Le texte de l’évangile, sur le site de l’AELF.
Ce texte, qui fait quasiment suite à celui de la semaine passée, a été déjà commenté ici : Jusqu’où mène l’amour mutuel. Je voudrais cette année m’intéresser à l’esprit, à ce qui est dit de lui.
Le contexte est celui du départ de Jésus : les disciples sont secoués parce qu’il leur annonce clairement son départ, et qu’ils ont le sentiment de ne pas savoir pour où. Ils comprennent bien qu’il leur parle de sa mort, et cela les laisse absolument terrifiés et a introduit une tristesse irréparable dans leur cœur. La mort est déroutante, nous ne savons pas ce que c’est, en fait. Mais nous savons que cela bouleverse tout à jamais, que rien n’est plus jamais pareil. Jésus a commencé par leur assurer de son union étroite et intime avec le père, leur faisant remarquer que quelque évènement qu’il puisse survenir, il n’y a à cette profondeur aucun changement : il est à jamais « dans et vers le père« . Et il ajoute que c’est à cette profondeur que les disciples vont pouvoir le retrouver, ou mieux : ne pas le quitter. Si ils croient, alors eux aussi sont dans cette intimité inaltérable, aussi bien avec Jésus qu’avec son père, au point de faire même des œuvres plus grandes que celles qu’ils lui ont vu faire, non qu’ils soient plus grands que lui mais parce que que c’est lui-même, Jésus, qui fait ses œuvres en eux, comme c’est le père qui fait ses œuvres en lui.
Bien, mais comment va se concrétiser cette foi ? Qu’est-elle, si elle a ce rôle et ce pouvoir si déterminants ? Elle est d’abord une pratique, une manière de vivre, une observation de « mes commandements« , dont il vient d’ailleurs de donner une expression nouvelle et ramassée : « Je vous donne un commandement nouveau : c’est de vous aimer les uns les autres. Comme je vous ai aimés, vous aussi aimez-vous les uns les autres. À ceci, tous reconnaîtront que vous êtes mes disciples : si vous avez de l’amour les uns pour les autres. » Plus que jamais, dans cette expression d’un unique commandement se résume tout ce qu’il leur a recommandé précédemment, et plus que jamais aussi, ce commandement est le sien. Ainsi donc, cette foi qui fait rester dans son intimité est premièrement amour mutuel (mais sur le modèle ô combien exigeant de l’amour que Jésus, en cet instant même, est en train de montrer à ses disciples : il offre sa vie pour eux).
Mais il y a aussi un deuxièmement : comme quoi la pratique de l’amour mutuel, aussi juste soit-il, ne suffit pas. Mais la foi est aussi un don : « et moi j’interrogerai le père et il vous donnera un autre paraclet, afin qu’il soit au milieu de vous pour toujours. C’est sur l’instance de Jésus son père que ce don sera fait, autrement dit ce don est directement issu de leur intimité à eux deux. Pas moyen d’être établi dans leur intimité à tous les deux sans ce qui vient précisément de cette intimité : mais justement, Jésus va le demander à son père ! « et il vous donnera un autre paraclet« , il vous le donnera comme il vous a donné son fils. Car toujours il donne. Pour vous, ce don sera un autre paraclet, c’est-à-dire qu’il jouera le rôle qu’a joué Jésus déjà, pendant le temps qu’il était avec les disciples : c’est lui le premier « paraclet », et c’est lui qui s’en va.

Le père de Jésus, sur sa demande, va donner aux disciples « un autre » pour être avec eux, pour les rassurer, les conseiller, les encourager, les affermir… C’est une belle délicatesse de Jésus : on voit qu’il se soucie de ceux qui restent. Mais dans sa situation, celle de quelqu’un conscient qu’il va mourir, qui ne s’en soucierait ? Lui va au-delà du souci, il sait qu’à ceux qu’il aime, il peut fournir justement ce que lui ne pourra plus être : une présence. Et ce faisant, il nous ouvre cette porte à tous : je veux dire cette capacité de fournir à ceux qui nous survivent une présence. Et cette présence, à la différence de la sienne propre, est « pour toujours » ; la formulation de Jean, [éïs ton aïoona], laisse même entendre que c’est une présence qui fait entrer dans le toujours, qui introduit dans ce qui est éternel.
