, elle est toujours belle. Mais elle n’est pas faite pour soustraire quoi que ce soit aux regards, ni faire mystère de quoi que ce soit. Ce type de secret est un instrument de pouvoir, discriminant ceux qui « savent » de ceux qui « ne savent pas », jouant sur des leviers de réputation à soutenir ou détruire (ce qui est une mort, sociale mais bien réelle). Mais dans cette cité, tout est fait pour être vu : et même les maladresses ou les défauts ont leur rôle, ne serait-ce que de faire voir que bâtir la société des hommes autrement n’est pas une partie gagnée d’avance !

Et puis le texte passe de la cité à la lampe : dans cette culture, il s’agit d’une lampe à huile, ces sortes de vases bas au bec très allongés d’où émerge une petite mèche. Dans le ventre du vase, la réserve d’huile. On allume la lampe, puis on la loge sur un support prévu à cet effet, soit fixé au mur, soit sur une sorte de grand pied. La situer en hauteur, d’une part évite qu’on la renverse, d’autre part profite à tous en éclairant de plus haut. Il ne viendrait à l’idée de personne, une fois une lampe allumée, de la mettre sous un panier : à quoi servirait-elle ? C’est encore l’idée de cacher à laquelle on s’oppose ! Mais on le voit, c’est bien la fonction de la lumière qui est soulignée : il s’agit d’éclairer toute la maison.

Nous pouvons maintenant revenir à la métaphore initiale, « Vous, vous êtes la lumière du monde. » Les disciples sont établis de telle sorte qu’ils ne peuvent se cacher, ils sont connus comme disciples. Mais ils ne sont pas disciples pour eux-mêmes, ils le sont pour le monde. Il en va ainsi, car leur fonction est que leurs « oeuvres belles » soient connues de tous les hommes et que ceux-ci en « glorifient leur père, celui des cieux. » Parce qu’il est évident que des actions accomplies dans la sagesse des béatitudes, une sagesse qui semble tellement paradoxale, manifestent chez ceux qui les accomplissent une identité filiale. On ne peut pas s’engager à vivre les béatitudes sans cette confiance profonde d’être fils, d’avoir un père indéfectible à l’amour inconditionnel.

Il me semble que cette conscience d’être là pour le monde est le meilleur garant ou stimulant pour une vie authentique. Rien d’héroïque, mais un fil d’authenticité et une action de grâce. La reconnaissance pour être aimé au-delà de toute mesure, le désir que l’on voie la bonté et la fidélité du père, le désir que tous les hommes réalisent à quel point eux aussi sont aimés. Pas en faisant des discours, mais simplement en vivant sous ce jour, sans recherche de petites compromissions dont « on s’arrangera avec le bon Dieu ». Et si certains des actes des disciples n’étaient pas que beaux ? Cela arrive, bien sûr, cela arrivera encore. Mais il n’y a rien à cacher, de peur de cacher les bonnes actions et porter ombrage au père. Du reste, changer, c’est encore une belle oeuvre.

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