Le texte de l’évangile, sur le site de l’AELF.
Un commentaire général de ce texte a été fait ici : Un nouveau dynamisme pour un monde nouveau. Je voudrais cette fois-ci suivre de plus près l’expérience des femmes. Il me semble en effet qu’elle est trop passée sous silence : elles sont les premiers témoins d’un évènement absolument unique, et cependant elles sont presque passées aux oubliettes de l’histoire et surtout de l’institution qu’est devenue l’Eglise, il ne s’en est suivi aucune conséquence pour elles ! Elles seules pourtant ont pu raconter ce qui nous est maintenant rapporté par Matthieu, elles seules ont dit aux autres disciples, aux Douze en particulier. Qu’ont-elles donc vécu ce matin-là ?
Voilà donc deux femmes, « Marie la Magdaléenne et l’autre Marie« , qui vont « voir la sépulture« . Ce ne sera pas une découverte pour elles, puisque Matthieu nous les a montrées présentes au moment même de la mort de Jésus, et toujours présentes à sa sépulture. Il nous a d’ailleurs précisé qu’elles avaient suivi depuis la Galilée : ce sont des fidèles entre les fidèles, pas de celles que l’on nomme et qui accomplissent des actions spectaculaires, mais de celles que rien ne décourage et qui sont là. On a presque l’impression que c’est la désertion complète des autres qui les fait apparaître et qui les met en lumière : elles sont comme ce que la mer laisse sur la plage quand elle redescend. De même qu’à la mort de Jésus, dans Matthieu, la nuit s’est faite laissant apparaître le seul Jésus, de même parmi les disciples le vide s’est fait laissant apparaître les seules femmes.

Cela veut dire qu’il y a une sorte de parenté entre Jésus et ces femmes. C’est lui qui meurt, et qui est vivant, nouveau. Elles sont là, les mêmes, quand il meurt et quand il est vivant. On peut dire qu’elles ont fait corps avec lui quand il est mort, et elles vont s’apercevoir qu’il leur est donné de faire de même quand il est vivant, dans cette nouveauté tellement inattendue.
Pour le moment, elles sont venues « voir la sépulture« . Le verbe [théooréoo] a le sens d’observer avec attention, de manière soutenue. Elles ne sont pas « venue voir », au sens de se renseigner, car elles savent déjà bien ce qui s’est passé, elles y étaient ! Matthieu a d’ailleurs insisté dans les lignes qui précèdent, lors de la déposition et de la sépulture de Jésus, sur le regard des femmes. Elles savent déjà tout. Ce qu’elles viennent faire dès l’aube naissante de ce jour, c’est fixer leurs yeux sur celui qui n’est plus. C’est leur première visite à un mort, elles vont se poser là et laisser leur regard se poser longuement sur sa sépulture pendant que leurs pensées iront à celui qui n’est plus. Elles ne craignent pas les gardes ni les arrestations, pas plus ce matin que l’avant-veille sur le Golgotha. Peut-être est-ce un avantage de leur statut de femme -ou plus exactement de leur absence de statut comme femme ? Tout de même c’est un beau courage, tant était évidente la rage des responsables.
Ce qu’elles voient est époustouflant : un tremblement de terre, un être céleste éblouissant, « comme un éclair« , qui roule la pierre du sépulcre et s’assoit dessus, la garde qui tombe comme morte ! Les scènes de mort ne sont pas finies, le carnage va-t-il continuer ? La terre a déjà tremblé quand le maître est mort, après que les ténèbres se furent « étendues sur toute la terre« . A présent, assistent-elles à un combat entre armée céleste et armée terrestre ? Celui qui vient d’anéantir en un instant une garde entière va-t-il aussi s’attaquer à elles ?
Mais voilà qu’il s’adresse à elles, et en faisant manifestement la part des choses : il ne va pas les traiter comme eux. « Vous, n’ayez pas peur : je sais en effet que vous cherchez Jésus le mis-en-croix » : il est de leur côté, et il a reconnu en elles des alliées. Voilà qui doit être soulageant, même s’il est des amis un peu encombrants et effrayants.
Maintenant, essayons d’imaginer l’effet sur elles, dans tout ce contexte, des paroles suivantes, « il n’est pas ici, il est relevé » ! Pour ces femmes, fidèles entre les fidèles, venues en bravant tout pour être encore un peu avec le Maître, secouées et effrayées par ce qui se déroule sous leurs yeux, entendre « il n’est pas ici… » : mais leur cœur doit s’arrêter de battre ! C’est un tapis qu’on tire sous leur pied ! C’est leur tour d’être, intérieurement, « séïsmées » ! Quant à l’autre élément du message, « il est relevé » ou « il est réveillé » (au passif : sous-entendu « par quelqu’un »), avouons qu’il peut faire penser à des histoires de fantômes. A qui ne fait pas peur l’idée d’un mort debout, en errance ! Et penser à celui qu’elles aiment en cet état, cela doit être profondément perturbant !!! Je crois qu’il faut penser à tout cela pour saisir la véritable révolution mentale consistant à comprendre les choses à partir de « il n’est plus mort » : ce n’est pas qu’un impensé, c’est un impensable. Et au point du message où nous en sommes, je ne vois pas comment les femmes pourraient seulement imaginer partir de là…
L’envoyé ajoute « vite venez voir » et puis « allez dire… ». Puis son « Voilà, je vous l’ai dit » donne à penser que, mission accomplie, il s’en va aussitôt. Que font les femmes ? Elles s’enfuient en courant !!! Qui n’en ferait autant ? Mais là où elles sont uniques, étonnantes, merveilleuses, c’est que dans leur fuite même se joue la transformation. Nous leur devons toute notre foi chrétienne, si nous croyons en la résurrection ! Car tout en quittant avec précipitation ce lieu terrible, se fait jour en leur cœur cette fameuse hypothèse impensable, le « il n’est plus mort », et leur peur, tout en courant, le cède à la joie. Leur course pour quitter (ce lieu) devient course pour aller dire.
Combien dans notre vie y a-t-il de choses que nous voulons fuir, ou que nous voudrions fuir ! Et si nous ne le pouvons pas, l’envie en est plus forte encore. Combien y a-t-il des choses qui nous terrifient ! Mais des femmes nous pouvons apprendre à changer cet élan de fuite en élan de rencontre, et cette terreur en joie. Comment ? Pas de retour en arrière, pas d’affrontement de ce qui nous fait peur. Mais de là où nous sommes, laisser monter en nous un autre point de départ, un « il n’est plus mort » impensable. Comme elles, aller outre, outre ce qui nous tue le coeur et la vie, dans l’outre-mort. Et c’est alors, et alors seulement, qu’a lieu la rencontre avec l’ultime étape, celle du désaisissement : se déprendre de celui qu’elles aiment, le laisser aller, ne plus chercher à se saisir de lui mais plutôt se laisser saisir par lui au fond de soi, au fond des motivations les plus profondes de sa vie.