Tout cela nous fait entendre aussi comment Jésus envisage sa mort : non pas tant comme une séparation que comme une fondation. Lui va rester dans et vers le père, comme il l’est déjà, mais va œuvrer plus puissamment encore qu’actuellement, il va être au maximum de l’amour à jamais. Mais il va aussi donner à ses disciples ce qu’il ne leur a pas donné encore, « l’esprit de vérité« , celui qui donne de vivre et de se comporter et de sentir et de choisir exactement comme le fils, qu’il est lui-même de manière unique. Je pense qu’au moment de partir, nous ressentirons tous cette impression profonde d’avoir manqué de temps, de n’avoir pas tout fait ni tout dit, d’avoir encore tant et tant à partager. Jésus n’échappe pas à la règle. Mais il fait voir que ce désir n’est pas vain, et ne devient pas regret : ce désir au contraire s’accomplit dans l’envoi de l’esprit, qui va continuer à donner tout ce qu’il donnait, à faire comprendre tout ce qu’il faisait comprendre, à apporter tout ce qu’il apportait. C’est lui, autrement communiqué, comme par l’intérieur (si le nom « esprit » veut dire quelque chose). Sa mort n’est pas sa fin mais le début d’un changement de régime de la relation avec lui, une relation qui devient « pneumatique » (en grec, esprit se dit « pnéouma »). Et pour nous tous aussi, cela devient possible par lui, avec lui, et en lui.
Fort bien, on ne peut que désirer recevoir cet esprit qui nous garantit de n’être plus jamais absents les uns aux autres. Mais comment le reconnaître ? Comment le repérer ? Comment ne pas s’illusionner ? Là, il y a une différence entre les disciples et les autres. Jésus ne passe pas son temps à faire la différence entre les disciples et les autres, mais il y a quelques registres sur lesquels il fait la différence, et c’est le cas ici. Cet esprit en effet est donné à tous, c’est implicite, mais « le monde ne peut [le] recevoir« , alors que les disciples oui. Quiconque meurt peut avec Jésus prier le père de l’envoyer, mais la question c’est de le recevoir. Et pourquoi le monde ne peut-il pas le recevoir ? c’est qu’il « ne l’observe ni ne le connaît« . Cela est propre au disciple, en cela-même qu’il est disciple. Que fait le disciple ? Il est avec Jésus, il le suit, il l’écoute, il le regarde, il accueille ses paroles, il cherche à conformer sa vie à celle du maître. Ce faisant, il connaît l’esprit. Il connaît l’esprit de Jésus parce qu’il connaît Jésus. Il connaît l’esprit de Jésus dans l’exacte mesure où il connaît Jésus. Plus il développe en lui cette attention du cœur qui fait de lui un disciple, plus il s’ouvre, sans même en avoir conscience, à l’esprit de Jésus, à l’esprit qui est en Jésus.
Ainsi donc, recevoir l’esprit de Jésus va être : recevoir tout ce qui ressemble à Jésus, tout ce qui est reconnu par le disciple comme venant de lui, comme en accord avec lui. Jésus est le critère de l’esprit. Ici, il faut au disciple beaucoup de souplesse, car l’esprit sans doute le surprendra, il ne se trouvera pas forcément là où le disciple l’attendrait, il ne viendra pas forcément là d’où le disciple s’y attendrait. D’ailleurs, cette surprise n’est-elle pas aussi dans la manière de Jésus ? Or justement, il y a une nouvelle surprise, et c’est peut-être là qu’il y a au plus fort un « avant » et un « après » : « vous, vous le connaissez parce qu’il demeure auprès de vous et qu’il sera en vous. » Il y a un présent, « il demeure auprès de vous« , et il y a un futur, « il sera en vous« . Pour le moment, Jésus est proche des disciples, et l’esprit de Jésus est à chercher dans la proximité du disciple. Mais alors, une fois Jésus mort et l’esprit envoyé par le père, il sera « en vous« . La surprise est qu’il ne sera pas à chercher seulement à côté et en dehors, mais qu’il faudra aussi le chercher en soi. . Source d’une confiance sans pareille. Tu es avec moi à jamais, et on ne peut plus proche, dans ma vie même, dans mon être même.
Une fois Jésus parti -et c’est le cas quand Jean écrit tout cela !-, le lien avec lui est à la fois dans le lien avec tous dans l’amour mutuel, dans le repérage des façons de Jésus chez ceux qui nous entourent, et dans notre propre vie, dans ce qui naît en nous comme souvenir de Jésus et élan spontané à faire à sa manière. Et ainsi aussi, par Jésus, avec lui, et en lui, de tout ceux qui sont partis. Nous avons dans l’esprit (associé bien sûr à l’amour mutuel) la garantie d’une communion éternelle à laquelle rien ni personne ne peut porter atteinte. Une nouvelle étape d’union, une union plus forte encore que quand il était vivant. C’est difficile à croire pour les disciples, sans doute, tant l’évidence est pour eux d’une perte et d’une séparation. Mais c’est la foi proposée par Jésus, un démenti à l’expérience, source d’un renouveau et d’une nouvelle expérience.